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Face à l'inflation et la détérioration du pouvoir d'achat des Algériens, la sphère informelle, produit de l'incohérence de la réforme globale en Algérie
Publié dans Le Financier le 13 - 12 - 2009

Dr Abderrahmane Mebtoul / Expert International – Economiste
3ème partie et fin
5.- Sphère informelle et dérapage du dinar
Cinquièmement, il convient d'analyser les liens entre la sphère informelle et la cotation du dinar sur le marché parallèle. On ne peut isoler la sphère réelle de la sphère monétaire. La cotation du dinar sur le marché parallèle n'est que le reflet de l'Etat dualiste de la sphère économique. Le cours du dinar sur le marché parallèle en ce mois de décembre 2009 dépasse 120 dinars un euro dont avec la crise mondiale l'épargne de l'émigration ayant été affectée (diminution de l'offre) n'explique pas tout, l'explication essentielle étant le grossissement de la sphère informelle (accroissement également de la demande). Pour rappel, nous avons le paradoxe des réserves de change de plus de 144 milliards de dollars fin 2009, presque équivalentes au produit intérieur brut. Par ailleurs, en neuf mois, la monnaie nationale a perdu près de 25% de sa valeur face à l'euro et 15% par rapport au dollar, ce qui constitue une anomalie de la politique de la Banque centrale d'Algérie, car sur le marché boursier, ces deux monnaies n'évoluent pas dans le même sens. L'Algérie produit presque toutes ses richesses en dollars: 98% des recettes du pays sont issues des exportations d'hydrocarbures et importe plus de 60% en euros le cours approchant actuellement 1,50 dollar un euro. À cela s'ajoute le fait que sur les 144 milliards de dollars de réserves de changes, une grande fraction est libellée en dollars dont plus 44 milliards de dollars placés en bons de trésor américain, alors que le taux directeur de la FED approche zéro, idem pour les autres banques centrales. Comme conséquence où tout se traite en cash alors que dans les pays développés au-delà de 100 dollars est exigé la carte de crédit afin d‘éviter l'évasion fiscale. D'ailleurs, cela pose un problème fondamental non tranché par les spécialistes ; le dinar par rapport aux monnaies-clefs est-il en équilibre, l'explication que sa cotation étant liée au cours du pétrole ne tenant pas. Pour preuve, au moment où le cours dépassait 140 dollars, il n'y a pas eu de réévaluation. D'où avec ce dérapage du dinar, l'impact de la sphère informelle sur le pouvoir d'achat des Algériens. Car, le constat est donc amer, pour les petites bourses, en l'absence de mécanismes de régulation et de contrôle, les prix des produits de large consommation connaissent des augmentations continues, les discours gouvernementaux et les organisations censés sensibiliser les commerçants ayant peu d'impacts, prêchant dans le désert, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques, comme il y a lieu de dénoncer ce mythe entretenu en Algérie- que l'inflation est d'origine salariale- alors que l'essence est l'accroissement démesuré des dépenses improductives de l'Etat. Même la déflation au niveau mondial (baisse des prix) n'a pas profité ni aux consommateurs, ni aux producteurs algériens à cause de la dévaluation du dinar évoquée précédemment, et on ne peut invoquer l'inflation importée. Un grand nombre d'intermédiaires entre le producteur et le consommateur (agriculture et industries tant pour la production locale que pour les importations) prend des marges non proportionnelles aux services rendus, ce qui fait que le contrôle sur le détaillant ne s'attaque pas à l'essentiel. Or, la sphère informelle contrôle quatre segments-clefs : celui des fruits et légumes, de la viande, celui du poisson pour les marchandises locales et pour l'importation, le textile- chaussures. Avec la détérioration du pouvoir d'achat de la majorité, car il s'agit d'analyser les liens entre l'accumulation et la répartition des revenus par couches sociales, enquêtes inexistantes en Algérie, l'enquête de septembre 2007 du CNAEP montre que 70% des revenus vont aux besoins essentiels ; mais avec l'inflation de retour depuis fin 2006 (4/4,5% entre 2007/2008, plus de 5,7% en 2009 selon l'officiel et selon nos enquêtes par échantillonnage entre 2008/2009, et certainement pour 2010, 80% du revenu moyen des ménages s'adressent à cette sphère donc la renforçant. L'inflation, étant par définition source de concentration du revenus au profit des revenus variables, dont un grand segment est la sphère informelle, si l'on maintient ce mode de gestion, le risque entre 2010/2013 , avec les dépenses improductives sera -à la fois la détérioration du pouvoir d'achat de la majorité avec une concentration excessive- au profit d'une minorité rentière et l'extension de la sphère informelle. Pour preuve, il n'existe pas de corrélation entre les dépenses publiques 200 milliards de dollars entre 2004/2009 et le taux de croissance inférieur à 3% pour cette période, montrant un gaspillage des ressources rares, car ces dépenses auraient dû occasionner un taux de croissance supérieur à 7/8%, s'agissant d'éviter de vendre des illusions de 5/6% de taux de croissance hors hydrocarbures, car plus de 80% de ces segments sont irrigués par la dépense publique via la rente des hydrocarbures ( secteur privé et public) ne restant que 20% d'entreprises, véritables créatrices de richesses.
