Personne n'imaginait il y a un an que la crise des "subprime" aurait autant de ramifications et d'effets hors des Etats-Unis. Le 9 août 2007, la Banque centrale européenne (BCE) injectait 94,8 milliards d'euros dans le circuit monétaire de la zone euro. Cette manne était destinée à renflouer les banques asphyxiées par le manque de liquidités. La preuve était faite: l'Europe était rattrapée par la crise des crédits hypothécaires aux Etats-Unis. Une année après, la confiance n'est toujours pas revenue. La crise a même empiré suite à la forte poussée inflationniste liée à la flambée des prix énergétiques et des matières premières. Le pire est-il derrière ? Les perspectives paraissent plus sombres qu'il y a un an. L'assèchement du crédit ralentit l'activité économique, d'abord aux Etats-Unis, puis dans le reste du monde. La croissance mondiale pour l'année est révisée à la baisse à 3,6% contre 4,1% initialement prévu. L'OCDE a confirmé le ralentissement dans l'ensemble des pays industrialisés. Si les investisseurs ne sont pas rassurés, l'intervention musclée des banques centrales et des gouvernements, notamment aux Etats-Unis, montre que les autorités interviendront pour éviter l'effondrement du système financier. L'orchestration par la Réserve fédérale américaine de la disparition en relative douceur de la banque d'affaires Bear Stearns et le soutien aux instituts de refinancement hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac soulignent que Washington est déterminé à faire tout ce qui est en son pouvoir. Les optimistes voient dans le ralentissement global un antidote à l'inflation liée à la flambée des prix énergétiques, des matières premières industrielles ainsi que des produits alimentaires. Un retournement de situation s'amorce depuis juillet. Dans son sillage, les places boursières connaissent une certaine embellie alors que, sur l'année écoulée, la crise financière a provoqué de fortes chutes des indices. Wall Street, Francfort, Zurich, mais aussi Shanghai et Bombay ont effacé deux ans de hausse. Quelle contagion? Quand les Etats-Unis toussent, le reste du monde attrape froid. La crise hypothécaire a gagné la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Irlande et, dans une moindre mesure, la France et l'Allemagne. Toutes les banques ayant fait des prêts immobiliers risqués, mais aussi acheté et vendu des produits structurés liés à ces crédits, se retrouvent en grandes difficultés. Comme la Réserve fédérale américaine, la BCE, la Banque d'Angleterre, la Banque nationale suisse et la Banque du Japon ont fourni plus de 200 milliards de dollars de liquidités pour détendre le marché du crédit. Force est de constater que la confiance n'est pas retrouvée. Pour Jean-Claude Trichet, président de la BCE, la croissance dans la zone euro sera substantiellement plus faible qu'il ne le pensait. Les cinq plus grandes économies (Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, France et Espagne) pourraient entrer en récession. Au Japon, où la croissance n'a été que de 1% pour les trois premiers mois de l'année, la plus longue phase d'expansion depuis 1945 semble terminée. L'Etat prépare un train de mesures - augmentation de subventions et de dépenses publiques - pour relancer l'économie. Les pays émergents ne sont pas épargnés, même si un certain découplage avec l'économie américaine fait que l'impact de la crise reste, pour l'heure, relativement contenu. Au fil de l'année écoulée, la crise des taux hypothécaires aux Etats-Unis, avec une forte poussée inflationniste en parallèle, s'est transformée en menace pour l'ensemble de l'économie mondiale. Quelles leçons a-t-on tirées de la crise? Dès que la crise a éclaté, des voix ont réclamé un contrôle plus sévère du monde financier pour éviter de nouvelles dérives. Aux Etats-Unis, les régulateurs ont été pris à partie pour leur incapacité à freiner les excès des prêts immobiliers, les bonus spectaculaires des chefs d'entreprise ou encore le développement frénétique des produits financiers complexes. Egalement visées, les agences de notation, pour avoir accordé d'excellentes notes aux sociétés qui étaient à l'évidence malades. Face à ces pressions, l'industrie financière met en garde contre un excès de régulation. Le débat est loin d'être terminé, et les mesures concrètes ne sont pas pour demain. Aux règles tatillonnes, la Banque nationale suisse a préféré l'option du "pare-chocs renforcé", demandant aux deux grandes banques d'augmenter leur ratio de fonds propres pour absorber les coups durs. Qui sont les gagnants? Les fonds souverains des monarchies pétrolières et d'Asie ont fait une entrée inattendue dans le capital de nombreuses banques contraintes de se renflouer. Parmi les cas les plus connus, celui d'UBS, où un fonds étatique de Singapour et un investisseur saoudien se sont offert 19% du capital. Dans la grande distribution, la baisse du pouvoir d'achat a profité aux discounters. En Grande-Bretagne, Aldi et Lidl ont augmenté leurs ventes de 19 et de 14% respectivement. Qui sont les perdants? La Fed a estimé que la crise des "subprime" a coûté 100 milliards de dollars aux banques américaines et européennes. Plus pessimistes, Goldman Sachs et l'OCDE évaluent les pertes à 400 milliards et 420 milliards respectivement. Pour le FMI, qui prend en compte les dettes de propriétaires immobiliers, les titres dévalués ainsi que les créances pourries, les pertes totales s'élèveraient à 945 milliards. Aux Etats-Unis comme en Europe, les banques ont licencié plus de 100000 employés. Quelques patrons ont également été sacrifiés: Marcel Ospel (UBS), Stan O'Neal (Merrill Lynch), Charles Prince (Citigroup), Martin Sullivan (AIG), Ken Thompson (Wachovia), Zoe Cruz (Morgan Stanley), Joseph Gregory (Lehman Brothers) et Adam Applegarth (Northern Rock). Les investisseurs ne sont pas sortis indemnes. La capitalisation boursière des dix plus grandes banques américaines a reculé de 430 milliards de dollars entre juin 2007 et mars 2008. Les décideurs politiques et économiques, ministres des Finances, directeurs de banques centrales, ont perdu de leur crédibilité en donnant l'impression de ne pas vraiment maîtriser la situation. Au final, tout le monde est perdant. Les salariés, en Suisse et dans les autres pays, subiront tôt ou tard les effets du fort ralentissement de la conjoncture mondiale. De fait, pris individuellement, les Américains s'avouent moins affectés par la détérioration économique que lorsqu'il s'agit d'évaluer l'avenir collectif. Pourtant présente sur toutes les lèvres, la crise reste encore largement bien davantage perçue comme une menace que comme une réalité. Et paradoxalement, les mesures prises par les autorités politiques pour tenter d'y faire face ne font que confirmer les Américains dans leurs appréhensions. Réactions contrastées Ainsi, l'empressement avec lequel les membres du Congrès se sont mis d'accord à la fin juillet pour sauver Fannie Mae et Freddie Mac, les deux institutions para-étatiques qui détiennent ou garantissent presque la moitié des crédits immobiliers du pays, provoque des réactions contrastées. Un "ouf" de soulagement pour les centaines de milliers d'emprunteurs en difficulté. Pour les autres, une confirmation que, peut-être, le pire reste encore à venir.