Selon des économistes à l'Agence française de développement (AFD), la modification progressive de la structure de la population conduit à un autre " choc démographique ", plus étendu, sur le marché du travail. Certes, depuis quelques années, la région du sud et même du nord de la Méditerranée se caractérise par un afflux constant et massif de primo entrants sur le marché du travail. Selon la Banque mondiale, le besoin d'emplois à créer serait de près de 100 millions dans la région entre 2000 et 2020. Un chiffre inaccessible dans les conditions actuelles. Cette tension sur l'emploi renvoie immédiatement vers les systèmes d'enseignement supérieur. L'explosion du nombre d'étudiants dans les universités menace très sérieusement la capacité des Etats à les accueillir dans des conditions satisfaisantes. En Egypte, le nombre d'étudiants a quasiment quadruplé en dix ans, passant de 700 000 en 1999 à 2,7 millions aujourd'hui. En Tunisie, le nombre d'étudiants a été multiplié par sept en vingt ans. En conséquence, et malgré la forte hausse des dépenses publiques en volume, la dépense par étudiant en pourcentage du revenu par tête est ainsi passée de 180% à 50% dans la région. Peut-on maintenir un niveau de qualité de l'enseignement constant -voire espérer l'améliorer -lorsque les ressources par étudiant baissent aussi drastiquement ? Les universités publiques de la région se trouvent dans un redoutable faisceau de contraintes, devant simultanément former plus d'étudiants, avec moins de moyens . Des choix difficiles s'imposeront. En Egypte, plus des trois quarts des étudiants sont encore inscrits en sciences sociales et en sciences humaines. En Tunisie, pays qui encadre davantage l'orientation, cette part est proche des deux tiers. Dans ces pays, les politiques d'ajustement structurel ont mis fin à la garantie publique de l'emploi à la sortie de l'université. Les difficultés des universités publiques et la libéralisation de l'enseignement supérieur se traduisent par une croissance exponentielle des capacités d'accueil des universités privées en Egypte, au Maroc ainsi qu'en Tunisie. Au Liban, le secteur privé accueille désormais 50% des étudiants. L'internationalisation à marche forcée des universités de la région avantage les acteurs les plus dynamiques, souvent privés. Enfin, de plus fortes mobilités estudiantines intra régionales pourraient favoriser l'émergence de pôles régionaux éducatifs et de formation professionnelle orientés vers l'accueil d'étudiants de pays voisins (du monde arabe et d'Afrique sub-saharienne). Ces tendances ne sont, toutefois, pas sans risque. Un développement de l'enseignement supérieur privé sans aide aux étudiants défavorisés pourrait conduire à plus d'iniquité et créerait de nouvelles tensions. La réforme de l'enseignement supérieur public, qui restera dominant dans la plupart des pays, supposera aussi des décisions difficiles : choix de filières prioritaires, amélioration de la qualité de l'encadrement, réforme de la sélection et de l'orientation des étudiants, implication des filières professionnelles dans la définition des cursus… Ces choix se heurteront à de fortes résistances, compte tenu de la symbolique politique du service public éducatif. Or, nul doute que l'accélération de la croissance de long terme et l'intégration euro-méditerranéenne reposeront d'abord sur l'accumulation, la valorisation et la mobilité du capital humain.