Après avoir atteint un record historique au-delà de 147 dollars le 11 juillet dernier, le baril de brut cotait hier autour de 90 dollars à New York, son plus bas niveau depuis huit mois, sous la pression d'une crise financière qui sape les perspectives de demande. Si le prix du pétrole brut continue de plonger durablement vers les 80 dollars, il risque de retarder, voire de mettre en péril la réalisation de grands projets pétroliers d'exploration-production, affirment analystes et compagnies pétrolières. Il faut dire les coûts de développement des projets pétroliers et gaziers ont plus que doublé depuis 2005 (prix de l'acier et des équipements, pénurie d'ingénieurs, retard des chantiers, exploration dans les régions les plus inhospitalières, normes environnementales drastiques…). Sans des prix élevés du pétrole la rentabilité des projets ne serait pas au rendez-vous. L'Agence internationale de l'Energie (AIE), qui défend les intérêts des pays consommateurs, a ; elle, d'ailleurs, récemment admis l'idée qu'un juste prix du pétrole pour les producteurs et les consommateurs se situerait autour de 80 dollars et pas moins. Pour Paul Horsnell, analyste chez Barclays Capital, les projets d'extraction de pétrole à partir de sables bitumineux au Canada ne sont "déjà plus rentables à partir de 90 dollars". Les coûts des projets ont fortement augmenté ces dernières années, car il faut des infrastructures elles-mêmes très consommatrices d'énergie, ou beaucoup de personnel acceptant de travailler dans des régions hostiles, à l'instar du Grand nord canadien, rappelle M. Horsnell. Frédéric Lasserre, responsable du département Matières premières à la Société Générale, estime de son côté que des projets d'exploration en mer très profonde, comme ceux envisagés au Brésil, deviennent eux aussi "très compliqués". Si le baril restait durablement à 85 dollars, ils auraient même "du mal à voir le jour", a-t-il jugé. M. Lasserre ne serait donc "pas très surpris de voir, d'ici la fin de l'année, certaines compagnies mettre des projets sous surveillance". Car annuler purement et simplement un projet est risqué pour les compagnies, qui "peuvent perdre leur tour dans la file d'attente" pour accéder aux services parapétroliers (plates-formes, tuyaux, matériel forages etc...), déjà rares et chers, a noté M. Lasserre. Un gel des projets aura en tout cas pour conséquence de restreindre l'offre de pétrole dans quelques années. "Les projets qui ne se font pas aujourd'hui, c'est autant de pétrole en moins pour demain", a résumé M. Lasserre. Même son de cloche chez les compagnies pétrolières. Pour le patron de Total, Christophe de Margerie, un baril de pétrole à 80 dollars est le prix plancher qui permet d'assurer un "retour raisonnable" sur les investissements des projets pétroliers, de plus en plus lointains et coûteux. Le coût des projets de forage très profonds en mer a augmenté de 20% par an depuis 2003 et les coûts d'ingénierie de 25% par an, avait souligné il y a un an un responsable de Total. Malgré Les investissements qui vont progresser de près de 19% en 2008 à 19 milliards de dollars, Total a revu en baisse sa prévision de production moyenne annuelle sur 2007-2016, qui augmentera de 2 à 3% par an, contre 4% auparavant. Le premier groupe pétrolier mondial, l'américain ExxonMobil, qui prévoit d'investir plus de 125 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, a lui vu sa production baisser en 2007 de 1%.