Par Faouzia Belkichi L'affaire est entendue : l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a bel et bien perdu le contrôle des prix du pétrole. Plus d'une semaine après le forum mondial de Djedda et au lendemain de la réunion de Madrid, où les partenaires mondiaux se sont réunis en urgence pour stabiliser le prix du baril, celui-ci flambe de plus belle, franchissant le seuil historique des 142 dollars, soit un doublement en un an. Pays producteurs et consommateurs n'en finissent pas de se rejeter mutuellement la responsabilité de cet incendie. Les premiers affirment que les quantités offertes couvrent largement la demande, et accusent le dollar faible et surtout les marchés à terme qui enrichissent les spéculateurs. Les pays consommateurs, les États-Unis en tête, affirment l'inverse et exhortent l'Opep à ouvrir davantage les vannes. Cette vision du conflit a au moins le mérite du réalisme. L'intérêt des producteurs étant de maximiser leurs revenus, "la flambée des cours est une bonne chose" pour eux, confessait un porte-parole du gouvernement iranien, en septembre dernier. Quant au président de l'Opep, notre ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, tel un pompier, a tout récemment prédit que le baril pourrait atteindre 150 à 170 dollars cet été. Quand le patron du géant gazier russe Gazprom en rajoutait vendredi dernier, en pariant dans le quotidien britannique The Financial Times sur des "niveaux de prix radicalement nouveaux", après avoir articulé un chiffre de 250 dollars le baril il y a un mois ! Face à ces surenchères, les consommateurs expriment une révolte impuissante contre un transfert massif de leurs revenus réels au profit des pays de l'or noir. Les riches s'insurgent contre une diminution de leur pouvoir d'achat, lorsque les plus pauvres commencent à se révolter contre des rationnements de transport, et bientôt de chauffage. Pourtant, ce conflit entre les gagnants et les perdants du pétrole cher n'oppose pas simplement les producteurs aux consommateurs. Curieusement, les pays consommateurs comptent des gagnants du pétrole cher. Ce sont non seulement les hedge funds, ces fonds spéculatifs amateurs de rendements élevés et de prise de risques, mais aussi les très prudentes caisses de retraite. Alors qu'auparavant ces "pensions funds" n'investissaient qu'entre 10 et 15 milliards de dollars par an sur le "brent papier" de la mer du Nord, coté à Londres, elles ont misé 30 milliards l'année dernière, pour culminer à 55 milliards au cours du seul premier trimestre de cette année ! Après l'éclatement des bulles sur les actions, les obligations et plus récemment l'immobilier, les investisseurs se sont tous rués sur les marchés à terme des matières premières. Ceux-ci ont la double séduction d'offrir de hauts rendements et une quasi-absence de réglementation. Il aura fallu des sommations du Congrès américain pour que l'autorité de régulation de ces marchés reconnaisse que la part des spéculateurs dans la négociation des contrats sur le pétrole à New York avait doublé à 71 % en deux ans ! Cette ruée des spéculateurs est une manne financière pour les firmes de Wall Street. Notamment pour Goldman Sachs, toujours en tête pour pronostiquer les hausses de cours. Et ce n'est pas Henry Paulson, secrétaire au Trésor américain, et ancien président de Goldman Sachs, qui s'en plaindra.