La résolution de la crise au Mali semble passer inéluctablement par Alger. En effet, le rôle-clé de l'Algérie pour résoudre la crise au Mali a été relevé lors d'une audition consacrée spécialement à la question malienne par la Chambre américaine des représentants, en présence de responsables du département d'Etat et d'experts des questions africaines. La sous-commission sur l'Afrique, relevant de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, a ainsi auditionné le secrétaire d'Etat adjoint pour les affaires africaines, M. Johnnie Carson, le chargé de l'Afrique auprès de l'Agence américaine pour le développement international (USAID), M. Earl Gast, ainsi que des experts des affaires africaines, MM. Nii Akuetteh et Rudolph Atallah. Dans son intervention, M. Carson a observé que le Mali était confronté à quatre crises distinctes mais étroitement liées : une crise politique découlant du coup d'Etat militaire, une rébellion menée par des groupes armés touaregs qui ont déstabilisé le nord du Mali, les menaces d'éléments terroristes ainsi qu'une crise humanitaire dans le Sahel. Au cours de son audition, il a considéré que si le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) et des éléments modérés du groupe armé Ansar al-Dine s'étaient dits prêts à négocier avec un gouvernement malien légitime, «la faisabilité d'un règlement négocié durable dépendra de la présence d'un interlocuteur'' d'un tel gouvernement. Abordant l'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), M.Carson a affirmé que cette dernière est en train de «tirer profit du chaos politique et de la vacuité du pouvoir au Mali afin de renforcer son bastion dans le nord malien». AQMI, a poursuivi M. Carson, «a clairement bénéficié de la prolifération des armes de la Libye et des combattants lourdement armés partis de la Libye vers des pays sahéliens, ainsi que des rançons considérables versées en contrepartie de la libération des otages européens». Selon lui, si cette organisation terroriste n'a pas réussi à mobiliser un nombre important de nouvelles recrues ou un soutien populaire dans la région, elle a réussi, toutefois, à maintenir sa présence dans le nord du Mali et résisté aux efforts visant à perturber ses lignes d'approvisionnement. Le coup d'Etat au Mali et le soulèvement des Touaregs, a-t-il jugé, ont entravé les efforts antiterroristes dans la région malgré que le MNLA et la grande majorité des Touaregs de la région aient résisté aux efforts d'AQMI d'établir des liens plus étroits. «Bien qu'AQMI n'a pas démontré la capacité de menacer les intérêts américains en dehors de l'ouest ou du nord de l'Afrique et n'a pas menacé d'attaquer le territoire américain, nous oeuvrons, néanmoins, pour contrer son influence», a noté le même responsable. Affirmant que la paix et la stabilité dans le Sahel sont «vitales pour les intérêts des Etats-Unis», il a fait valoir que «le territoire vaste et incontrôlable du nord du Mali fournit un refuge pour AQMI et d'autres groupes extrémistes qui peuvent se révéler de plus en plus efficaces pour cibler les intérêts occidentaux». A ce propos, il a avancé que les Etats-Unis «doivent aider le Mali et d'autres pays du Sahel à lutter contre cette menace transnationale». Evoquant les efforts diplomatiques américains engagés face à la crise politique au Mali, il a fait savoir qu'en plus de la pression exercée pour le rétablissement d'un gouvernement démocratique dans ce pays, les Etats-Unis «soutiennent le principe de l'appropriation régionale en encourageant les efforts de médiation de la CEDEAO» (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest). Sur ce point, il a souligné devant les parlementaires américains avoir encouragé «une collaboration régionale plus poussée en se rendant à Alger pour demander à l'Algérie, un acteur-clé, à participer aux efforts régionaux pour résoudre la crise au Mali». Il a également soutenu qu'une éventuelle mission de la CEDEAO pour reprendre militairement le nord du Mali est «inopportune et irréalisable». Concernant la question de la rébellion touarègue, il a indiqué que «les Etats-Unis ont encouragé la CEDEAO, l'Union africaine et des partenaires internationaux à résoudre cette question en intégrant l'Algérie et la Mauritanie». «La participation de ces deux partenaires, Algérie et Mauritanie, qui ne sont pas membres de la CEDEAO, sera capitale pour une solution durable», a insisté le collaborateur de Hillary Clinton. Sur le front de la lutte contre le terrorisme, il a affirmé que son pays travaille avec les pays voisins du Mali, dont la Mauritanie, le Niger et l'Algérie, pour renforcer la capacité de surveillance de leurs frontières, perturber les lignes d'approvisionnement d'AQMI et contenir la propagation de groupes extrémistes, jusqu'à ce que l'armée malienne puisse entreprendre efficacement ses opérations dans le nord. Présent également à cette audition, l'ex directeur du contre-terrorisme pour l'Afrique auprès du Pentagone, le lieutenant-colonel en retraite, M. Rudolph Atallah, a évoqué cette «relation complexe» entre les Touaregs et AQMI, qui est guidée, selon lui, par «une convergence d'intérêts et non d'idéologie». Tenant à préciser qu'il avait côtoyé, entre 2001 et 2003, les Touaregs du nord du Mali et ceux de plusieurs autres pays du Sahara, il a considéré que ceux qui cherchent à promouvoir la stabilité dans la région et à faire face à l'extrémisme violent, notamment d'AQMI, «ne