Conséquence de la crise financière, les fonds souverains arabes se replient sur le Moyen-Orient. La chronique des petits et grands événements au cours des dernières semaines qui ont ébranlé la vie des affaires, de Dubaï à Koweït City, de Doha à Riyad, est éloquente. La nouvelle stratégie de ces institutions, dont la force de frappe est à la hauteur de leur colossale fortune, estimée à 2 000 milliards de dollars (1 573 milliards d'euros), inquiète Wall Street comme la City. "Nous devons désormais investir avec sagesse dans les projets d'infrastructure à long terme au profit de notre région" : avec son physique de professeur et ses airs modestes, Sameer Al-Ansari, responsable des investissements de Dubai Holdings, le fonds souverain de l'émirat, est l'un des plus grands gestionnaires de la planète. Son portefeuille comprend à la fois d'énormes investissements immobiliers et industriels à Dubaï tout comme des participations dans des enseignes étrangères prestigieuses comme la banque britannique HSBC, le géant de l'électronique japonais Sony, le constructeur automobile allemand Daimler ou EADS. Dubai Holdings est considéré comme le bras armé du nouveau comité de crise, mis en place par l'homme fort de Dubaï, Cheikh Mohammed Ben Rashid Al-Maktoum, pour sauver de la banqueroute un émirat d'autant plus touché par la tourmente qu'il ne possède pas d'hydrocarbures. La raréfaction des acheteurs de logements, surtout asiatiques, le resserrement du crédit et le désintérêt des investisseurs occidentaux pour l'immobilier ont fait dégringoler les prix du mètre carré. Résultat, deux caisses hypothécaires ont dû être renflouées par les Emirats arabes unis, la fédération, riche en pétrodollars, qui englobe Dubaï. Cheikh Mohammed a ordonné l'arrêt de nombreux chantiers. Par ailleurs, l'Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), le plus gros fonds souverain au monde, a soutenu les promoteurs de Dubaï en difficulté. Les autres fonds souverains ne sont pas en reste. Le Kuwait Investment Authority (KIA) a renfloué la Bourse du Koweït et la Gulf Bank, deuxième banque de détail du pays. La Qatar Investment Authority a été appelée à la rescousse par plusieurs établissements financiers de l'émirat gazier. Autre signe de ce repli, ces fonds, qui avaient débarqué sur les places financières comme des éléphants dans un magasin de porcelaine, regimbent aujourd'hui à venir en aide aux banques occidentales en difficulté, même celles dans lesquelles elles ont des participations. C'est le cas d'ADIA, premier actionnaire de Citigroup, qui n'a pas participé au sauvetage de la banque américaine. Le fonds abu-dhabien ne ferait pas partie du tour de table de la future banque britannique Lloyds-HBOS. Le KIA, gros investisseur dans Merrill Lynch, n'a pas répondu aux appels du pied de son repreneur, Bank of America. Barclays est certes parvenue à capturer des fonds arabes, mais à des conditions peu avantageuses (Le Monde du 24 novembre).Quatre facteurs expliquent ce changement de cap. Premièrement, dans un paysage déprimant de récession mondiale, le Moyen-Orient apparaît comme un sanctuaire. Malgré les problèmes bancaires et immobiliers, la région conserve un taux de croissance à faire envie aux économies occidentales. Ensuite, les Bourses se sont modernisées comme l'attestent les partenariats des corbeilles d'Abu Dhabi et de Doha avec le NYSE Euronext ou l'alliance entre la Borse Dubai et le Nasdaq OMX. L'essor de la finance islamique, protégée du ressac par l'interdit sur la spéculation, offre des opportunités. Enfin, les fonds souverains arabes ont été échaudés par les restrictions à leur action en Italie ou en France ou la montée du protectionnisme aux Etats-Unis. "Les fonds souverains du Golfe reprendront leurs investissements à l'extérieur quand les marchés occidentaux auront touché le fond", souligne David Smart, directeur des fonds souverains auprès de Franklin Templeton. Les professionnels parient sur un rebond de leurs placements à l'étranger à partir de la fin 2009-début 2010.