«Même Halilhodzic ne comprend pas l'acharnement de la presse» «Pour l'Algérie, j'ai eu des problèmes avec Bastia et Bochum et mon salaire a même été bloqué» Surprenante et inattendue pour beaucoup d'Algériens, la décision de Anthar Yahia de prendre sa retraite internationale a éclipsé, dans les commentaires de l'opinion publique sportive algérienne, la finale de la Coupe d'Algérie et le derby algérois d'hier soir. Même sur le web, les réactions ont été très nombreuses. C'est que ce n'est pas tous les jours en Algérie que le capitaine d'équipe d'une sélection annonce, à 30 ans, qu'il arrête avec les Verts. A froid, Anthar Yahia revient sur les motivations de sa décision à travers cette longue interview qu'il nous a accordée hier. L'annonce de votre retraite internationale a fait le buzz sur Internet et a suscité de nombreuses réactions, que ce soit de la part des médias où des supporters des Verts. Qu'est-ce que ça vous a fait, ce matin (hier matin, ndlr), de découvrir toutes ces réactions ? Toutes ces réactions démontrent que les gens m'ont compris en grande partie. Cela m'a fait chaud au cœur de lire certains commentaires. Cela prouve que j'ai été honnête avec les Algériens, que je n'ai jamais triché et que j'ai toujours donné le maximum. Ce que les gens ne comprennent pas, c'est qu'une retraite internationale s'annonce généralement après un match ou une compétition. Or, la vôtre s'annonce un mois avant trois matches. Vous auriez pu convoquer une conférence de presse, quitter la scène internationale après les trois matches du mois de juin ou attendre de participer à la phase finale de la Coupe d'Afrique des nations… Attendre, ce n'est pas bien pour moi. Ma philosophie n'est pas toujours d'attendre, mais d'anticiper certaines choses. Lorsqu'il y a eu la cérémonie de la FAF, ma décision avait été déjà prise il y a un moment. Je trouve qu'à un moment donné, il faut savoir partir. C'est bien aussi pour l'équipe parce que ça va responsabiliser les nouveaux joueurs, la nouvelle génération. Cette décision intervient aussi après une entame réussie en éliminatoires pour la Coupe d'Afrique des nations parce qu'il y a eu une victoire à l'extérieur (face à la Gambie, ndlr). Une victoire où vous avez inscrit un but… Voilà, mais il y a eu aussi des critiques qui ne sont pas justes. Elles sont mêmes injustifiées, surtout que c'était après une victoire à l'extérieur. Ce n'est pas ça qui a pesé dans ma décision, mais il y a une certaine presse qui n'est pas toujours objective. Des fois, c'est usant. Jouons le jeu de la franchise : est-ce que les critiques d'une certaine partie de la presse vous ont affecté et vous ont donné à réfléchir ? Bien sûr qu'elles m'ont affecté ! Pas en majorité, mais il y a de cela. Quand on gagne un match à l'extérieur, en ayant fait en plus un beau match et en ayant marqué en plus et qu'on nous cherche encore la petite bête, à un moment donné, on se dit que ce n'est pas ce qu'on cherche vraiment. Moi, en tant que personne qui a une certaine fierté et qui a toujours eu un rapport honnête avec le peuple algérien et une relation d'amour avec mes fans, je préfère avoir la correction et la sagesse de partir maintenant. Quand même, Vahid Halilhdozic avait déclaré, lors de la conférence de presse qu'il avait animée le 18 avril, que Madjid Bougherra et vous êtes actuellement indispensables à l'équipe. Il vous fait donc confiance, non ? Bien sûr et je n'ai aucun souci avec l'entraîneur. Nous avions de très bons rapports. Cela s'est très bien passé entre nous. D'ailleurs, il était très triste de ma décision. Il faut dire aussi que nous nous apprécions. Il n'y a donc aucun souci entre nous. Il comprend ma décision, mais il ne comprend pas forcément lui aussi l'acharnement de la presse. A un certain moment, il faut laisser les gens travailler dans la sérénité et être critique quand il le faut. On fait un métier où il y a des critiques et il faut qu'il y ait des critiques, mais pas gratuitement. Votre décision de quitter les Verts a été officialisée à un moment important, à l'occasion de