Sacré coup de tabac sur l'industrie nautique mondiale. Aux Etats-Unis, en Espagne et au Royaume-Uni, pays les plus touchés, le marché est en baisse de 60 % à 70 %. En France, la chute est, en moyenne, de 50 %. L'activité est largement corrélée à la croissance économique. Le bateau est un bien de deuxième nécessité dont l'achat se diffère facilement. Qui plus est, la crise a fermé le robinet des sociétés de financement auxquelles les amateurs de voile ou de motonautisme font en général appel pour concrétiser leur rêve maritime. Le marché mondial des constructeurs nautiques était évalué, avant la crise, à environ 13 milliards d'euros. Les Etats-Unis et l'Europe jouent à peu près à égalité : 40 % à 45 % du marché chacun. La filière française. Les constructeurs français pèsent près d'1 milliard d'euros (7 % à 8 % du marché) et 11 000 emplois. Quelque 66 % de leur activité se fait à l'export. Si l'on s'intéresse à l'ensemble de la filière française (constructeurs, équipementiers, tourisme fluvial, loueurs...), elle représente près de 5 000 entreprises et 45 200 emplois pour un chiffre d'affaires total de 5 milliards d'euros, selon la Fédération des industries nautiques. Si l'on met de côté quelques petites unités spécialisées (bateaux en aluminium, voiliers de croisière rapide, etc.), l'ensemble de la filière est touché, du plus gros au plus petit, du constructeur à l'équipementier, jusqu'au loueur. La liste des sinistrés s'allonge jour après jour. Les "malades" ont cédé les premiers. Si l'on ne s'intéresse qu'aux chantiers français, Couach (340 salariés), constructeur de yachts de luxe, déjà très endetté avant la crise, a été placé en redressement judiciaire, mercredi 1er avril, par le tribunal de commerce de Bordeaux. Six jours plus tard, c'était au tour du distributeur Rodriguez Group, dont les bolides des mers ont longtemps fasciné les nouveaux riches de la finance, d'être placé à sa demande sous procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce de Cannes. L'annulation de commandes a un peu plus fragilisé l'entreprise, dont le système de reprise d'occasion, garanti à chacun de ses acheteurs, lui faisait beaucoup de tort. Quant au groupe Poncin Yachts, qui doit renégocier sa dette de 22 millions d'euros (pour un chiffre d'affaires de 47,8 millions d'euros), il a bénéficié d'un prolongement de sa mise sous sauvegarde, jusqu'au 31 mai, par le tribunal de commerce de La Rochelle. Mais la crise n'épargne pas les leaders internationaux, à l'instar des américains Brunswick et Genmar, des italiens Benetti et Ferretti Yachts ou du français Bénéteau. Jeudi 9 avril, ce dernier, numéro un mondial de la voile, a annoncé devoir "adapter ses effectifs aux évolutions du marché". L'arrêt des missions d'intérim et la mise au chômage partiel des salariés depuis janvier ne suffisaient plus à contrebalancer le "repli de 50 % de son activité" dans la plaisance. L'entreprise vendéenne, qui compte 6 000 salariés (dont 5 000 dans le bateau), estime faire face à un "sureffectif de 1 590 postes" et "pense possible" de préserver l'équivalent de 1 000 emplois. Plan de départs volontaires, appel aux pouvoirs publics pour une prise en charge accrue du coût du chômage partiel, incitation au mi-temps..., des pistes ont été présentées au comité central d'entreprise. Les négociations sur une possible suppression de 600 emplois vont débuter. Même si elle était attendue depuis plusieurs jours, l'annonce a quelque peu surpris par son ampleur. Le groupe, réconforté semble-t-il par la bonne tenue du Salon nautique de Paris de début décembre 2008, avait continué de communiquer de manière plutôt positive, alors que d'autres acteurs réduisaient déjà leur rythme de production. "Les gros joueurs du nautisme, qui avaient réalisé d'énormes efforts de productivité et baissé leurs prix, pâtissent aussi aujourd'hui de leur système de distribution, qui repose sur d'importants réseaux commerciaux incités à acheter les bateaux dès leur sortie d'usine, explique un expert. Quitte d'ailleurs à financer eux-mêmes les concessionnaires ou à se porter garants en cas d'emprunts bancaires." Quand le marché est en croissance, comme c'est le cas depuis plus de dix ans, le système reste fluide ; mais il se grippe en cas de crise. Les stocks, tout comme dans le secteur automobile, s'accumulent sur les parkings. Décidé à rassurer les actionnaires de Bénéteau, coté en Bourse, Bruno Cathelinais, le président du directoire du groupe, leur a écrit jeudi, expliquant que la réduction des effectifs visait aussi à "sauvegarder la compétitivité de l'entreprise (...) afin qu'elle puisse participer à la recomposition à venir du paysage concurrentiel mondial". Même si le groupe s'attend à une violente chute de son chiffre d'affaires - qui pourrait passer de 1,06 milliard d'euros pour l'exercice 2007-2008 à 742 millions en 2008-2009 - et de son résultat opérationnel, Bénéteau dispose d'une trésorerie importante : au 31 août 2008, elle s'élevait à 217 millions d'euros. De nombreux acteurs ne résisteront pas au séisme actuel. Bénéteau le sait, et n'a jamais caché son intention de développer sa gamme de luxe de bateaux à moteur, lorgnant du côté de l'Italie.