Absence de marchés financiers ruraux dynamiques et efficaces : L'agriculture en Algérie pâtit de ses modes de financement qui restent aléatoires et archaïques. Toutes les réformes qu'ont connues les systèmes financiers n'ont hélas pas abouti à l'apparition de marchés financiers ruraux dynamiques et efficaces. Le challenge de la modernisation de l'agriculture en Algérie passe inévitablement par le développement de marchés financiers ruraux efficaces, notent plusieurs experts. Dans une étude, parue dans le dernier numéro des «cahiers de l'agriculture, Ali Daoudi et Betty Wampfler , respectivement professeurs aux Institut national agronomique Ecole nationale supérieure agronomique « Département d'économie rurale Hacène Badi d'El Harrach et IRC SupAgro de Montpellier, dressent un tableau critique du financement de l'agriculture, en Algérie. En somme, les deux spécialistes du monde rural affirment que le mal premier du développement de l'agriculture est le mode de financement. «Le secteur agricole souffre d'un sous-financement important et les banques ne contribuent que très peu dans le financement des besoins des exploitations», soulignent-ils, avant d'ajouter que «l'importance du crédit agricole dans la modernisation de l'agriculture de pays comme l'Algérie remet à l'ordre du jour les réflexions sur les conditions qui rendent ce crédit accessible aux agriculteurs. L'étude du fonctionnement des pratiques de financement informel, qui seraient très fréquentes dans l'agriculture algérienne, peut dégager des pistes de réflexion susceptibles d'alimenter le débat sur la réforme du système de financement agricole ». Selon les mêmes auteurs, c'est essentiellement «le manque d'information sur les détails opérationnels des exploitations, leur incapacité à fournir des garanties matérielles et l'importance des coûts de transaction seraient les principales raisons de cette exclusion». En Algérie comme dans les pays du Maghreb c'est «la frilosité des banques à l'égard du secteur agricole, selon l'étude, qui est accentuée par l'importance des risques climatiques qui rendent la production très aléatoire». Financement informel Le financement informel est une caractéristique des économies agricoles et rurales des pays en développement. En Algérie, «même si son existence est généralement admise, il reste une facette inexplorée de la réalité de l'agriculture», relève-t-on. Les auteurs considèrent que «la configuration de l'offre de financement informel varie avec la configuration de l'économie agricole de chaque région du pays. Ainsi, la concentration de l'offre de financement informel serait liée à la concentration d'une spéculation agricole donnée, elle-même déterminée par les paramètres agro écologiques». Les deux spécialistes du monde rural ont retenu quatre wilayas pour représenter les principales zones agro écologiques du pays : Blida pour les plaines littorales, Constantine pour les hautes plaines intérieures, Djelfa pour les zones steppiques et Tlemcen pour les zones de montagne. Dans chacune de ces wilayas, un échantillon de 100 agriculteurs a été enquêté en 2002. Les fellahs et le système D En l'absence des financements adéquats et formels, les fellahs sont obligés d'aller vers l'informel. Ces derniers sont, en revanche, fortement développés et organisés autour de quatre types de pratiques: «la vente sur pied avec préfinancement, l'association de production, le crédit fournisseur et le prêt entre particuliers», note l'étude. La vente sur pied avec préfinancement est le contrat classique par excellence. Cette forme de financement d'une récolte donnée est ici élargie par des clauses spécifiant la mobilisation, par l'acheteur, de ressources financières pour couvrir tout ou partie des charges de campagne. Cette mobilisation peut prendre la forme d'une avance sur le montant de l'achat de la récolte ou celle d'une contribution de l'acheteur dans la prise en charge directe de dépenses de production. «Les arrangements sont multiples et concernent surtout le partage des responsabilités techniques et financières de la conduite du processus de production. La négociation et la conclusion de ce type de transaction se font au début du cycle biologique de la production concernée», relève l'étude. «Cette pratique, exclusivement dédiée à l'arboriculture fruitière chez les attributaires des terres des ex-domaines publics, n'est rencontrée qu'à Blida, l'une des principales wilayas arboricoles du pays, où 56 % des enquêtés couvrent les charges d'acquisition des intrants agricoles grâce aux avances des commerçants collecteurs », notent les auteurs. Aussi, l'association de production est une pratique dans le milieu des fellahs. Il s'agit d'un type de transaction permettant à «des individus disposant de facteurs de production différents mais complémentaires de les combiner et de les faire fructifier dans le cadre de processus de coproduction». L'association de production concerne généralement des cultures annuelles, maraîchage et céréaliculture, et s'observe également en aviculture. Près de 38 % des enquêtés des quatre wilayas y ont recourus au moins une fois durant la période 1997-2002. Pour la campagne 2001-2002, 18 %, 18 %, 14 % et 1 % des enquêtés respectivement à Blida, Tlemcen, Constantine et Djelfa, ont pratiqué l'association de production pour au moins une spéculation agricole, 43 % des contrats recensés concernant les cultures maraîchères et plus de 39 % les céréales. L'autre mode de financement est de mise quand les fellahs recourent au crédit fournisseur d'intrants et de services agricoles. Dans ces transactions, des fournisseurs d'intrants ou de services agricoles accordent à des clients des facilités de paiement de leurs acquisitions en services et/ou en intrants. Plus de 71 % des fellahs visités par les deux auteurs de l'étude ont bénéficié, au moins une fois, d'un crédit fournisseur durant la période 1997-2002. Ce taux varie d'une wilaya à une autre : il est de 82 % à Djelfa, de 80 % à Constantine, 72 % à Tlemcen et de près de 61 % à Blida. Enfin, le prêt entre particuliers est également une pratique courante. D'après l'étude, «parmi les enquêtés, 72 % ont recouru au moins une fois à un emprunt auprès de particuliers pour financer une activité agricole productive durant la période 1997-2002. Dans environ 84 % des cas, ils en ont disposés pour une période allant de quelques semaines à quelques mois. La mobilisation de ces prêts n'est pas limitée à un type particulier de besoins et peut financer des charges courantes ou des investissements productifs. Ainsi, 11,6 % des investissements agricoles productifs réalisés durant la période 1997-2002 ont été financés grâce à des emprunts contractés chez des particuliers. Quant aux montants concernés, ils sont inférieurs ou égaux, dans plus de 72 % des cas, à 100 000 DA1». De par ces limites, le financement informel ne peut donc pas contribuer de manière significative au développement et à la modernisation dont a besoin l'agriculture algérienne, affirment les auteurs.