la réception où vous vous êtes vu décerner la médaille du Mérite nationale des mains de Mohamed Raouraoua et du président de la FIFA, Joseph Blatter, mais à quel moment l'avez-vous prise ? Il y a environ un mois. Vous attendiez de rencontrer le coach pour l'officialiser ? Non. J'ai eu le coach au téléphone. Nous avons voulu officialiser la décision à l'occasion du 50e anniversaire de la FAF. Ils ont respecté ma décision de partir comme ça et c'est tout à l'honneur de la fédération et de l'entraîneur de m'avoir accordé cette consécration et d'avoir officialisé cette décision à ce moment-là. Que vous a dit Halilhodzic lorsqu'il a compris que votre décision a été prise et que vous n'alliez pas revenir dessus ? Tout ce que les gens et la presse doivent savoir de la teneur de notre discussion a été dit. Maintenant, ce que nous nous sommes dit tous les deux en tant qu'hommes restera entre hommes. Je sais que Vahid Halilhodzic accorde beaucoup d'importance à cela et moi aussi. Cela restera donc entre vous deux ? Nous avons un grand respect l'un pour l'autre. Ça restera donc entre nous. Il y a deux jours, Carl Medjani nous avait accordé une interview dans laquelle, en réponse à une question sur l'éventualité de le voir comme titulaire dans la défense centrale des Verts, il affirmait qu'il est au service de la sélection, qu'il soit titulaire ou remplaçant, pensant qu'il y a des aînés plus confirmés que lui. Il y a quand même du respect entre joueurs de la sélection nationale, peut-être plus que de la part des supporters… Il y a toujours eu un respect exemplaire entre les joueurs et les entraîneurs et aussi les joueurs entre eux. Justement, en cette occasion, je tiens à remercier tous les joueurs et tous les entraineurs avec qui j'ai travaillé, ainsi que les médecins, les magasiniers… Bref, tous les gens que j'ai eu l'occasion de croiser en équipe nationale. Je les remercie tous. J'espère avoir été toujours correct avec eux comme ils l'ont été avec moi. Maintenant que vous êtes parti, quel joueur voyez-vous comme votre successeur, non seulement au poste de défenseur central, mais dans le leadership de l'équipe puisque vous étiez un vrai leader au sein du groupe ? Vous me connaissez : franchement, je ne suis pas quelqu'un qui fait ce genre de choses. Ça, c'est un choix de l'entraîneur. Il faut le respecter et j'espère que ce sera fait. Il faut s'armer d'amour et de passion, c'est tout. Pour le reste, ce n'est pas à moi de dire qui doit me remplacer. Je n'ai envie de toucher ni de vexer personne. Il y a des joueurs intéressants pour l'avenir de l'Algérie. A eux de se mettre sous leur meilleur jour pour saisir leur chance. Si on doit résumer votre carrière internationale, c'est deux participations aux phases finales de la Coupe d'Afrique des nations, une participation à une Coupe du monde, un but historique, des victoires sur des sélections fortes comme la Côte d'Ivoire, l'Egypte par deux fois… L'Egypte par trois fois ! L'Egypte par trois fois, un nul contre le Cameroun, un but contre l'Argentine, une rencontre avec Blatter qui vous a remis la médaille du Mérite… Pensez-vous, avec du recul, avoir eu une carrière internationale bien remplie ? Oui, je le pense. Je pars en n'étant ni frustré ni aigri. Je pars fier d'avoir servi l'Algérie et très heureux d'avoir joué pour mon pays. Il y a de mauvaises langues qui disent que vous avez arrêté en sélection afin d'être disponible pour votre club et éviter de participer à la Coupe d'Afrique des nations en cas de qualification. Que répondez-vous ? Je pense qu'il ne faut même pas accorder de l'importance à des propos pareils. Ma carrière en club n'est pas devant moi. Elle est plutôt derrière moi. Mes sacrifices pour l'équipe nationale, je les ai faits tôt dans ma carrière, dès l'âge de 20 ans. D'autre part, j'étais parti en Coupe d'Afrique des nations en entrant en conflit avec Bochum où j'étais capitaine d'équipe et j'avais dû me battre pour reprendre ma place. Maintenant que vous avez arrêté, il est temps que les gens connaissent certaines vérités, notamment