devraient pas ignorer les Touaregs étant donné le rôle essentiel qu'ils jouent dans la sécurité et la croissance économique de la région». A propos de la présence «très active» d'AQMI dans le nord du Mali depuis plusieurs années, M. Atallah a affirmé que grâce aux rançons versées contre la libération d'otages occidentaux, cette organisation disposerait entre 70 à 150 millions d'euros au total. Réalité Au fil des ans, a-t-il relevé, la population locale arabo-touarègue ‘'a lentement appris à tolérer la présence d'AQMI en raison notamment de sa capacité à développer l'économie locale et à fournir des services de base dans une région pauvre qui se sentait abandonnée par son gouvernement''. Cependant, a prévenu M. Atallah, bien que l'action d'AQMI «semble avoir un impact positif» sur la population locale pour ce qui concerne l'amélioration de la qualité de leur vie, ‘'la réalité est tout à fait le contraire surtout sur le long terme. '' En effet, a-t-il expliqué aux parlementaires américains, AQMI compromet le développement économique de toute la région, en dissuadant les investisseurs et les touristes, et favorise la croissance de la criminalité organisée, ajoutant que cette organisation est responsable de la propagation de l'extrémisme violent dans des pays comme le Nigeria, où l'organisation Boko Haram a considérablement intensifié ses attaques au cours de la dernière année. Pour cet ex attaché de l'armée de l'air américaine dans six pays africains, bien que la communauté internationale n'accepterait jamais l'idée de reconnaître l'indépendance de l'Azawad, «les efforts doivent être faits pour soutenir le MNLA et les Touaregs qui s'opposent aux salafistes militants dans la région, dont AQMI». «Les Touaregs sont maîtres de leur environnement et peuvent jouer un rôle clé dans la stabilisation du Sahel en chassant les groupes extrémistes, mais ne peuvent le faire sans aide», a-t-il fait valoir. A ce sujet, il a soutenu que la communauté internationale et les pays voisins du Mali ne devraient surtout pas soutenir le régime actuel de Bamako dans son idée d'engager une intervention militaire dans le nord de ce pays, en qualifiant cette initiative de «contre-productive». Selon lui, la meilleure approche pour contrer la crise actuelle au nord du Mali est de créer une ‘'zone tampon'' autour des endroits où les salafistes opèrent afin d'empêcher l'entrée des produits illégaux dans la zone. A plus grande échelle, a-t-il poursuivi, «une approche régionale visant à cibler le trafic de drogue, de tabac et des armes doit être élaborée pour endiguer l'accès des terroristes à l'argent, sachant que la diminution des flux de trésorerie permettrait de tarir les fonds dont AQMI se sert pour recruter et se développer». Par ailleurs, cet ancien officier supérieur du département de la Défense a mis en garde contre toute intervention directe des Etats occidentaux, qui, a-t-il prévenu, «ne fera que renforcer la raison d'être des extrémistes et exacerber la crise». Dans ce sens, a-t-il suggéré, «la solution doit être négociée par les pays de la région et conduite par des experts régionaux». Selon lui, les priorités absolues reposent essentiellement sur «le partage efficace du renseignement entre les pays occidentaux et ceux de la région du Sahel et sur la coordination régionale pour extirper toutes les activités des salafistes dans la région». Auditionné par le Congrès en tant qu'expert indépendant des affaires africaines, M. Nii Akuetteh, a expliqué de quelle manière le Mali, le Sahel et la région de la CEDEAO sont importants pour les intérêts des Etats-Unis et de l'Europe qui, a-t-il avisé, «ont beaucoup à perdre en cas d'un enlisement de la situation au Mali». Outre les ressources naturelles dont elle regorge (pétrole, uranium, diamants, or...), la région de la CEDEAO, dont fait partie le Mali, se caractérise par son «emplacement stratégique», a-t-il argumenté. Sur ce point, il a cité le golfe de Guinée qui est «une voie maritime internationale majeure dont la vulnérabilité à la piraterie suscite déjà des inquiétudes». En outre, a dit cet expert, la quasi-totalité du trafic aérien entre l'Europe et l'Afrique passe au-dessus de cette zone, observant qu'un renforcement des capacités des terroristes «doit donner des nuits blanches aux responsables occidentaux». Pour lui, les intérêts sécuritaires de l'Occident susceptibles d'être mis en danger en cas d'aggravation de la situation au Mali «sont liés aux éventualités d'une prolifération accrue des armes, allant des missiles aux armes légères, de l'établissement d'un corridor de transit pour les stupéfiants (la cocaïne en provenance d'Amérique latine et l'héroïne acheminée d'Afghanistan) destinés à l'Europe, d'une recrudescence d'enlèvements des Occidentaux dans la région pour obtenir des rançons, et des attaques terroristes à l'intérieur des Etats-Unis et de l'Europe planifiées et montées à partir du Mali et de son voisinage». A partir de là, cet expert a considéré que le meilleur moyen pour les Etats-Unis de protéger leurs intérêts passe par deux voies majeures dont la première est de donner à la CEDEAO «toute l'assistance et les encouragements nécessaires» pour inverser la situation actuelle. La deuxième action que Washington doit engager, a-t-il insisté, est de nature diplomatique «en exerçant une influence multilatérale au sein du Conseil sécurité de l'ONU, et au niveau bilatéral avec des acteurs clés comme l'Algérie».