Les économies africaines demeurent encore dépendantes de leurs exportations de matières premières car : «pour l'instant, il n'y a pas de changement de la structure des exportations africaines», selon Philippe Hugon, économiste et directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). L'Afrique reste essentiellement exportatrice de ma-tières premières du sous-sol, de produits miniers, hydrocarbures et de produits du sol. Donc, on peut considérer que l'on est dans des relations post-coloniales, qui conduisent à une mauvaise spécialisation internationale. C'est tout à fait exact. Ceci étant, le commerce avec la Chine a quand même décuplé depuis le début du XXIème siècle; il atteint aujourd'hui environ cent milliards de dollars. Il y a énormément de projets d'investissement, notamment d'infrastructures». Aujourd'hui, l'économiste français relève qu' «on voit bien que l'Afrique est très diversifiée, avec ses partenaires asiatiques, avec les pays émergents, avec les pays pétroliers du monde arabe ou de l'Iran, avec ses liens avec le Brésil et donc, on a quand même une très grande différence par rapport au moment des indépendances». Cette «diversification des partenaires a des inconvénients mais en même temps, donne plus de marge de manœuvre aux Etats. Et l'on peut dire qu'il faut voir ça dans le long terme. Ce qu'il faut voir, c'est si ces relations se diversifient et s'intensifient, il n'y aura pas quand même une remontée en gammes de produits, d'investissements notamment chinois, ou indiens, ou brésiliens, ou de pays du Golfe, qui vont conduire à ce que l'Afrique se spécialise dans des produits à plus haute valeur ajoutée. C'est vrai que pour l'instant, on reste encore dans une spécialisation où l'Afrique exporte des produits primaires, dont les prix sont très instables et dont la valeur ajoutée est faible. Elles importe des produits manufacturés ou des projets de BTP», a-t-il noté. Selon lui, même avec cette diversification de partenaires, «le décollement espéré des économies africaines n'a pas eu lieu», mais demeure optimiste mais réaliste pour les pays africains qu'il désigne de «mauvais élèves de la classe internationale». Néanmoins, des exceptions comme le Botswana, qui «a relativement bien géré sa rente de diamants» ou encore l'Ile Maurice, qui «a très bien géré sa rente sucrière», sont à relever pour Hugon, car «la question effectivement, c'est que ces ressources naturelles minières ou pétrolières ne conduisent pas à ce qu'on appelle une malédiction des ressources naturelles, c'est-à-dire, ne favorisent pas simplement des régimes rentiers et que, par contre, ils rapportent des devises, apportent des recettes publiques, qui puissent financer le développement, c'est-à-dire à la fois, l'éducation, la santé, les projets de PME, les projets industriels. Un des enjeux majeurs par exemple, serait que le budget des Etats soit déconnecté des recettes des ressources primaires pour qu'elles ne subissent pas les effets des instabilités de ces ressources naturelles. L'autre enjeu, c'est la transparence. Il y a plein d'enjeux derrière les ressources naturelles». Il reconnait qu' «il n'y a pas eu suffisamment de croissance économique importante et que le revenu par tête est à peu près le même qu'il était en moyenne lors des indépendances. On sait les maux dont souffre l'Afrique en termes de malnutrition, de conflits, etc… Donc, c'est vrai qu'il y a beaucoup d'éléments qui conduisent à être pessimiste et à considérer que l'Afrique n'a pas su connaître un démarrage économique. Mais en même temps, il y a énormément d'éléments qui font que l'Afrique aujourd'hui n'a pratiquement rien à voir ou très peu avoir, avec ce qu'elle était au moment des indépendances». Hugon explique les changements en Afrique par «d'une part, évidemment, il y a l'aspect démographique, le fait que les populations étaient majoritairement rurales, alors qu'elles sont maintenant presqu'à moitié urbanisées. Le fait qu'au moment des indépendances, il y avait très peu de scolarisation et encore moins de formations universitaires, et qu'aujourd'hui, l'Afrique produit des élites, qui, hélas parfois, effectivement, quittent le continent. Mais elle a un niveau de scolarisation sans comparaison». Pour lui, «en Afrique, maintenant, les pays ont quand même leur souveraineté. Ils participent à la construction de l'architecture internationale, ils font parfois entendre leurs voix. Et puis, l'Afrique s'est mondialisée. Au moment des indépendances, par définition, les pays africains étaient encore très dépendants de leurs ex-métropoles et la décolonisation s'est traduite par une mondialisation, c'est-à-dire par une diversification des partenaires. Alors, d'une