«Ce que j'aime vraiment dans l'écriture de théâtre comme de scénario, c'est le fait qu'on écrit juste la clé de sol et que quelqu'un d'autre va apporter la clé de fa, en l'occurrence les acteurs.» Auteur de pièces de théâtre et coscénariste avec des réalisateurs maghrébins, Nathalie Saugeon a accepté de venir nous voir à L'Expression et nous confier sa fabuleuse aventure et son expérience sur le film Mascarades de Lyès Salem. Elle évoque aussi son amour démesuré pour l'écriture sous ses différentes formes...Elle nous révèle avec son regard «naïf», dit-elle, la valeur universelle de tous les sujets sur lesquels elle a travaillé que ce soit en Algérie ou au Maroc, au Maghreb en somme. L'Expression: Vous avez coécrit avec Lyès Salem le film Mascarades. En tant que femme française, que pensez-vous avoir apporté comme regard extérieur, on va dire au scénario? Je n'ai pas l'impression d'avoir apporté une touche française. Lyès, quand il est venu me voir avec ce projet, toute son histoire était très charpentée. Il a vraiment un univers à lui. Il savait déjà ce dont il avait envie de parler. Après, techniquement, reste à savoir comment pouvoir raconter cette histoire, en termes de rythme etc.; même ça, ça vient fondamentalement après. Je pense, de toute façon, que Lyès est un acteur, aussi un réalisateur, mais c'est avant tout un auteur. Je me suis pliée à sa demande pour... Et c'est très universel en même temps. Moi je pouvais par contre rapporter des choses qui résonnent très français et il me disait: «ça, non, c'est impossible en Algérie.» C'était la même chose avec Nabil Ayouche sur le film Ali Zaoua. Justement, ce film marocain raconte l'histoire de quatre gamins dans un milieu défavorisé du Maroc. Comment vous-êtes vous investie dans cette histoire? Quand Nabil est venu me voir avec cette histoire, pour le coup, ce n'était pas comme Lyès. Ce dernier avait déjà une histoire ficelée alors que Nabil non. Il m'a dit: «J'ai envie d'écrire une histoire avec les enfants de la rue mais je ne sais pas ce qu'on va raconter encore. Je veux faire une fiction, pas un éternel documentaire.» Ce film-là est complètement universel. Un enfant cela reste un enfant qu'il soit de Casablanca, de France ou du Sénégal. Donc, quand j'ai commencé à écrire avec lui, j'écrivais les enfants tels que je les imaginais et après on a adapté et finalement ce n'était pas grand-chose. J'ai aussi découvert le Maroc après avoir écrit une première version du scénario. Quand je suis arrivée et vu la réalité, j'ai dit à Nabil: «Mais regarde, il faut qu'on dise ceci et cela.» Il m'a dit: «Rappelle-toi, on fait un film pas un documentaire.» Ce qui lui plaisait d'ailleurs chez moi, je crois que c'est cette relative naïveté finalement par rapport à ce pays. Je pense qu'il y a une universalité dans ces deux films. Le film de Lyès, c'est vrai qu'il est très ancré dans la réalité. Il est aussi l'auteur principal de ce film. Vous avez également coécrit le dernier film de Nabil Ayouche Whatever Lola wants qui raconte, brièvement, l'histoire de Lola vivant à New York et un danseur égyptien gay qui la mettra sur les traces d'Ismahan. Pourquoi avoir accepté encore une fois de travailler sur ce scénario? Est-ce pour dénoncer certaines vérités propres aux peuples musulmans? Parler de tolérance, un appel à la fraternité entre les peuples, et l'ouverture d'esprit? Dans Whatever Lola wants, oui, absolument. La volonté de Nabil en tout cas était de montrer qu'on peut toujours s'enrichir de l'autre, aussi différent soit-il. Comment se fait-il que jusqu'à présent vous n'ayez écrit que des scénarios pour des réalisateurs maghrébins? Je ne sais pas. Mais en même temps, j'ai aussi écrit des pièces de théâtre, un peu différentes des films. Ça reste quand même des histoires très humaines. En fait, j'ai commencé par le théâtre. Vous avez aussi signé plusieurs courts métrages. Cela ne vous titille pas de nouveau? Avez-vous des projets en ce sens? Oui, bien sûr, mais c'est encore tôt pour en parler. Mais je continuerai à écrire parce que j'aime vraiment beaucoup ça. Vous avez écrit un livre de théâtre je crois, qui s'appelle Histoire de vivre. ça parle de quoi? C'est une pièce qui s'est jouée à peu près 300 fois à travers la France, un peu à l'étranger aussi. C'est l'histoire de deux types qui sont en prison. Ils comptent les jours. Ils ne font rien. Ils passent leur temps à «tenir les murs» comme on dit ici. Un troisième prisonnier vient, qu'ils prennent pour le bouc émissaire. Progressivement, ce troisième détenu va se mettre à leur raconter des histoires. Au fur à mesure qu'il leur raconte des histoires, les murs de la prison s'écartent, par rapport à leur imaginaire, les journées passent à toute allure. C'est une pièce sur le pouvoir de l'imaginaire. L'explosion de l'enfermement. Le roman d'Ali Zaoua, c'est presque un accident. Au départ, on a voulu demander à quelqu'un de l'écrire, j'ai dit non, laissez-moi au moins essayer de l'écrire. Ce que j'aime vraiment dans l'écriture de théâtre comme de scénario, c'est le fait qu'on écrit juste la clé de sol et que quelqu'un d'autre va apporter la clé de fa, en l'occurrence les acteurs. C'est vrai que c'était fabuleux d'écrire avec Lyès parce que non seulement il est réalisateur mais aussi acteur. Ce qui fait que quand, au départ, on partait du dialogue en français, tous les deux, Lyès jouait les scènes et tous les rôles avec beaucoup de facilité évidemment parce que c'est son métier. Tout de suite, on pouvait voir des prémices du film. C'est-à-dire qu'on imaginait déjà bien ce que ça allait donner...c'est ce que j'aime vraiment. C'est-à-dire, je suis une toute petite partie du travail et après on bâtit tous ensemble, les acteurs, celui qui fait la lumière, le décor etc. Comme je ne suis pas venue sur le tournage de Mascarades contrairement à Ali Zaoua, pour moi c'était une belle surprise de le voir sur écran. C'est même mieux que ce que j'avais pu imaginer. Les décors sont superbes. Je trouve que le film est réussi. J'en suis fière. Evidemment, ce n'était pas facile pour Lyès et de jouer et de réaliser. Je le trouve formidable dans Mounir Mekbel, méconnaissable avec sa moustache. Aussi le travail des comédiens, notamment Khlifa..Je trouve que c'est du très beau travail.