Quand le pouvoir révolutionnaire, comme il était désigné alors, décida la nationalisation des hydrocarbures, l'Algérie vivait à l'heure du premier plan quadriennal. Le pays connaissait une grande stabilité politique. Il fallait surtout donner un sens et un contenu à la souveraineté qui devait s'appuyer sur la maîtrise des richesses du sous-sol. La nationalisation des hydrocarbures a été en fait un aboutissement de toute une démarche. L'Algérie a commencé à s'intéresser au relèvement des prix de cette matière indispensable aux industries de l'Occident mais qui n'ont jamais connu d'évolution depuis les années 1930. C'était un cartel de sociétés américaines, anglaises ou françaises qui fixait unilatéralement les cours du pétrole. Les pays producteurs se contentaient d'encaisser de symboliques royalties. FIXER LES PRIX L'expérience avortée de Mossadegh qui en 1951 avait tenté de nationaliser le pétrole iranien était encore dans les esprits. Toucher des intérêts dans ce domaine était un vrai risque. En 1969, l'Algérie décida de fixer le prix du baril à 2,80 dollars au lieu de 2,08 dollars. La décision avait suscité une levée de boucliers comme s'il ne fallait pas avoir un droit de regard sur les hydrocarbures. Repal, Gaz de France ou la CFP, sociétés de droit français, exerçaient un monopole qu'elles ne voulaient nullement voir remis en cause. La doctrine économique algérienne qui s'appuyait sur l'étatisme allait se confronter directement à ces intérêts étrangers surtout français. Certes, en application des Accords d'Evian, les Français avaient un droit d'exploiter mais à titre d'opérateurs. Belaïd Abdeslem qui au lendemain de l'indépendance avait pris une grande part à la gestion de ce dossier explique dans un livre d'entretiens avec Ali El Kenz et Mahfoud Bennoun (le Hasard et l'histoire Enag 1990) que « les Français ne pouvaient rien faire dans ce domaine sans l'aval de l'Algérie. Et cet aval, l'Algérie devait dorénavant le monnayer ». C'est une épreuve de longue haleine ponctuée de révisions d'accords sur la fiscalité notamment, la reprise en 1967 du réseau de distribution de BP, de Shell qui se conclura par la nationalisation de février 1971. LES MOYENS DE SA POLITIQUE Il faut lier celle-ci et celles qui l'avaient précédée (banques, cimenteries, mines....) avec la stratégie de développement. Elles donnaient en quelque sorte un « contenu social à la révolution algérienne ». Rédha Malek, qui a pris part à la rédaction de nombreux documents doctrinaux, évoque cette relation : « Au-delà de l'indépendance, objectif principal de la guerre, était entrevu ce qui allait devenir le contenu socio-économique de la révolution ». Les recettes qu'allait générer l'exportation des hydrocarbures allaient servir au financement de la stratégie industrielle dont la construction de nombreux complexes pétrochimiques, d'industries lourdes ou légères qui forment encore l'ossature de l'industrie nationale. Ministre de l'Energie en ce février 1971, Belaïd Abdeslem explique : « Le problème essentiel était de savoir sur quels moyens financiers pouvions-nous compter pour entreprendre telle ou telle chose ». Avant cette date, les Algériens devaient tenter de jouer et de s'imposer sur le registre de la fiscalité pour tenter d'obtenir plus. Après, la maîtrise de cette ressource et des gigantesques moyens mettra le pays à l'abri des besoins de financement. La mesure de nationalisation a été le terme d'un processus de négociations mené par une équipe dirigée par Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères. Rendue publique en cette date symbolique du 24 février, elle n'a pas été acceptée de gaîté de cœur. On a tour à tour parlé de coup de force à Alger et les Français ont tenté de forcer la main aux Américains pour bloquer le financement du complexe d'Arzew par Eximbank. Il s'agissait surtout d'une détermination de récupérer ses propres richesses, de mettre fin à leur bradage. L'Algérie qui a su jouer des contradictions entre pays capitalistes aux intérêts divergents fut la pionnière dans cette bataille qui allait marquer les années 1970. Grâce au pétrole, on avait alors rêvé d'un nouvel ordre mondial. Les nationalisations suivirent en cascade (Irak en juin 1972...). Les choses se sont depuis retournées mais ceci est une tout autre histoire.