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Souriez, vous êtes clichés...
La nouvelle littérature urbaine
Publié dans Le Maghreb le 06 - 08 - 2008

Pour la rentrée littéraire 2008, deux auteurs qui relèvent du genre de la littérature urbaine (alternativement dite "de banlieue", "de cités") paraîtront chez d'assez gros éditeurs : Faïza Guène, qu'on ne présente plus depuis le succès de son premier roman, et Karim Madani, auteur découvert par Sarbacane et passé chez Belfond pour son second roman. Plus qu'une tendance sociale, la littérature urbaine s'est affirmée ces dernières années comme un vrai mouvement littéraire, avec ses propres codes stylistiques, ses références et ses objectifs. Petit récapitulatif, pour chasser tous les clichés. Entrée dans l'ère du sms, d'Internet, du métissage des styles et des cultures, la société avait besoin d'une nouvelle littérature pour la représenter. Elle devait être libre, dynamique, et rendre compte de réalité que des auteurs plus traditionnels ne cherchent pas à intégrer. Rachid Djaïdani, Mohammed Ramzane, Thomté Ryane, Faïza Guène… Ces noms se sont certes fait une place dans le paysage littéraire, mais restent davantage considérés comme des phénomènes de mode que comme de véritables écrivains.
Intrusions politiques
Parce que les premiers auteurs de cette nouvelle littérature étaient issus de quartiers "dits difficiles" on a voulu en faire un phénomène de société. On entend encore les clichés répandus par l'idée d'une littérature "de cité" : ses auteurs sont pauvres, mais valeureux, enfants d'immigrés, animés par le désir d'une revanche ou de reconnaissance. Sortis de nulle part, ils n'ont ni fait Normale, ni bien digéré Proust, et ne savent parler que de la cité... Ils sont sympas, mais de là à dire qu'ils font de la littérature ! Parano ? Pas vraiment. Rachid Djaïdani, dont le premier roman, Boumkoeur, avait été largement salué par la critique, s'insurge contre les préjugés dont le milieu littéraire ne parvient pas à se défaire : "Après avoir lu mon manuscrit, l'éditeur ne croyait pas que je l'avais écrit tout seul…". Faïza Guène a bénéficié, quant à elle, d'une large couverture médiatique qui, si elle a permis de faire connaître son premier livre, Kiffe kiffe demain, n'a pas tant mis en valeur son talent littéraire que ses origines. Surnommée la "Sagan des cités", elle passe pour la beurette prodige, spécialisée dans la description des barres HLM (ce qu'elle a su démentir avec son troisième roman, Les Gens du Balto). Dans un autre genre, le recueil de nouvelles publié chez Stock à l'initiative du collectif "Qui fait la France ?", Chronique d'une société annoncée, tend à former des amalgames trompeurs : les auteurs du recueil sont tous d'origine étrangère (bizarre pour un collectif littéraire), semblent chercher davantage à faire entendre la voix de la cité (du citoyen ?) que celle de l'écrivain. Cette tentative d'unir des auteurs d'une nouvelle génération derrière un projet artistique cohérent n'a pas vraiment porté ses fruits, espérons qu'elle ne soit pas la dernière. Mais il faudrait, afin de donner tout son élan à ces nouvelles formes d'écriture, absolument dissocier la littérature du brassage politique.
Héritage(s)
Dans un esprit littéraire très "français", on a une fâcheuse tendance à considérer qu'il faut avoir assez lu avant de pouvoir écrire. Il est d'ailleurs préférable de pouvoir attester d'une filiation avec un auteur canonisé. Eh bien, qui a dit que ces jeunes auteurs n'en évoquaient pas d'autre ? C'est bien parce qu'ils s'inscrivent à la fois dans la continuité de la prose moderne et dans une recherche de nouvelles références qu'ils peuvent prétendre à une unité littéraire. Pour commencer, la littérature dite urbaine ne date pas d'hier. En quoi consiste-t-elle ?
A donner une représentation de la ville, à saisir ses mœurs, ses évolutions, à peindre le foisonnement de ses habitants et de leurs histoires. Souvent, elle le fait avec une énergie remarquable, que l'on songe à la virulence de Céline, à la légèreté de Queneau, à l'insolence de Boris Vian. Comme leurs prédécesseurs, les auteurs de la littérature urbaine d'aujourd'hui s'illustrent par un travail sur le style : ils détournent la belle langue, font éclater le langage courant pour lui rendre plus de force. L'écrivain Skander Kali, auteur d'un premier roman, “Abreuvons nos sillons”, va même jusqu'à insérer des références classiques, comme La Nausée ou Le Cid, un façon de se démarquer de celles-ci tout en les reconnaissant. Quand on a parlé récemment d'un cinéma de banlieue, ce n'était plus pour parler de films où l'on voyait cramer des voitures (l'époque de La Haine semble être révolue), mais pour parler d'Abdellatif Kechiche. Ce que chacun a salué chez le réalisateur, c'est précisément la puissance qu'il sait donner aux mots, dans L'Esquive notamment. Dans des ouvrages comme celui de Yémi, Suburban Blues, qui mêle français classique, argot des cités, africanismes, ou celui d'Edgar Sekloka, Coffee, dans lequel les phrases sont affûtées comme des couteaux, c'est bien le travail sur le rythme et le mot qui prime. A mi-chemin entre l'abus métaphorique des surréalistes et la précision descriptive des réalistes, ces textes résolument modernes savent mixer les influences, et pas seulement littéraires.


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