Par Faouzia Belkichi Nous n'aurons pas besoin d'études pour démontrer que les Algériens travaillent en moyenne moins d'heures que les autres travailleurs de la planète. Les promoteurs d'une "Algérie lucide" vont sans doute nous inciter à travailler plus fort pour améliorer notre productivité dans un monde de concurrence sauvage. Auront-ils raison ? Il est intéressant de noter que les mêmes commentaires pourraient s'appliquer à la France. Par heure, l'ouvrier français est peut-être le plus efficace au monde, mais il travaille beaucoup moins d'heures et donc produit moins que l'ouvrier américain. Depuis plusieurs années, la droite française exprime vivement son inquiétude et son désir de passer au modèle américain. Par contre l'Algérien a un déficit dans les heures de travail et son efficacité est parmi les plus faibles au monde. Notre époque est marquée par un progrès technologique étourdissant qui nous place effectivement devant deux modèles de société. Nous pouvons nous servir de la science pour augmenter la production jusqu'aux limites que la planète peut supporter ou bien la technologie peut nous aider à diminuer le temps de travail afin de privilégier la famille, le repos et la culture. Quel est notre modèle ? Pour la petite histoire, on relatera les faits suivants : En 1936, le gouvernement socialiste de Léon Blum a choisi la deuxième option pour la France, notamment en instituant un mois de vacances. Après la guerre, toute l'Europe sociodémocrate a suivi ce modèle, que l'Algérie, au vu de l'héritage du colonialisme, a également adopté après 1962. Les lois promulguées par les pouvoirs successifs, surtout socialistes entre 1965 et 1980 faisaient preuve d'un souci particulier pour l'épanouissement personnel de l'ouvrier. Aux États-Unis, les vacances et le temps libre n'ont jamais acquis la même importance. Beaucoup d'Américains préfèrent impressionner leurs patrons par une assiduité sans limite et sacrifient leur vie privée sur l'autel du succès économique illusoire. La situation est encore pire en Orient où la majorité des travailleurs ne prennent pas de vacances. Il est vrai que même en France et en Europe, ceux dont le travail est en même temps leur passion, et surtout les artistes, les entrepreneurs, les professionnels et les chercheurs, travaillent de très longues heures sans obstacle. Dans leur cas, le travail constitue normalement une grande partie de leur épanouissement. Cela ne tient pas pour la majorité pour qui le travail représente surtout un moyen de gagner leur vie. Pour eux, c'est le temps libre qui garantit développement et bonheur. Il ne faut pas penser que ces travailleurs ne sont pas fiers de leur travail. Au contraire, le travail est à la fois une source d'orgueil et de dignité. Une meilleure qualité de vie et la possibilité d'avoir du temps libre ont pour effet d'améliorer la qualité de leur apport à la société. En même temps, la société entière bénéficie de la culture et du savoir attribuables au temps libre des employés. Pourquoi ne pas permettre à ceux qui désirent travailler davantage pour gagner plus de le faire pendant que d'autres choisissent les vacances? Hélas, un tel choix n'est pas possible. L'employeur va imposer un horaire qui le favorise et qui lui permet d'utiliser l'ouvrier le plus efficace tout le temps. C'est exactement ce qui arrive aux États-Unis, et c'est la conséquence naturelle de la concurrence débridée de notre époque. La seule façon de sauvegarder le loisir pour la majorité est par la législation et parfois la négociation collective. Les systèmes européens, et à un degré moindre algérien, présentent donc plus d'attraits que celui des États-Unis. Le temps libre est un bien d'une valeur inestimable. Il faut le garantir à tout le monde et il faut le protéger résolument contre les lois du marché et contre l'idéologie de la croissance matérielle sans limite. Cependant, on aura noté que le temps libre en Algérie n'obéit à aucune volonté politique ni option économique, c'est le fait d'une société désarticulée.