En s'obstinant à refuser à l'Algérie une hausse de la fiscalité pétrolière, la France a accéléré la décision des autorités algériennes de nationaliser, le 24 février 1971, les compagnies pétrolières françaises qui exploitaient les premiers gisements d'hydrocarbures découverts dans le Sahara. La première négociation sur la révision du prix fiscal imposable aux sociétés françaises opérant en Algérie s'ouvre à Alger le 24 novembre 1969 en vertu de l'accord pétrolier signé le 29 juillet 1965, à la demande de l'Algérie, qui s'est appuyée sur l'article 27 de l'accord (de 1965), stipulant que les deux gouvernements allaient examiner au cours de l'année 1969 la révision du prix fiscal. Si l'accord de 1965 a réussi à libérer l'Etat algérien de la camisole ou il était enfermé par les effets des accords d'Evian, il a offert cependant une fiscalité aménagée aux sociétés françaises dans l'espoir de relancer la prospection en Algérie, estime le négociateur en chef, M.Belaïd Abdeslam, alors ministre de l'énergie et de l'industrie. Les négociations de cet accord engagées en 1964 sous l'égide du président Ahmed Ben Bella et conclues sous le règne de son successeur Houari Boumediene, prévoyaient un prix fiscal de 2,08 dollars pour le fob de Bejaia, considérée comme une concession à ces sociétés pour mobiliser leurs moyens financiers en vue d'accentuer la prospection, avait confié à l'APS M. Belaïd Abdeslam. Côté algérien, la relance de la prospection, attendue par l'Association coopérative Algéro-française (Assccop), créée dans le cadre de l'accord de 1965 et à laquelle ont été confiée les riches zones de Hassi Messaoud et Hassi R'mel, tarde à venir. La France s'entête lors de la négociation de 1969 La plus importante révision de l'accord porte non seulement sur le prix fiscal retenu pour le calcul du revenu imposable des sociétés pétrolières françaises mais aussi sur la transformation des statuts de ces dernières en sociétés dans lesquelles l'Algérie détiendrait la majorité du capital lui permettant d'en contrôler le fonctionnement. L'Algérie est ainsi déterminée à imposer un nouveau prix fiscal égal à 2,85 dollars par baril. La première négociation de novembre 1969 à Alger est présidée par Belaid Abdesselam, alors ministre de l'Energie et de l'Industrie du côté algérien et par Jean-Pierre Brunet, directeur des Affaires économiques et financières au ministère français des Affaires Etrangères. Dés le début des négociations, les français ne sont nullement disposés à bouger dans le sens des demandes (fiscales) algériennes, établies sur des bases solides par la Sonatrach, devenue opérateur sur le marché mondial et possédant les données qui avaient cours sur le marché international, à l'opposé des discussions de 1965, où les négociateurs algériens n'avaient dans leurs bagages que leurs diplômes et leur militantisme nationale. La négociation, tenue dans la foulée du succès obtenu par la Libye concernant la hausse de la fiscalité imposée aux compagnies internationales opérant sur son sol et des décisions de l'Opep à Caracas qui exigeaient cette augmentation, n'a fait que renforcer la position algérienne d'aller de l'avant pour récupérer ses ressources naturelles. L'ultime et décevante rencontre avec la délégation française en juin 1970 conduit donc l'Algérie à sortir de ses gonds et à notifier le 20 juillet de la même année sa décision unilatérale d'imposer le nouveau prix fiscal aux sociétés françaises. Les négociations politisées L'affaire restée jusque là dans le cadre de négociations économiques s'est transformée dès lors en une affaire politique lorsque le président français Georges Pompidou s'est directement saisi du dossier en contactant le président Houari Boumediene par le biais de Reda Malek, alors ambassadeur d'Algérie à Paris. La négociation a été portée au plan politique, puisqu'elle se situait au niveau où elle engageait les deux chefs d'Etats. Ces discussions ont repris donc au niveau du président de la République, Houari Boumediène, représenté par M. Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères du côté algérien, et de François-Xavier Ortoli, ministre français de l'industrie. Le président français a alors proposé à son homologue algérien d'accepter de suspendre l'application de la décision annoncée aux sociétés françaises et d'ouvrir en contrepartie par anticipation la négociation sur une révision globale de l'accord de 1965 au titre de l'article 52, qui stipulait que le document pourrait être révisé dans sa globalité cinq ans après sa mise en oeuvre c'est-à-dire en 1971, raconte encore M. Belaïd Abdeslam. La négociation officielle menée alors sous le sceau des deux présidents algérien et français, a débuté le 28 septembre 1970 et s'est poursuivie pendant les premières semaines de l'année 