Après l'entrée en vigueur de l'Accord sur l'agriculture, conclu il y a quelques années dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), on mesure les dégâts et aberrations des libéralisations au Sud comme au Nord. Cette situation a amené la Communauté de travail à élaborer une nouvelle position, plus nuancée et soucieuse de la complexité des problèmes. Avec cependant toujours le même but: l'émergence d'un marché agricole mondial équitable et durable. La recette libérale en matière agricole, axée sur le libre-échange et la promotion des exportations, imposée par les gouvernements occidentaux et relayée par les institutions économiques internationales - dont en particulier l'OMC - a abouti a un échec. Cela tient au fait que de nombreux aspects structurels propres aux marchés agricoles nationaux et internationaux n'ont pas été pris en considération. Tant sous nos latitudes que dans les pays en développement, l'agriculture n'est pas juste un secteur économique parmi d'autres. Dans les régions pauvres, il est celui qui détermine le plus la vie de la population, son revenu, son niveau d'emploi, sa capacité à subvenir a ses besoins alimentaires, il y occupe jusqu'à 80% de la main-d'œuvre.Dans les pays riches, au-delà de sa fonction primaire de production de nourriture et de matières premières, l'agriculture remplit des fonctions essentielles comme la préservation de l'environnement et du paysage, le maintien d'une production domestique et la sécurité alimentaire. Chaque pays, voire région, bénéficie de conditions-cadre spécifiques qui influencent fortement le mode et les coûts de production. Le contraste est évident entre les agricultures fortement subventionnées et productives des pays occidentaux, et celles bien moins dotées et extensives des pays en développement. On peut donc douter de l'efficacité d'un système commercial qui impose un prix international unifié pour des biens produits à des coûts différents selon les régions. On assiste aujourd'hui à une situation aberrante où les prix agricoles, fixés par le marché international, ne reflètent plus les coûts de production. Une aberration d'autant plus grande que seuls 10% de la production agricole mondiale sont aujourd'hui échangés sur le marché international or, ce sont ces 10% qui fixent les prix sur les marchés nationaux. De plus, c'est toujours le prix à l'exportation le plus compétitif qui devient le prix mondial, même s'il relève du dumping. Le prix mondial du blé est, par exemple, celui des Etats-Unis, dont la part à la production mondiale se limite à 5,1%. Assurer la sécurité alimentaire et garantir la production domestique comme moteur du développement rural dans les pays pauvres, permettre la survie d'une agriculture " multifonctionnelle " dans les pays développés implique que l'on recherche de nouvelles solutions. La Communauté de travail qui, comme de nombreuses ONG de développement, s'est longtemps alignée sur les revendications des gouvernements du Sud en matière d'accès aux marchés agricoles du Nord, a aujourd'hui revu sa copie. La complexité de la problématique nécessite de prendre en compte quatre axes fondamentaux et complémentaires une mise en question des politiques de libéralisation commerciale, le développement des marchés intérieurs dans les pays pauvres, une réforme des politiques agricoles des pays industrialisés et finalement une meilleure régulation du marché mondial. Protection des marchés agricoles Après sept ans d'application et d'effets pervers et inéquitables, les règles de l'OMC sont la cible de nombreuses et véhémentes critiques. On se retrouve avec, d'un côté, des soutiens internes réservés aux pays riches, totalement opaques pour les pays tiers et inattaquables devant l'OMC de l'autre, des marchés ouverts et à la merci des importations bon marché, où les paysans sont sacrifiés au nom du libre-échange. Aujourd'hui, des voix de plus en plus nombreuses plaident pour un retour au droit, pour les pays du Sud, de protéger leurs marchés agricoles. Cette approche serait finalement beaucoup plus transparente et équitable que le système actuel, puisque la protection aux frontières est le seul type de soutien à ne pas avoir d'effet de dumping sur le reste du monde et à être accessible aux pays pauvres. Une solution de ce type est actuellement au centre d'une proposition venant des pays en développement, qui vise la création d'une boîte de développement au sein de l'OMC. Elle suscite toutefois de vives oppositions: permettre la réintroduction de droits de douane ou de quotas remettrait en effet fondamentalement en question la logique de libre-échange de l'OMC.
