La Russie vient de remporter la course au blé devant les Etats-Unis. Pour la première fois de son histoire, elle a atteint son objectif, celui de dépasser les Etats-Unis en termes de production de blé. D'après les chiffres du département américain de l'agriculture (USDA), la Russie devrait produire, sur la campagne 2009-2010, près de 61,700 millions de tonnes contre 60,314 millions pour les Etats-Unis. L'écart est léger mais assez significatif pour donner une dimension historique à l'événement. C'était l'un des volets de la rivalité entre les Etats-Unis et l'URSS pendant la guerre froide. La course à la production agricole entre les deux pays revient sur le devant de la scène, 19 ans après la chute de l'URSS. Ainsi, la Russie va se satisfaire de cette revanche après s'être fait dépasser par les Etats-Unis en tant que premier producteur mondial de gaz en 2009, explique t-on. Mais pour les observateurs, la nouvelle relève presque de l'anecdote au regard des objectifs à long terme que se donne la Russie. "La vulnérabilité alimentaire est une question sensible pour la Russie. Il est question de sécurité stratégique". Le regain d'intérêt de l'administration russe pour le secteur agricole témoigne bien de l'enjeu stratégique. L'agriculture avait été abandonnée par le gouvernement à la suite de la chute de l'URSS. L'effondrement de la production était tel que le pays a du obtenir une aide alimentaire de l'Union européenne fin 1998. En 2005, la prise de conscience s'opère. Vladimir Poutine fait de l'agriculture un pilier du développement de son pays. Deux ans plus tard, il lance un plan quinquennal basé sur des crédits aux fermiers, doté de 551 milliards de roubles (13,7 milliards d'euros). Le successeur de Vladimir Poutine, poursuit sur cette lancée. Lors d'un forum à Saint-Pétersbourg le 5 juin 2009, Dmitri Medvedev a replacé le blé "au centre de la vie". "En mettant en œuvre des méthodes intensives dans l'agriculture, en en utilisant les bonnes techniques de culture du blé et en portant le rendement à 24 quintaux à l'hectare, nous pouvons produire 112 à 115 millions de tonnes de blé par an. Et jusqu'à 133 à 136 millions de tonne en mettant en exploitation des surfaces cultivables supplémentaires", a-t-il expliqué. La Russie devient une puissance exportatrice. Pour les analystes du marché du blé, ces objectifs ne surprennent pas. " La Russie est déjà le quatrième plus gros producteur. Actuellement, l'Union européenne occupe la première place sur le podium des producteurs (138,143 millions de tonnes) devant la Chine (114,500) et l'Inde (80,680). Même si la Russie souffre encore d'une position moins affirmée à l'exportation. Mais le gouvernement russe est à l'œuvre pour y remédier. La concurrence s'aiguise donc .Les Etats-Unis et l'UE voient d'un œil peu rassurant le développement de la Russie sur le marché. Le pays de Dimitri Medvedev leur grignote déjà du terrain dans leurs chasses gardées naturelles, notamment l'Egypte, premier importateur au monde de blé. " La Russie a remporté l'essentiel du marché avec 420.000 tonnes vendues depuis notre précédent état des lieux", constatait amèrement FranceAgrimer dans son rapport mensuel de février dernier. Le marché asiatique est aussi ciblé par la Russie avec pour objectif la construction d' "un couloir oriental de développement". De leur côté , les fermiers américains réagissent à la concurrence en privilégiant d'autres cultures. Le dernier rapport d'emblavement de l'USDA montre que les Etats-Unis devraient semer moins de blé (-9%) et davantage de maïs (+3%) et de graines de soja (+1%) cette année comparé à l'an dernier. La Russie , confortée par son potentiel inexploité, n'est pas près d'en rester là. Le pays est doté de 40% du tchernoziom mondial, ce qui n'est pas rien . Ces terres noires très fertiles. "20 millions d'hectares, inutilisés depuis 1991 pourraient être réintroduits dans la production", annonçait Dmitri Medvedev l'an dernier. Les enjeux sont donc clairs. Un cartel de blé post soviétique pourrait se constituer, avec l'Ukraine et le Kazakhstan. Il pourrait alors devenir le grenier du monde. Ce que l'Europe et les Etats-Unis auront du mal à supporter !