qu'avec l'équipe nationale, vous avez été blessé à plusieurs reprises au point que Bochum avait bloqué votre salaire à un certain moment… Oui, c'est vrai. J'ai fait ce sacrifice par amour et je n'ai jamais voulu que les gens le sachent, mais vous pouvez le dire aujourd'hui. J'ai fait ce sacrifice pour mon pays. Mon choix de l'Algérie, je l'ai fait très tôt. Lorsque j'étais à Bastia, je suis parti à la CAN-2004 contre l'avis du club. J'ai toujours fait passer la sélection nationale en premier dans mes choix. Il y a certainement de nombreuses belles images qui ont émaillé votre carrière internationale. Si vous deviez en choisir une seule, laquelle restera la plus marquante pour vous ? Le coup de sifflet final à Khartoum. Donc, ce n'est même pas le but que vous aviez marqué là-bas… Non. Quand l'arbitre avait sifflé la fin du match, je garde l'image de la joie que ça nous avait procurée. A présent que vous avez cédé votre place de joueur, dans le cas où on vous proposerait un poste dans l'un des staffs des sélections, un rôle dans l'encadrement des jeunes internationaux dans les stages auprès des jeunes joueurs ou toute autre tâche, allez-vous accepter ? Comme je l'ai dit, par amour et par attachement au service de l'Algérie, je l'ai toujours fait et je le ferai toujours. Je ne refuserai jamais rien à mon pays. Peu importe la tâche qu'on me confiera, je l'accomplirai par amour pour mon pays. Maintenant, je ne peux pas vous dire ce que l'avenir nous réserve, mais tant que mon pays aura besoin de moi, je serai toujours là. Confirmez-vous que vous continuerez quand même de jouer ? Oui, bien sûr ! J'ai encore trois ans de contrat au FC Kaiserslautern et je ferai tout pour qu'on remonte la saison prochaine en Bundesliga. Ce sera pour moi un challenge intéressant. Pour l'après-football, vous nous aviez confié une fois, en aparté, que vous envisagiez de vous convertir en entraîneur. Pouvez-vous l'annoncer maintenant, surtout qu'il y a des gens qui pensent que vous avez les qualités pour exercer ce métier ? (Rires.) Déjà, ça me flatte. C'est un honneur. C'est clair que c'est quelque chose qui m'intéresserait parce que j'adore le football, mais il est encore tôt. Je vais savourer mes dernières années de footballeur en Bundesliga ou en Bundesliga 2. Ma priorité est de remonter le plus vite en Bundesliga et on verra ensuite, mais c'est vrai que c'est quelque chose qui m'intéresse. Nous avons contacté quelques joueurs pour des réactions suite à votre décision de prendre votre retraite et il y a une unanimité qui s'est dégagée : une reconnaissance de votre amour profond et sincère pour l'Algérie et un hommage à ce que vous avez apporté à la sélection. Avez-vous été touché par ces témoignages ? Ces témoignages m'ont fait chaud au cœur. C'est pour ça que je tenais à saluer tout le monde, tous ceux que j'ai côtoyés en équipe nationale, sans exception : les joueurs, les éducateurs, les entraîneurs, les membres de la fédération… Je leur dis un grand merci pour les années que nous avons passées ensemble dans le respect et l'amitié. Le protège-tibia sur lequel il y a la photo de vous et de votre père avec une carabine, vous l'avez toujours ? Oui, bien sûr ! C'est Lounès Gaouaoui qui nous en a parlé… C'est une photo prise à l'endroit de naissance de mon père, à Oued El Aar, à côté de Sedrata. Nous l'avons prise ensemble et elle représente beaucoup pour moi. Nous nous étions promenés là où mon père est né et a vécu durant sa jeunesse. Il faut être Lounès pour raconter ça (rires) ! A chaque fois, il regardait mon protège-tibia. Il ne s'agit pas d'un adieu, mais d'un au revoir puisque vous restez dans la famille du football algérien et on vous reverra dans les stades et peut-être même un jour sur le banc. Vous vous êtes adressé au peuple, qui vous adore, à travers un communiqué, mais pouvez-vous adresser un mot aux Algériens à travers nos colonnes ? Franchement, je les aime. C'est pour ça d'ailleurs que je pars comme ça. J'ai toujours tenu à ce qu'on garde ce respect entre nous. Mon amour pour eux est sans limites.