Charles-Robert Ageron, spécialiste de l'histoire de l'Algérie et de la période coloniale, est décédé, mercredi matin, des suites d'une longue maladie. Le défunt qui avait 85 ans était pris en charge à l'hôpital Kremlin-bicêtre de Paris. Né en 1923 à Lyon, Charles-Robert Ageron qui fut jeune agrégé en 1957 a découvert l'Algérie en 1945. A cette époque qui intervient avec les événements historiques du 08 mai 45, ce petit bourgeois venait juste de terminer son service militaire. Les manifestations nationalistes du 8 mai, et surtout leur sanglante répression, marquée par les massacres de Sétif et de Guelma, ont considérablement élargi le fossé qui sépare la masse des Algériens musulmans, de la minorité européenne. Ce divorce, Charles-Robert Ageron en prend la mesure quotidiennement. Notamment le jour où, dans un bus où il circule en uniforme, il se fait vertement rappeler à l'ordre par des pieds-noirs qui lui reprochent d'avoir proposé sa place à une jeune musulmane... Le jeune quitte l'Algérie et rejoint la métropole pour poursuivre ses études. Deux ans plus tard il y revient à cette Algérie comme poussé par le destin pour prendre le poste de professeur de Lycée. Il y restera un bonne décennie avec cette réputation rarissime à l'époque d'être du coté des libéraux. En pleine Bataille d'Alger, Charles-Robert Ageron regagne la métropole. Désormais, il n'aura de cesse d'étudier l'histoire de ce monde colonial dont il vit les derniers feux. Nommé professeur au lycée Lakanal de Sceaux, près de Paris, puis assistant d'histoire contemporaine à la Sorbonne, c'est tout naturellement qu'il s'inscrit en thèse sous la direction de Charles-André Julien (1891-1991), grand spécialiste du Maghreb, qui gravite comme lui dans la mouvance des socialistes “ autonomes ” ayant rompu avec la SFIO sur la question algérienne. Entre 1959 à 1961, il est attaché de recherches au CNRS avant d'être nommé la même année au poste d'assistant puis de maître-assistant à la Sorbonne, où il enseigne jusqu'en 1969. En 1968, il soutient sa thèse d'Etat, sous la direction de Charles André Julien, un autre spécialiste de l'histoire de l'Algérie, intitulée “ Les Algériens musulmans et la France 1871-1919 ”. Maître de conférences, puis professeur à l'université de Tours de 1969 à 1981, puis à l'université Paris XII dont il est professeur émérite, Charles-Robert Ageron s'est retiré, ces dernières années, du fait de sa maladie de la vie intellectuelle et universitaire française. Durant plus de quatre décennies, il n'a pas cessé d'explorer l'histoire contemporaine de l'Algérie, l'abordant sous trois angles d'attaque définissant chacun un genre : celui de la thèse où on se devait d'élaborer une somme monumentale, celui de l'ouvrage de synthèse, où on se propose de lire une époque et celui de l'article, où on pointe la focale sur un problème en suspens, soit pour compléter. Parmi ses œuvres majeures figurent “Les Algériens musulmans et la France”, “Le gouvernement du général Berthezène à Alger (1831)”, “Histoire de l'Algérie contemporaine (1830-1988)”, “Gambetta et la reprise de l'expansion coloniale”, “Politiques coloniales au Maghreb”, “L'anticolonialisme en France de 1871 à 1914”, “France coloniale ou parti colonial ?”, “Histoire de l'Algérie contemporaine (1871-1954)”, “L'Algérie algérienne de Napoléon III à de Gaulle”. En 2000, un colloque réunissant à la Sorbonne plusieurs dizaines d'historiens des quatre coins du monde a rendu hommage à l'érudition, à l'esprit méthodique, à l'obstination de ce “chercheur infatigable”, comme le qualifiait l'historien Daniel Rivet.