«Avec sa technique et son abattage, Feghouli est le meilleur représentant du football algérien» «Tous les entraîneurs aimeraient avoir Lacen dans leur équipe» Fidèle à ses habitudes, Le Buteur transporte à nouveau ses lecteurs vers le monde des stars. Des stars, peut-être très difficilement accessibles, mais qui, une fois devant vous, s'avèrent des êtres humains normaux, parfois même très attachants comme c'est le cas de Dani Alvès. La saison des interviews proposées par votre journal préféré commence donc avec le meilleur arrière droit du monde. Très à l'aise dans sa tenue sport, Dani Alvès l'a été tout au long de l'entretien qui a duré un peu plus de 40' alors qu'on s'était mis d'accord pour une interview de 20'. Au grand dam d'une équipe de télé française qui devait également l'interviewer et au grand bonheur de vous, lecteurs du Buteur. Merci Dani pour ce bel accueil que vous nous avez réservé et pour avoir accepté de vous adresser au public algérien... C'est un réel plaisir d'être avec vous et comme je viens de vous le dire, ma maison est la vôtre. Ici vous êtes chez vous. J'espère que l'interview sera agréable et que les Algériens apprécieront. Nous sommes convaincus que oui... Moi aussi. Tout à l'heure, vous nous aviez dit que vous étiez au courant que le Brésil allait affronter l'Algérie...Comment ça ? A la Fédération brésilienne, on nous informe régulièrement des rencontres amicales qu'on va jouer et on nous avait dit effectivement qu'il était possible d'affronter l'Algérie le 14 novembre, mais on ne nous avait pas dit où allait se jouer le match. Finalement, le match ne se jouera pas... C'est dommage ! Ç'aurait été un beau match parce que je sais que l'Algérie joue l'attaque comme nous. Les supporters algériens se seraient sans doute régalés. Saviez-vous que ce match du 14 novembre signifie beaucoup pour les Algériens parce qu'il marque le 50e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie ? Non, je ne le savais pas, mais sincèrement on est honorés qu'on ait pensé à nous inviter à jouer un match aussi significatif pour le peuple algérien. On vous l'aurait bien rendu en jouant un match spectaculaire et en donnant du bonheur au public algérien. Vous avez déjà affronté l'Algérie en 2007 à Montpellier. Quel souvenir gardez-vous de ce match ? Ce fut un match difficile, très dur parce qu'on a joué à l'extérieur (il rit). Le stade de Montpellier était en effet plein d'Algériens. J'ai pu jouer quelques minutes ce jour-là parce que je commençais à peine en sélection et je vous assure que j'ai été surpris par le jeu porté vers l'attaque des Algériens. Je me suis bien amusé car ça attaquait des deux côtés durant tout le match et je pense que les gens étaient ravis plus que moi. Vous savez, les caractéristiques du football algérien sont les mêmes que les caractéristiques du football brésilien. C'est un football joyeux porté vers l'attaque, un football beau à voir. C'est pour ça que je vous disais tout à l'heure que si on avait joué ce match du 14 novembre, on aurait assuré le spectacle, mais c'est le Brésil qui aurait gagné encore une fois (il rit). De ce match de Montpellier, il ne reste plus aucun joueur algérien en sélection. Connaissez-vous l'équipe actuelle ? Oui, surtout les joueurs qui évoluent dans la Liga. Feghouli de Valence est en train de faire parler de lui puisque je vois tous les jours que de grandes équipes s'intéressent à lui. Il représente bien le foot algérien avec sa manière de jouer, ses qualités techniques. Lacen, par contre, est plus connu pour son abattage, sa lutte et ses qualités physiques comme le décrivent beaucoup d'observateurs en Espagne, non ? C'est un travailleur qui lutte beaucoup certes, mais il faut le voir aussi lorsqu'il a le ballon. Il le transmet toujours bien et c'est cela le plus difficile dans le football. En sélection, on doit être très content de son apport. Beaucoup d'entraîneurs aimeraient avoir ce genre de joueur dans leur équipe. Dites-nous sincèrement Dani, comment le Brésil peut-il fabriquer autant de bons joueurs alors que d'autres pays souffrent pour en avoir un seul bon ? Qu'est-ce que vous avez de si particulier au Brésil que les autres pays n'ont pas ? C'est simplement un don