Par : Mourad Hamdan (Consultant en management) Course contre la montre Actuellement, le besoin d'énergie devient critique et l'EROI est le seul ratio qui permette de ne pas se tromper d'investissement. Cette situation, qui s'aggrave rapidement, avait été anticipée au début des années 1970 (notamment par les Meadows et leur équipe, dans l'orbite du Club de Rome). Ces avertissements - ainsi que d'autres émis depuis et de plus en plus pressants - furent ignorés et même abondamment ridiculisés par des décideurs qui étaient loin de comprendre l'énergie et son importance vitale dans le développement économique. Maintenant, le temps presse. Les technologies, les énergies alternatives, les infrastructures de transport et de télécommunication qui auraient dû être développées et déployées depuis les années 1970 nous manquent. Un changement d'infrastructure prend environ 40 ans et la fenêtre de temps pour redresser la barre est de moins de 20 ans. Le changement climatique est une réalité ainsi que d'autres dégradations écologiques que nous devons affronter en raison de l'énorme utilisation des combustibles fossiles depuis le XXe siècle jusqu'à nos jours. Les conséquences seront extrêmement graves, bien plus graves que ce que les gens estiment. Cependant, ces conséquences se développeront principalement dans le long terme. En revanche, la question de l'énergie représente dès maintenant un danger immédiat. Technologie de l'énergie C'est dans cette course contre la montre qu'il y aura des gagnants et des perdants. Une transition ordonnée vers le développement durable n'est plus faisable pour tous. Le mot-clé de notre époque est désormais "urgence de l'énergie". Cependant, tout réservoir d'énergie, que ce soit un tas de charbon, un baril de pétrole, un m3 de gaz, ou le rayonnement lumineux du soleil, n'est d'aucune utilité sans la technologie rentable et appropriée pour le convertir en énergie utilisable. En réponse aux défis économiques, écologiques et de l'énergie fossile, les nouvelles technologies capables d'aboutir à une utilisation viable des sources renouvelables d'énergie émergent maintenant comme les nouvelles sources de richesse. Dans ce nouvel environnement, les technologies de l'énergie viable conditionnent tous les autres secteurs. Le tableau est à ce stade très contrasté. Aucune des technologies émergentes qui conduisent à une certaine forme de viabilité (solaire direct, ou indirect tel que éolien, hydraulique ou biomasse) ne peut rentrer en concurrence avec le carburant fossile sans de très lourds subsides gouvernementaux. Le nucléaire n'est même pas éligible en raison de son prix et de son mauvais rendement énergétique. A cet égard, les infrastructures héritées des combustibles fossiles ont aussi pour caractéristiques un rendement exécrable. Peu de gens réalisent que le rendement énergétique global de nos réseaux électriques est actuellement inférieur à 20% (à titre d'exemple les Etats-Unis fonctionne avec seulement 13% de rendement énergétique, ce qui signifie qu'elle gaspille 87% de l'énergie primaire qu'elle consomme). Le modèle centralisé des grosses centrales est obsolète. Perspectives d'investissement Pour être gagnants, les investissements doivent se focaliser sur les quelques nouvelles technologies qui peuvent aboutir à un EROI élevé par des moyens viables. Ceci conduit presque exclusivement à des technologies capables de donner accès à l'énergie solaire directe ou indirecte, sous une forme distribuée étant donné que les ressources viables sont par essence distribuées, que les utilisateurs finaux sont disséminés, et que le modèle centralisé ne peut aboutir à un rendement élevé en raison de l'impossibilité de recycler une grande quantité d'énergie gaspillée. Le défi de ces nouvelles technologies est de produire les flux d'énergie que requièrent les utilisateurs finaux sur leurs propres sites (c'est-à-dire pas seulement l'électricité, mais aussi des flux froids ou chauds et des moyens de transport). Un autre éventail de nouvelles technologies critiques est requis pour éviter à chacun la carence énergétique dans laquelle nous allons tomber. Il s'agit des technologies de l'information permettant de distribuer la génération d'énergie de façon intégrée dans des réseaux locaux intelligents. C'est la