La Banque centrale européenne (BCE) ne fait rien comme les autres. D'abord, elle a mis un temps fou à porter ses taux d'intérêt à un niveau très bas, et refuse toujours de les ramener à zéro comme ses homologues britannique, japonaise, américaine et suisse. Enfin, elle n'est toujours pas passée à une politique d'assouplissement quantitatif, comme le font ses consoeurs en achetant des titres d'entreprises non financières et des emprunts d'Etat. La Banque d'Angleterre a d'ailleurs, annoncé qu'elle allait acheter 50 milliards de livres (55,8 milliards d'euros) de plus d'emprunts d'Etat. Alors que ses consoeurs procurent des liquidités à tous les canaux de l'économie (Etat, entreprises, banques), la stratégie de la BCE reste très ciblée. Partant du fait que le secteur bancaire est celui qui fournit l'essentiel des crédits (70 %) à l'économie - c'est l'inverse aux Etats-Unis où les entreprises utilisent davantage les marchés financiers que leurs banques -, la BCE, depuis le début de la crise, se focalise sur l'alimentation en argent frais des banques, pivot du système financier. D'abord, la banque centrale a voulu débloquer le marché monétaire sur lequel les établissements financiers se prêtent de l'argent entre eux et qui constitue leur principale source d'approvisionnement. Pour cela, elle a baissé ses taux d'intérêt, permis aux banques de lui emprunter des montants illimités et à taux fixe, et elle leur a offert la possibilité d'apporter plus de titres en garantie de ces prêts. Mais maintenant qu'elle voit que le marché des crédits à court terme entre banques fonctionne mieux, il lui faut s'atteler à un autre problème : le fait que ces établissements n'utilisent pas l'argent disponible pour accorder des crédits à long terme, aux ménages et aux entreprises. Jeudi, en continuant à réduire son principal taux d'intérêt - abaissé d'un quart de point à 1 % -, la BCE a donc pris des mesures exceptionnelles pour détendre le marché du crédit. D'abord, elle va accorder aux banques des crédits à plus long terme. Celles-ci pourront contracter des emprunts jusqu'à un an (contre six mois auparavant), à taux fixe, et pour des montants illimités. La BCE a prévu sa stratégie de sortie : les prêts à un an qu'elle offrira aux banques pourront être majorés d'une prime. La BCE pourra ainsi la relever graduellement de manière à suivre les évolutions du marché. Parmi les nouvelles mesures annoncées par la BCE, la Banque européenne d'investissement (BEI), cet établissement supranational qui finance des grands projets européens, mais fournit aussi du crédit aux PME, pourra venir chercher des prêts auprès de la banque centrale. Enfin, la BCE va acheter pour environ 60 milliards d'euros d'obligations sécurisées (covered bonds), soit environ 5 % de ce marché. "L'idée étant bien ici de soulager les banques des titres qui sont dans le bilan des banques", estiment les experts de Natixis. En effet, ces titres, également appelés obligations foncières, sont principalement émis par les banques, et, adossés à des pools de créances (prêts immobiliers, crédits aux entreprises...), leur permettent de faire sortir les risques associés aux prêts distribués. Le but est donc de fluidifier l'étape où les banques transforment les crédits qu'elles accordent aux agents économiques. C'est "juste pour raviver un segment du marché des titres privés" qui a été particulièrement touché par la crise financière, a expliqué Jean-Claude Trichet, président de la BCE, et non pas un processus d'assouplissement quantitatif. Selon Natacha Valla, économiste chez Goldman Sachs, ces mesures "vont donner une bouffée d'air à l'économie - reste à savoir si elle sera suffisante - en espérant que la BEI mette à profit cet accès à la liquidité centrale pour financer les PME, et que les banques, dont on ne peut absolument plus dire qu'elles n'auront pas été choyées, mettront à profit ces "pansements" sur leur passif pour maintenir une offre de crédit suffisante". Reste à savoir si les mesures mises en place seront efficaces, car la demande de crédit fait autant défaut que l'offre.