de Dieu ! Mais, si on regarde de plus près la situation sociale au Brésil, on se rend compte que ce sont les difficultés de la vie quotidienne qui poussent les enfants brésiliens à vouloir réussir dans le football pour sortir leur famille de la pauvreté. Chez beaucoup de Brésiliens, l'étape entre l'enfant et l'homme n'existe pas. A 7, 8 ans, on commence déjà à être responsables. A cet âge, les enfants européens ne pensent qu'à s'amuser, pas les enfants brésiliens. La solution la plus simple et la plus efficace pour eux, c'est de réussir dans le football. Dieu nous a donné cette technique, il faut bien la mettre à profit pour gagner notre vie, non ? Au Brésil, vous jouiez à Esports de Bahia. Y avait-il des joueurs doués qui n'ont pas pu percer dans le football professionnel ? Il y en avait de très très bons. Techniquement largement meilleurs que moi. Des joueurs à qui on avait prédit de grandes carrières, mais qui n'ont pas eu la discipline ou peut-être même la chance que j'ai eue au début de ma carrière professionnelle. Parfois, à certains moments d'une carrière ou tout simplement d'une vie, une chance se présente, on la saisit et elle change le cours de notre vie. Ces joueurs pétris de qualités n'ont peut-être pas su faire le bon choix à certains moments de leur carrière et ils sont restés à mi-chemin. C'est dommage ! C'est le destin... parce qu'au Brésil comme en Algérie on croit beaucoup au destin... Oui, mais il faut aussi travailler et tout tenter pour réussir. La chance existe, il faut juste la provoquer par le travail. Après, si on fait tout pour réussir et qu'on ne réussit pas, on peut parler de destin. Vous êtes Brésilien et vous jouez à Barcelone. Ici, comme chez vous au Brésil, on sait fabriquer les bons joueurs, mais c'est quoi la différence entre la formation à la Masia et la formation au Brésil ? La différence, c'est qu'à la Masia il y a une meilleure organisation, beaucoup de moyens et la préparation de l'enfant à jouer en équipe pro. Ici, dès l'âge de 10 ans, les enfants apprennent à jouer à une touche de balle et à assimiler la tactique de l'équipe première du Barça. Au Brésil, on ne prépare par l'enfant à jouer en équipe première et on ne met pas à sa disposition tous les moyens pour réussir. Au Brésil, on prépare l'enfant pour mieux le vendre et gagner de l'argent. Avec une telle mentalité, on finit par négliger certains aspects de la préparation de l'enfant. C'est pour cette raison qu'il y a beaucoup de bons joueurs au Brésil, mais qui ne réussissent pas toujours dans le haut niveau parce qu'ils n'ont pas été préparés à affronter les exigences du haut niveau comme à Barcelone. Au Brésil, vous jouiez dans une petite équipe, mais vous avez pu attirer les recruteurs du FC Séville. Comment cela s'est-il passé ? Comme je vous disais tout à l'heure, la chance ne se présente qu'une fois dans la vie et il faut savoir la saisir. Moi, j'ai commencé à jouer très jeune en équipe première de Bahia, cela m'a permis d'intégrer la sélection brésilienne dès 20 ans et c'est là que tout a commencé. On a joué le championnat sud-américain en Uruguay, une compétition connue pour attirer beaucoup de recruteurs européens. J'ai réalisé un grand tournoi et M. Antonio Hernandez du FC Séville était présent. Il est venu me demander si j'étais intéressé par jouer au FC Séville. A ce moment-là, je ne connaissais rien de la ville ni du club parce qu'au Brésil, on ne montrait jamais les matchs du FC Séville, mais l'idée de jouer en Espagne, un championnat connu au Brésil pour être spectaculaire, me plaisait. J'ai dit tout de suite oui. Quelles images gardez-vous de vos six années passées à Séville ? Ce fut une belle période, mais une période très dure parce que j'ai dû cravacher d'abord pour m'adapter puis pour m'imposer. Les débuts ont été très durs, l'équipe venait juste d'accéder en première division, je ne connaissais personne, je ne savais rien de la ville, je ne parlais pas la langue. Au bout de six mois, j'ai commencé à douter de mes capacités de pouvoir jouer en Europe. De titulaire à part entière au Brésil, je me suis retrouvé confiné à un rôle de figurant. Je me suis posé la question si ça avait valu le coup de venir en Europe. J'ai mis du