A l'heure où le thème de la sécurité alimentaire sur la planète devient un enjeu majeur, les immenses étendues agricoles dans les pays émergents attisent les convoitises des investisseurs. Ainsi, la société AgroGeneration, dont l'entrepreneur Charles Beigbeder, est l'un des principaux actionnaires, a fait son entrée lundi en Bourse pour lever des fonds et investir dans les céréales en Ukraine. Déjà présent dans Poweo, fournisseur alternatif de gaz et d'électricité, M. Beigbeder, avec des fonds d'investissements et une coopérative céréalière française, loue en Ukraine quelque 20.000 hectares de céréales et vise 100.000 ha d'ici à 2012. Jadis surnommée "grenier à blé de l'Europe", l'ex-république soviétique mise sur son secteur agricole pour remonter la pente. Ces dernières années, elle s'est imposée sur le marché mondial, taillant des croupières à des grands pays exportateurs, la France notamment. Malgré les difficultés -manque de main d'oeuvre qualifiée, matériel obsolète, terres non cessibles- les investisseurs débarquent en Ukraine, surtout que de nombreuses terres sont encore laissées à l'abandon. La loi ukrainienne interdit la cession de terrains privés issus des anciens kolkhozes (coopératives agricoles de l'ex-URSS) attribués par petites parcelles aux habitants. C'est donc par la location que passe AgroGeneration qui a signé plus de 6.000 baux de 19 ans en moyenne. Selon un rapport publié en 2009 par l'organisation non gouvernementale (ONG) Grain, ils sont nombreux à s'y installer. Parmi eux, la banque américaine Morgan Stanley louerait 40.000 hectares. Le gouvernement libyen aurait obtenu l'accès à 247.000 ha de terres en échange de gaz et pétrole. D'autres pays comme la Russie, le Kazakhstan, le Brésil, l'Argentine, le Soudan, le Malawi, l'Angola, l'Indonésie, le Laos ou encore le Cambodge ont accueilli des investisseurs. "L'Ethiopie a étendu en juillet 2009 les aires susceptibles d'être allouées aux investisseurs à quelque 2,7 millions d'hectares", selon Harris Selod, économiste de l'INRA détaché à la Banque mondiale (BM). Comme d'autres institutions et organisations non gouvernementales, la BM regarde de près le phénomène qu'elle aimerait mieux encadrer pour préserver les intérêts des populations locales. Ce phénomène inquiète les organisations non gouvernementales (ONG) et la Banque mondiale, soucieuses de préserver les intérêts des populations locales. Baptisé "land grabbing", ce phénomène d'accaparement des terres est apparu au grand jour en 2008 à Madagascar, lorsque les Malgaches ont appris l'existence d'un protocole d'accord qui accordait à la société sud-coréenne Daewoo 1,3 million d'hectares de surfaces agricoles pour produire de l'huile de palme et du maïs. Depuis, le projet a été abandonné et le président de la République forcé à la démission. Selon Hervé Guyomard, directeur scientifique à l'INRA, il est difficile de quantifier le phénomène. "Pour autant que l'on sache, cela ne représente en fait que 0,6% des surfaces cultivables". Pour lui, le problème des terres, c'est d'abord un problème d'aide au développement, un soutien qui n'est pas arrivé à cause de la corruption ou de promesses financières jamais tenues... "Certes avec la terre la question est plus sensible car il y a ce lien au sol et que les populations locales sont les premières touchées, mais quand la France a besoin d'uranium ou de pétrole, où va-t-elle les chercher ?", interroge-t-il.