1971. Du côté français, le même entêtement revenait sur la question d'accorder à l'Algérie une majorité dans le capital des sociétés concessionnaires françaises et sur une révision à la hausse du prix fiscal. Les négociateurs français présentent cependant une interprétation erronée des données du marché pétrolier international pour dénier à l'Algérie son droit d'améliorer ses ressources financières, qui lui revenaient de droit sur l'exploitation de son pétrole explique M. Belaïd Abdeslam. La délégation algérienne assiste ainsi à un raidissement des positions des négociateurs français, ne laissant apparaître aucune ouverture dans le sens des demandes algériennes. Mais M. Bouteflika a alors affirmé à ses interlocuteurs la volonté du gouvernement algérien de parvenir à ses objectifs par tous les moyens qui s'offrent à lui et que dans le cas où une solution satisfaisante ne serait pas mise au point autour de la table des pourparlers, l'Algérie emprunterait d'autres voies pour faire valoir les choix découlant des orientations de sa révolution. L'Algérie annonce les nationalisations C'est le 27 décembre 1970 en fait que s'est tenue la dernière rencontre entre les deux délégations et durant laquelle la France restait arc-boutée sur ses positions. Pour amener l'Algérie à renoncer à la revendication du contrôle des sociétés françaises, les négociateurs français ont sorti une dernière proposition, celle de mettre à la disposition de l'Algérie des parts de leur production pétrolière pour la commercialiser seule sur les marchés internationaux. Les français ont par la suite demandé la suspension des négociations en attendant les décisions de la réunion de l'Opep à Téhéran avec les délégués des grandes sociétés pétrolières internationales, une rencontre qui devait trancher sur l'action enclenchée par l'organisation à Caracas concernant les revendications des pays producteurs sur la hausse de la fiscalité pétrolière. En refusant de poursuivre la négociation, les responsables pétroliers français sont allés à contre courant de la décision de leur président, qui a préconisé ces pourparlers. Les français caressaient en effet l'espoir de voir les conclusions qui sortiraient de la capitale iranienne plus favorables à leurs prétentions. Mais les décisions de Caracas sont aux antipodes de leur souhait puisque les grandes sociétés pétrolières internationales anglo-saxonnes ont eu l'intelligence de lâcher du lest en faveur des peuples du tiers du monde et du monde Arabe, en acceptant d'augmenter la fiscalité pétrolière qu'ils versaient à ces pays producteurs. L'Algérie, anticipant l'impasse dans laquelle allait se trouver les négociations, a envisagé l'ultime option qui est les nationalisation, avec toutes les retombées économiques et diplomatiques qui pourraient en découler. Au cours d'un conseil des ministres, le président Boumediene déclare que si la négociation n'abouti pas le 31 décembre 1970, il procèderait à la promulgation de mesures de nationalisations. A Alger, tout le dispositif pour annoncer cette décision historique est prêt au 31 décembre 1970, comme prévu par le président Boumediene. Les textes des nationalisations, largement élaborés par Maître Djamel Lakhdari, étaient prêts et les équipes de cadres et techniciens qui devaient, dés l'annonce de cette mesure, prendre possession des sièges des sociétés françaises et de leurs installations pétrolières, sont constituées. Le président Boumediene prend la décision, après avoir consulté ses ministres des Affaires Etrangères et de l'Intérieur, MM. Bouteflika et Ahmed Medeghri, d'annoncer la nationalisation le 24 février 1971 à l'occasion de l'anniversaire de création de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA). A la maison du peuple, au siège de l'UGTA à la place du 1er Mai, à Alger, le président annonce la détention par l'Algérie de la majorité du capital des sociétés concessionnaires françaises, un acte de souveraineté qui complétait les nationalisations des compagnies américaines déjà opéré par l'Algérie en 1969. Avant la fin de l'après midi de la journée du 24 février, les sièges des sociétés nationalisées passent aux mains des équipes dirigeantes désignées par le ministère de l'Industrie et de l'Energie. Les nationalisations donnent à l'Algérie la possession de 51% dans le capital des sociétés françaises, qui elles n'en détenaient que 49%. Dans la SN Repal par exemple et dans laquelle l'Algérie détenait 50% des parts, la nationalisation n'avait pris que 2% des parts de l'autre partenaire. Pour ce qui est des modalités fiscales, l'Algérie généralise une disposition qui donne à l'Etat le droit de fixer seul le prix servant au calcul du revenu imposable des sociétés pétrolières. Le nouveau prix fixé par un décret signé par le président Boumediene.