temps à comprendre pourquoi ma carrière n'arrivait pas à décoller. Etre arrière au Brésil, c'était attaquer, attaquer et attaquer alors qu'à Séville, il fallait d'abord assurer derrière avant de penser à monter. J'ai donc commencé à travailler cet aspect, à améliorer mes qualités défensives. Cela a coïncidé avec le Mondial des -20 où j'ai réalisé un grand tournoi avec une autre façon de voir le rôle d'un arrière latéral. J'ai marqué des points et j'ai gagné le respect de tout le monde, y compris de mes entraîneurs à Séville qui ont commencé à me faire confiance. Je suis devenu un joueur important au FC Séville et ma progression a coïncidé avec celle de l'équipe qui est passée d'un club qui était heureux de se maintenir en première division à un club qui joue pour le titre et qui gagne des compétitions européennes. Je peux dire que je suis fier d'avoir fait partie de la meilleure équipe de l'histoire du FC Séville. Ne pensez-vous pas que vous avez un peu trop tardé à quitter Séville pour Barcelone ou pour une autre grande équipe ? On ne peut pas tout avoir dans la vie. Moi, je crois beaucoup en Dieu et je reste convaincu que tout ce qui doit nous arriver n'arrivera que par la Volonté de Dieu. Peut-être que si j'étais parti plus tôt de Séville, je n'aurais pas gagné tous les titres que j'ai gagnés à Barcelone. Pendant mes deux dernières années à Séville, j'ai tout fait pour partir, mais Dieu a voulu que je parte lorsque Lui le décidait. Comme s'il me disait qu'il avait quelque chose de meilleur pour moi si je patientais un peu. C'est aujourd'hui que je me rends compte que j'ai bien fait de ne pas partir plus tôt parce que je n'aurais pas joué au Barça, le meilleur club du monde et je n'aurais pas gagné tous les titres que j'ai pu gagner. J'ai ici quelques chiffres qui disent que vous avez joué 246 matchs à Séville et vous avez marqué 15 buts, le même nombre de buts avec Barcelone, mais avec seulement 212 matchs. Pourquoi cette différence, ce n'est pas parce que vous êtes gâté par Messi et les autres ? (Il rit franchement) allez voir le nombre de buts que Messi a marqués depuis que je suis à Barcelone et vous vous rendrez compte qui est en train de gâter l'autre ! Non, plus sérieusement, si je marque plus au Barça, c'est parce qu'on attaque tous ensemble. A Séville, c'était plus dur de marquer parce que ce sont deux philosophies de jeu complètement différentes. A Barcelone, je suis bien servi, j'ai donc beaucoup plus de possibilités de marquer. Avant de signer à Barcelone, vous aviez des offres plus intéressantes économiquement de la part du Real et de Chelsea notamment. Pourquoi avoir choisi de jouer au Barça et pas ailleurs ? Je suis une personne qui aime les défis, les grands défis. A cette époque, le Real Madrid venait de gagner le championnat, Chelsea également. Le Barça par contre avait touché le plafond et commençait à faire marche arrière. Il y avait à Barcelone une sorte de processus de reconstruction. Le club n'avait plus rien gagné pendant deux saisons, il y avait une irrégularité dans les résultats. Le fait que l'équipe était en pleine reconstruction a réveillé mon intérêt, je voulais participer à cette reconstruction depuis le début parce que je savais que si les résultats suivaient, j'aurais plus de mérite parce que j'aurais fait partie de ce changement. C'est cela qui me passionnait, qui me donnait envie de jouer à Barcelone et pas ailleurs. Quelque chose à l'intérieur de moi que je n'arrive pas à expliquer s'est réveillée pour me dire que je devais absolument dire oui à Barcelone. D'ailleurs, lorsque l'offre du Barça est arrivée, je suis allé voir le président de Séville et je lui ai dit texto : «Soit je joue au Barça, soit je ne joue nulle part». D'autre part, le fait que beaucoup de Brésiliens soient passés par le Barça et y ont laissé une trace m'a encouragé à venir. Je voulais aussi faire partie de cette chaîne de Brésiliens du Barça. Finalement, j'ai pu laisser ma trace moi aussi. Une petite trace peut-être, mais elle est là quand même. Vous avez en effet gagné beaucoup de titres avec Barcelone. Qu'est-ce qui vous fait encore courir ? Que vouliez-vous gagner de plus avec ce club ? En tant que joueurs d'un club comme le