Développement rural au Sud On reconnaît aujourd'hui à l'agriculture - au-delà de la production plusieurs fonctions : renforcement du tissu économique local, création d'emplois, développement économique et social à long terme. Cela est particulièrement vrai pour les pays qui pratiquent une agriculture de subsistance. Celle-ci est en effet beaucoup plus intensive en main-d'œuvre que l'agriculture d'exportation, et joue de ce fait un rôle central dans le développement rural et l'élimination de la pauvreté dans les campagnes. Elle dynamise tout un secteur économique qui lui est directement lié: petits commerces, marchés locaux, aménagements d'infrastructures, acquisition de compétences technologiques, industries de transformation, etc. Elle entraîne aussi avec elle le développement de services publics tels que l'éducation, la santé et les transports. L'approche libérale - qui prône que la sécurité alimentaire peut, voire doit être assurée par les importations quand la théorie des avantages comparatifs le justifie - dénie de facto aux pays pauvres le droit de se développer à travers un marché intérieur diversifié et productif. Cette vision doit être remise en question. Il faut que le développement des marchés intérieurs dans les pays en développement redevienne une priorité. Les gouvernements doivent notamment retrouver le droit de mener de véritables politiques agricoles nationales en mettant l'accent sur la protection et le soutien aux petits paysans, le développement rural, la dissolution des grands monopoles aux mains des multinationales et la mise en oeuvre de réformes agraires.
Maîtrise de la production au Nord Les politiques agricoles menées par les pays industrialisés ont généré d'importants surplus de lait, de céréales, de sucre et de viande. Bradés sur le marché international, ces excédents favorisent les distorsions du commerce agricole mondial. La sécurité alimentaire des pays en développement dépend donc, dans une large mesure, de deux choses l'élimination des subventions aux exportations et la fin de l'écoulement des surplus sur les marchés internationaux. L'un des seuls moyens de parvenir à cet objectif est de diminuer la production agricole dans les pays industrialisés, afin qu'il ne leur soit plus nécessaire de vendre leurs excédents à des prix de dumping. À l'élimination des subventions aux exportations doit donc s'ajouter la revendication de la maîtrise de l'offre dans les pays industrialisés. Seule cette solution permettra de résoudre durablement les problèmes des pays du Sud, mais également de garantir la survie de l'agriculture et des paysans dans le Nord.
Régulation du marché agricole Revendiquer la protection des marchés locaux au Sud et la maîtrise de la production au Nord ne signifie pas s'opposer au commerce international, ni se faire les défenseurs de l'autarcie ou de l'autosuffisance. De fait, ce n'est pas l'ouverture des frontières en tant que telle qui est en cause. C'est, d'une part, la rapidité avec laquelle les marchés ont été soumis à la concurrence étrangère ; le succès de certains pays d'Asie du Sud-Est, souvent cités en exemple pour avoir réussi leur intégration dans le commerce mondial, vient de ce que ces pays ont libéralisé les importations seulement à partir du moment où la croissance de leurs exportations était solidement établie. D'autre part, ce sont les priorités qui ont été fixées en matière de promotion des exportations les économies exportatrices non seulement entrent en contradiction avec le développement durable puisqu'elles utilisent de manière abusive les ressources naturelles et humaines, mais surtout, loin de les résoudre, elles ont souvent aggravé les problèmes de la pauvreté et de la faim dans le monde. Le but d'une politique agricole mondiale digne de ce nom doit être l'émergence d'un marché international équitable et rémunérateur pour les paysans au Nord comme au Sud, et non l'augmentation des exportations à tout prix. L'OMC doit par conséquent se montrer prête à réguler le marché international de l'agriculture, non plus dans le but unique de libéraliser les échanges, mais d'apporter une solution à la pauvreté dans le monde et contribuer au développement humain, en collaboration avec les autres organisations internationales existantes. Pour cela, des mesures urgentes s'imposent, telles que la stabilisation des prix des matières premières à un niveau rémunérateur, l'élimination des pics tarifaires et des tarifs progressifs afin d'améliorer l'accès aux marchés des pays industrialisés pour les produits transformés et les produits agricoles en provenance du Sud, l'adoption de règles multilatérales et équitables sur les investissements et la concurrence a l'attention des multinationales, la promotion du commerce équitable et l'augmentation substantielle de l'aide au développement.