Après Ali Zaoua, prince de la rue, en 2000, le réalisateur franco-marocain, s'est offert une nouvelle incursion dans l'univers (féérique) des contes. Cette fois, son héroïne s'appelle Lola, une jeune américaine qui va découvrir la culture égyptienne grâce à l'amour et à la danse.Lola, 25 ans, est une factrice new-yorkaise qui se partage entre son travail et sa passion pour la danse. Son meilleur ami Youssef, un Egyptien, lui fait découvrir une légende de la danse orientale dans son pays, Ismahan. Quand elle rencontre Zack, un Egyptien également, elle ne sait pas que l'amour va la mener à la rencontre de celle qui est devenue désormais son idole. Whatever Lola wants est comme le décrit son réalisateur, le franco-marocain Nabil Ayouch, un " conte moderne " qui parle de dialogue entre les peuples. Quand elle débarque au Caire, la jeune Américaine prend le risque de se heurter à une culture égyptienne pétrie de tabous, à une ancienne gloire qui en fait les frais. Cette envie frénétique d'en apprendre plus sur la danse orientale est le passeport qui lui ouvrira toutes les frontières, y compris celle des coeurs. Nabil Ayouch, à l'instar de ses héroïnes Lola et Ismahan, réunies à la croisée des chemins entre Orient et Occident, joue la carte de la (ré)conciliation entre deux régions qui lui sont chères. Afrik.com : Le personnage de Lola a quelque chose de très innocent dans sa démarche, comme Ali et ses amis dans Ali Zaoua, prince de la rue, votre précedente fiction. Serait-ce s'avancer que de dire que la thématique de l'innocence vous interpelle ? Nabil Ayouch : Pas l'innocence, le rêve. La capacité à croire qu'on peut déplacer des montagnes. Les amis d'Ali Zaoua veulent lui offrir le plus bel enterrement possible alors qu'ils sont des enfants des rues. Lola, elle, part vers son destin et vers une rencontre, a priori improbable, entre l'Orient et l'Occident. Avec Ismahan, elle arrive à créer un pont. Afrik.com : Les femmes sont les vraies héroïnes de ce film. Ne serait-ce parce qu'elles font preuve d'une volonté inébranlable... Nabil Ayouch : Les femmes ont des qualités que les hommes n'ont pas. Des qualités qui peuvent permettre de se réconcilier. Les femmes trouvent tout à fait leur place dans une oeuvre qui appelle à transcender nos différences. On nous fait croire que parce que nous sommes différents, nous ne sommes pas capables de nous parler. Pour moi, c'est l'inverse, parce qu'on est différent, on a des choses à se dire. Il faut que nous soyons en mesure d'exprimer nos différences, de les assumer et de les transcender. Afrik.com : Lola et Ismahan ont-elles été pensées comme des prototypes de cet Occident et cet Orient entre lesquels vous lancez cette passerelle ? Nabil Ayouch : Chacune d'elle incarne, plus que ne représente, certains éléments de leurs sociétés respectives. Pour Lola, une certaine naïveté de l'Occident, des Etats-Unis, pour Ismahan, la sagesse. Elles sont néanmoins loin de représenter de grands ensembles géopolitques parce qu'elles ont leur identité propre. Afrik.com : En filigrane, votre film est une critique du statut des femmes dans la société égyptienne, de l'homophobie. Youssef, le meilleur ami égyptien de Lola, est homosexuel. On pense d'ailleurs à L'Immeuble Yacoubian… Nabil Ayouch : Plus que de la société égyptienne, c'est une critique du monde arabe en général. La meilleure chose qu'on puisse faire aujourd'hui en tant que cinéaste oriental, arabe, c'est d'être capable de critiquer, nous-mêmes, notre société. Il y a des choses qui fonctionnent, d'autres moins, j'ai envie de dire les deux. Si nous ne le faisons pas, d'autres le feront avec leurs caricatures, leurs idées reçues. Quand vous regardez les films que font en général les Américains sur le monde arabe, il s'agit soit de guerre, soit de terrorisme. On a l'impression que l'Orient est complètement déshumanisé. C'est à nous artistes de cette région du monde, c'est pareil pour l'Afrique, pour l'Asie, l'Amérique latine, de faire des films sur notre société. Afrik.com : C'est votre façon à vous, en tant qu'artiste arabe, de rééquilibrer la balance même si on peut vous reprocher la forme ? Whatever Lola wants est un film qui prend le parti, même s'il les évoque, de lisser l'importance des chocs culturels. Finalement, on se dit qu'il n'y a que dans un film que ça peut arriver... Nabil Ayouch : C'est un film qui a plusieurs niveaux de lecture. Certains y verront du divertissement pur à cause du format : danse, musique…D'autres y verront, à la lumière de leur vécu, des choses plus personnelles, plus intimes. Les choses ne se font pas si simplement que cela. C'est aussi le rôle du cinéma de prendre des raccourcis, contrairement à la vraie vie. Whatever Lola wants est un conte moderne. Pour rentrer dans ce film et pour l'apprécier, il faut accepter de se plier à ses codes. Afrik.com : La danse orientale est au cœur de cette fiction. Pourquoi ce clin d'oeil ? Nabil Ayouch : La danse est un véritable lien visuel et organique. Il y a très peu de choses qui nous permettent de nous rassembler autour d'une émotion, à l'exception des arts et du sport. Whatever Lola wants est un hommage à la danse orientale, une danse qui a trois mille ans. C'est une danse de la procréation, c'est pour cela qu'on parle de danse du ventre. Afrik.com : Laura Ramsey est tout sauf une danseuse professionnelle. Contrairement à Lola, qui n'apprend que la danse orientale, elle a tout appris. Elle réalise une véritable performance. Et pourtant, ce n'était pas votre préférée pendant le casting... Nabil Ayouch : C'est une sacrée performance. Au début, non. Mais en prenant de la distance, je me suis rendu compte à quel point elle était belle, sensuelle mais surtout espiègle. La danse, ce n'est pas que le corps, c'est aussi l'expression du visage. C'est une interprétation. Afrik.com : La chanson Whatever Lola wants, revue et corrigée par Natacha Atlas, est une véritable trouvaille, la sienne d'ailleurs. Qu'est-ce qui vous a poussé à vous rapprocher d'elle pour travailler sur la bande originale ? Nabil Ayouch : Je souhaitais que les standards occidentaux soient revus d'un point de vue oriental. Whatever Lola wants est une vieille chanson de jazz de Sarah Vaughan, qui date des années 50, à qui on a fait subir cette métamorphose. Natacha Atlas a réussi, également, avec la musique à bâtir des ponts entre l'Orient et l'Occident, ce que j'ai voulu faire avec ce film. Elle est l'une des artistes qui a le mieux réussi dans cette démarche. Par ailleurs, Natacha a une voix unique et envoûtante. Afrik.com : Que représente votre dernier long-métrage dans votre filmographie ? Nabil Ayouch : Une forme de réconciliation entre deux parties de moi-même. Afrik.com : C'est difficile de vivre sa double identité ? Nabil Ayouch : Quand on est jeune, oui. On a besoin d'ancrage durant cette période de sa vie, de repères et de références. Quand on grandit, on finit par se rendre compte que la diversité est plus riche, encore plus quand elle vient de l'intérieur.