Barça, notre vie est un effort continu. Nous avons gagné les titres que nous avons gagnés, mais on nous demande toujours plus. Il ne faut pas aller loin. L'année passée, nous avons gagné quatre titres et les gens n'étaient pas contents parce que nous n'avons pas gagné la Liga et la Champions League. Vous savez, quand on gagne autant de titres, ça paraît facile de l'extérieur. On pense qu'il suffit de s'appeler FC Barcelone pour que tout devienne facile. Les gens ont eu de mauvaises habitudes et pensent que le Barça doit toujours gagner. Si on regarde les grands champions et les grandes équipes dans tous les sports, on se rend compte qu'après avoir atteint les sommets, ils ont tous eu besoin d'un temps de répit pour mieux rebondir. On monte puis on descend pour mieux remonter. C'est ce qui nous arrive à Barcelone, on a eu besoin de faire un pas en arrière pour bien prendre notre élan et rebondir de plus belle. C'est cela mon concept du pas en arrière. Ce n'est pas un pas en arrière pour tomber, non. Parfois, en ne voulant faire que des pas en avant, on risque de tomber et neplus se relever. Il y a un nouvel entraîneur, un nouveau staff, une énergie renouvelée, mais les ambitions restent les mêmes. Vous avez parlé d'un nouvel entraîneur. C'est quoi justement la différence entre Tito et Pep ? La différence, vous venez de la prononcer vous-même, c'est Tito et Pep, deux prénoms différents. Tout le reste est resté le même au club. Tito Vilanova était déjà dans le staff de Guardiola, alors ? Ne nous dites pas que les deux ont la même personnalité... Chacun de nous a sa propre personnalité. Chacun a sa façon de communiquer, de travailler, mais conceptuellement ils sont pareils. La preuve, rien n'a changé dans notre façon de jouer ni dans notre façon de comprendre le football. Il est évident que chacun a sa propre personnalité, une manière bien à lui d'aborder le joueur, mais le plus important c'est que la philosophie du football soit la même. ---------- Le rendez-vous avancé à la dernière minute Après des tractations qui ont duré plusieurs mois avec les responsables de la communication du FC Barcelone, un rendez-vous a pu être casé à 17h, pas loin du Centre sportif du club catalan. Ce jour-là, le Barça avait entraînement à 18h et Dani Alvès nous avait accordé vingt minutes seulement pour réaliser l'interview, très peu pour pouvoir poser toutes nos questions à un joueur de la trempe du Brésilien. Ce dernier l'a compris en avançant à la dernière minute notre rendez-vous au matin. «Comme ça, on sera moins stressés», nous a-t-il expliqué au téléphone. Il y a quand même des Brésiliens qui arrivent à l'heure Pris dans un embouteillage monstre dans la fameuse avenue Diagonal qui, comme l'indique son nom, traverse toute la ville de Barcelone, nous sommes arrivés à notre lieu de rendez-vous avec au moins dix minutes de retard. Avant de sonner à la porte, Silva Anderson, notre cameraman, lui-même brésilien, nous a rassurés : «Un Brésilien arrive rarement à l'heure, rassurez-vous, Dani ne sera pas là», nous a-t-il lancé, histoire de nous rassurer. Il avait finalement tort car dès que nous avons franchi le seuil de la porte, nous avons pu apercevoir Alvès derrière une vitre en train d'éplucher Sport, le quotidien du FC Barcelone. Lorsque nous nous sommes excusés du retard, il nous a vite rassurés : «C'est un peu ma faute aussi, j'ai changé l'heure du rendez-vous à la dernière minute.» «Bienvenue dans votre maison» C'est dans un bureau pas loin du centre d'entraînement du FC Barcelone, en dehors de la ville, que Dani Alvès nous a donné rendez-vous. Le bureau se trouvait au troisième étage d'un immeuble discret de cette partie de Barcelone tout aussi discrète. L'accueil de Dani Alvès était à la mesure de son immense talent. Après une poignée de main chaleureuse, Dani Alvès nous a vite mis à l'aise : «Bienvenue chez vous, ma maison est la vôtre.» A partir de là, tout est devenu très facile. -------- Dans la 2e partie, Dani Alvès parle : Des musulmans de la Liga Du nouveau Zidane qui joue au Brésil De la Coupe du Monde qui aura lieu chez lui Du départ de Pep Guardiola du Barça ... Et de beaucoup d'autres sujets croustillants Ne ratez surtout pas le Buteur de demain