6 - Sixièmement, poser les liens entre la sphère informelle et la gouvernance
La construction d'un Etat de Droit est inséparable de l'instauration d'une véritable économie de marché reposant sur l'entreprise créatrice de richesses et ce, afin de pouvoir favoriser une saine concurrence et attirer les flux d'investissement nécessaires pour une croissance. Elle est le produit de la bureaucratie dominante en Algérie favorisant ainsi la corruption. Car il ne suffit pas de crier sur les toits que cette sphère ne paye pas les impôts. Il faut expliquer les raisons de son existence et de son extension et surtout les actions à mener pour son intégration, dans la mesure où la sphère informelle n'est pas le produit historique du hasard mais trouve son essence dans les dysfonctionnements des institutions de l'Etat. Les ex-pays du camp communiste ont connu l'ampleur de cette sphère informelle et ont réussi à l'éradiquer grâce aux réformes. Et l'Italie a su également l'intégrer rapidement depuis qu'elle est membre actif de l'Europe. Aussi, les obstacles ou la rapidité de la construction d'un Etat de droit et d'une véritable économie de marché concurrentielle qui fait que cette sphère diminue ou s'étend. Cela pose d'ailleurs la problématique de la construction de l'Etat et ses nouvelles missions en économie de marché. C'est faute d'une compréhension l'insérant dans le cadre de la dynamique sociale et historique que certains la taxent de tous les maux, paradoxalement par ceux mêmes qui permettent son extension en freinant les réformes. Pourtant cette sphère représente la majorité des activités si l'on excepte le cas spécifique en Algérie du secteur des hydrocarbures. Cela ne concerne pas uniquement les catégories économiques mais d'autres segments difficilement quantifiables. Ainsi, la rumeur est le système d'information informel par excellence, accentué en Algérie par la tradition de la voie orale, rumeur qui peut être destructrice, mais n'étant que la traduction de la faiblesse de la démocratisation du système économique et politique, donnant d'ailleurs du pouvoir à ceux qui contrôlent l'information. L'utilisation de divers actes administratifs de l'Etat à des prix administrés du fait des relations de clientèles transitent également par ce marché grâce au poids de la bureaucratie -qui trouve sa puissance par l'extension- de cette sphère informelle. Cela pose d'ailleurs la problématique des subventions qui ne profitent pas toujours aux plus défavorisées (parce généralisables à toutes les couches) rendant opaques la gestion de certaines entreprises publiques et nécessitant à l'avenir que ces subventions soient prises en charges non plus par les entreprises mais budgétisées au niveau du Gouvernement après l'aval de l'APN, pour plus de transparence et une bonne gouvernance. Le cas de Sonelgaz est un exemple patent. Car, toute analyse objective de la sphère informelle doit partir d'une analyse globale, car les différents segments de la sphère réelle et informelle entretiennent des relations diffuses et complexes et il serait utopique de l'autonomiser. Cette situation menace le fondement de l'Etat lui-même, posant toute la problématique de la sécurité nationale, car existe une corrélation entre l'extension de la sphère informelle et le divorce Etat/citoyens, alors que son intégration intelligente selon une vision cohérente, sa légalisation au moyen de la délivrance facile des titres de propriété, du registre du commerce devient urgente. Car ces entrepreneurs sont acquis par définition à l'économie de marché puisque pratiquant ses règles qui sont la satisfaction d'une demande solvable. Le défi donc de l'Algérie pour intégrer cette sphère informelle est le passage d'une économie de rente à une économie productive y compris les services qui ont un caractère de plus en plus marchand. Pour cela il y a lieu de tenir compte des deux fondamentaux du développement du XXIème siècle, la valorisation du savoir et une gouvernance rénovée dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux, étant utopique de revenir aux années 1970 d'un développement reposant sur le Tout Etat. Gouverner étant de prévoir, les défis qui attendent l'Algérie sont immenses du fait de l'important retard accusé dans les réformes se réfugiant dans le court terme par des dépenses monétaires colossales, sans se préoccuper de la bonne gestion, assurant une paix sociale fictive, dépenses dues non au travail et à l'intelligence mais grâce à cette ressource non renouvelable que sont les hydrocarbures. L'Algérie, selon les scénarios les plus optimistes, tendra vers l'épuisement des hydrocarbures dans 20/25 ans et le scénario pessimiste 16 ans et surtout les prévisions pessimistes de l'AIE du début décembre 2009 d'une chute du prix de cession du gaz pendant au moins 4/5 ans du fait d'une surproduction, représentant pour l'Algérie 1/3 de ses recettes. Or, 2025/2030, c'est demain.
L'Algérie a déjà 47 années d'indépendance politique. Donc, cela passe par les réformes- dont la base philosophique est la liberté d'entreprendre loin de toutes entraves bureaucratiques et la Démocratie- démocratie politique, économique, sociale et culturelle étant solidaires. Donc l'intégration de la sphère informelle passe par une transparence totale et une clarté sans nuance dans la pratique politique et les hommes chargés par la Nation de la faire car la gouvernance est une question d'intelligence et de légitimité réelle et non fictive, impliquant la refondation de l'Etat algérien, pour une société participative et citoyenne tenant compte de notre anthropologie culturelle.


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