Le Traité de Lisbonne était le bébé du président français. Son rejet est pour lui un échec personnel. Hors d'Irlande, Nicolas Sarkozy apparaît comme le dirigeant le plus ébranlé par le "non" des électeurs de l'île. D'abord parce que l'idée de "traité simplifié", destiné à contourner le rejet de la Constitution européenne par 55% des Français en 2005, venait de lui. Ensuite parce que cet échec risque d'empoisonner la présidence française de l'Union européenne, qui débute le 1er juillet et pour laquelle le chef de l'Etat nourrissait de grandes ambitions. C'est la pire nouvelle possible pour Nicolas Sarkozy, estimaient les observateurs. La France était à l'origine du problème ; elle était à l'origine de la solution et elle prend la présidence de l'UE au moment où l'Irlande dit non, de manière un peu humiliante pour l'Europe. Pour pimenter leur campagne, les opposants irlandais au Traité de Lisbonne avaient créé une effigie représentant Nicolas Sarkozy en président autiste, décidé à ignorer le vote de son peuple. Et le projet d'harmonisation de la fiscalité des entreprises au niveau européen, que sa ministre de l'Economie, Christine Lagarde, entend défendre durant la présidence française de l'UE, leur a permis d'enrichir leur argumentaire. La seule réaction de Nicolas Sarkozy, vendredi, a pris la forme d'un communiqué rédigé conjointement avec la chancelière allemande Angela Merkel : "Nous prenons acte de la décision démocratique des citoyens irlandais avec tout le respect qui lui est dû, même si nous la regrettons." Paris et Berlin, qui ont déjà adopté le Traité de Lisbonne par voie parlementaire, ont appelé les autres pays de l'UE à poursuivre le processus de ratification. En France, le résultat du référendum irlandais redonne de la visibilité aux "nonistes", issus de la gauche radicale ou de la droite souverainiste, qui reprochent à Nicolas Sarkozy de ne pas avoir organisé de consultation populaire sur le Traité de Lisbonne. Plus inquiétantes pour le président, sont les fissures apparues au sein même de sa majorité. Alors que son parti, l'UMP, a appelé les Irlandais à "changer d'avis", puisque l'Europe n'a pas d'autre choix que de poursuivre sa route estiment les dirigeants français en s'interrogeant sur un mode sensiblement différent : "Combien de référendums faudra-t-il perdre pour enfin comprendre le message des citoyens européens ?" Faut-il, par conséquent, prendre en grippe les électeurs européens s'interrogeaient aussi les observateurs? Non. Tous, en Irlande, reconnaissent que la campagne pour le oui, desservie il est vrai par un traité difficile à résumer en arguments simplistes, est partie trop tard, laissant le non s'installer. Force est de constater aussi que des sujets difficiles sont tus au sein de l'Union: l'élargissement de 2004 et de 2007, réussite économique et politique incontestable dont il faut être fier, peine toujours à être digéré. Logique. Mais cela devrait aussi faire réfléchir sur la nécessité de renouer avec les citoyens. L'idée, défendue par certains, de poser, dans les grands moments, la même question le même jour aux électeurs des Vingt-Sept est intéressante. Tout comme l'est le droit d'initiative populaire contenu... dans le Traité de Lisbonne que les Irlandais viennent de rejeter. S'ils décident de poursuivre leurs ratifications, les 26 autres pays de l'Union ne doivent pas seulement demander aux Irlandais d'assumer leurs responsabilités. Ils doivent aussi retenir la leçon de Dublin.