seule voie pour atteindre le rendement élevé, les faibles coûts et la durabilité qui sont maintenant nécessaires dans la fenêtre de temps qui nous reste. Le paradoxe est que tandis que le tableau des combustibles fossiles est celui d'une effrayante raréfaction, les perspectives du solaire sont celles d'une abondance quasi illimitée. L'énergie solaire tombant annuellement sur terre est bien plus grande que tout ce que l'humanité peut consommer. Techniquement, il est parfaitement réalisable d'aboutir à une énergie renouvelable abondante fournie avec un EROI élevé. Cependant, ceci requiert un changement radical dans notre façon de penser les technologies de l'énergie et les développements d'infrastructures au sein d'une industrie qui est très conservatrice. Le savoir-faire existe, mais la course concerne le temps qu'il faille pour obtenir que ces nouvelles méthodes soient acceptées et que de nouvelles infrastructures soient déployées dans la fenêtre temporelle qui nous est laissée. Réseaux intelligents pour économiser l'énergie Grâce aux nouvelles technologies de l'information, les fournisseurs d'énergie connaîtront en temps réel les besoins des consommateurs. Ce qui permettra de mieux gérer le réseau et de moins gaspiller d'énergie. Nous sommes à la veille d'une révolution aussi importante que dans les télécoms à propos des réseaux électriques du futur (également appelés "réseaux intelligents" selon la traduction de l'expression anglo-saxonne smart grid) Le principe général de ces réseaux intelligents consiste à répartir la fourniture d'énergie en fonction des besoins réels des consommateurs. Aujourd'hui, un distributeur d'électricité est obligé d'anticiper la consommation de ses clients en fonction de paramètres théoriques (habitudes, température extérieure...). Ce qui le conduit, par précaution, à prévoir large. À l'aide des réseaux intelligents, ce fournisseur pourra, demain, connaître en temps réel les besoins de ses clients et leur fournir ainsi la puissance adaptée, évitant toute dispersion d'énergie. Le smart grid consiste à injecter plus d'intelligence, c'est-à-dire une plus grande capacité d'adaptation à tous les niveaux des systèmes énergétiques, de la production à la consommation. À l'arrivée, il faut profiter des avancées de plusieurs secteurs - celui des capteurs, des télécommunications et des technologies de l'information - pour fournir un système de gestion de l'électricité plus efficace et moins énergivore. Le parallèle avec Internet est pertinent. Le système énergétique va évoluer d'une structure pyramidale vers un véritable réseau. Avec les énergies renouvelables, non seulement les centres de production vont se multiplier et s'atomiser, mais les consommateurs pourront être en même temps producteurs, à l'image de ceux habitant des maisons équipées de capteurs solaires. Gérer des flux d'électrons pouvant changer de sens et des centrales à la production très fluctuante, tel est le défi que les réseaux devront relever en se criblant d'électronique. Conclusion En économie, le terme d'efficacité énergétique consiste à réduire les consommations d'énergie, à service rendu égal. Les progrès techniques peuvent conduire à une diminution de la quantité totale d'énergie non renouvelable, à condition qu'ils substituent l'énergie non renouvelable par une énergie renouvelable. Bâtir un système de réseaux intelligents c'est se donner les moyens de gérer des données sur la consommation énergétique en temps réel de dizaines de millions d'abonnés. Cela nécessite des infrastructures informatiques et des logiciels adaptés. Le mariage des technologies de l'information et de l'énergie exige des actions rapides et pointues, surtout de la part d'investisseurs lucides. Références - Charles A. S. Hall, Stephen Balogh et J. R. Murphy, 2009, "Quel est l'EROI minimal que doit avoir une économie durable" Energies, 2, 25-47 ; doi : 10.3390/en2010025. - Robert U. Ayres and Edward H. Ayres, 2010, Crossing the Energy Divide: Moving from Fossil Fuel Dependence to a Clean-Energy Future, Pearson Prentice Hall. - Travaux du Docteur Louis Arnoux sur les nouvelles technologies et les réseaux d'énergie. http://petrole.blog.lemonde.fr/, http://news.goldseek.com/GoldSeek/1250621683.php, http://www.synapse9.com/issues/Spiral&Relief.htm.