part, une européanisation évidemment des relations puisque l'Europe a pris en partie le relais des anciennes puissances coloniales». L'aide chinoise est-elle une menace? Pour cet expert de l'Iris au sujet des pays africains qui se tournent vers l'aide chinoise plus immédiate : il dira que «le risque existe tout à fait, notamment pour les bailleurs de fonds occidentaux. Cependant, je crois qu'il faut voir d'une part, qu'on peut fortement améliorer la vitesse de déblocage des fonds, notamment de l'Union européenne. D'autre part, il faut aussi être très vigilant sur la nature de l'aide des pays émergents, notamment de la Chine, parce que c'est une aide qui, actuellement, se fait essentiellement sous forme d'accord de troc. Il n'y a pas de conditionnalités, sauf une reconnaissance de Taïwan. Un des grands risques de l'aide chinoise est qu'elle finance des projets d'infrastructures, moyennant accès aux ressources minières ou aux ressources pétrolières, mais que par contre, elles n'assurent pas l'entretien (ce qu'on appelle les charges récurrentes de ces infrastructures), les pays africains se retrouvent fortement endettés. Souvent, ce sont des prêts à taux zéro mais il y aura quand même le capital à rembourser». «L'aide a été souvent mal utilisée», affirme-t-il car «d'abord, toute une partie de l'aide n'est pas rentrée directement dans les pays, parce qu'il y a, disons, un mode de calcul de l'aide qui fait que l'aide, ce n'est pas uniquement ce qui rentre financièrement dans les pays. Et d'autre part, c'est vrai que l'aide a eu souvent des effets pervers. Elle a plutôt souvent financé des projets à forte intensité «capitalistique», des projets comme des hôpitaux modernes alors que le pays n'a pas de réseau d'électricité ou n'a pas le personnel pour entretenir ces hôpitaux, etc» en soulignant qu' «il y a du gaspillage». Il est «partisan de l'aide avec évidemment des conditionnalités en termes de résultats. Je pense que les bailleurs de fonds, qu'ils soient bilatéraux ou multilatéraux, doivent apporter des fonds dont les pays à très forte croissance démographique ont besoin, pour l'éducation, la santé et dans différents domaines très importants, mais il faut évidemment que ces aides soient accompagnées de conditionnalité de résultats». Toutefois, estime-t-il, «ce n'est pas aux bailleurs de fonds de dire quelles doivent être les bonnes politiques économiques mais par contre, s'ils apportent des fonds sous forme de prêts ou de dons, ils peuvent savoir à quoi ont servi effectivement - lorsque ces fonds sont allés dans des budget - quels sont les résultats en terme d'éducation, de santé ou d'objectifs qui sont définis, comme les objectifs du millénaire du développement. Derrière la critique de l'aide, il faut être très, très lucide. C'est vrai que l'aide a souvent eu des effets très pervers mais l'Afrique a encore besoin d'aide actuellement». Il a soutenu que «le gros problème, c'est que l'Afrique n'a pas les garanties pour accéder aux conditions de marché pour les flux financiers». L'élite africaine, un gisement inexploité Philippe Hugon présage un avenir prometteur pour l'Afrique -car elle «dispose d'un capital humain important -mais on va avoir une population, qui de 1 milliard actuellement, va passer à 2 milliards en 2050. Cette projection change très fortement la donne». De plus, elle «est une réserve absolument stratégique de diversification des ressources naturelles, notamment minières et pétrolières et donc, de ce point de vue là, elle a des atouts très importants. L'Afrique a également un capital, ce que l'on appelle un capital naturel, en termes forestier, en termes de biodiversité, qui peut être tout à fait valorisé», a-t-il assuré. Par ailleurs, «le continent est maintenant connecté à des réseaux internationaux de téléphone, d'internet, et donc, si ces élites sont véritablement présentes - si elles ne s'expatrient pas pour mettre leurs compétences au profit d'autres pays - si on a des régimes qui sont suffisamment bien gérés et qui permettent d'utiliser au mieux les compétences, je crois qu'il n'y a pas de doute à se faire sur l'avenir de l'Afrique, dans les vingt ans ou trente ans qui viennent. Mais ça suppose un certain nombre de conditions, dont on n'est pas sûr qu'elles se réalisent», a indiqué M. Hugon en tant que spécialiste de l'Afrique. Pour cet économiste, la scolarisation en quantité et en qualité surtout ainsi que les soins demeurent un frein au développement de certaines économies africaines en dépit des efforts enregistrés entre 2007 et 2008. «Ce sont des priorités absolues. Mais ces priorités supposent des financements qui sont des financements publics», a-t-il précisé.