Par : Mourad Hamdan (Consultant en management) Economiquement, ce n'est jamais une bonne idée de dépenser plus que ce que l'on gagne. Mais on peut toujours provisoirement emprunter auprès d'une banque. Pour l'énergie globale, toutefois, il n'y a pas de banque auprès de laquelle emprunter. On ne peut tout simplement pas consommer plus d'énergie que ce qu'on en a l'issue est mortelle. Primauté de l'énergie L'énergie est la seule et unique ressource pour laquelle il n'y a pas de substitut. Si nous n'avons pas assez d'eau, mais que nous avons de l'énergie, nous pouvons l'utiliser pour produire plus d'eau, par exemple par la désalinisation. C'est vrai pour la nourriture, le logement et tous les autres aspects de nos vies. Cependant, l'inverse ne marche pas ; par exemple, nous ne pouvons changer un bloc de béton en énergie et nous ne pouvons accéder à de l'énergie sans d'abord en consommer. Tandis que nous pouvons remplacer du charbon par du pétrole et du pétrole par du gaz, nous ne pouvons pas remplacer l'énergie qu'ils contiennent par rien d'autre que de l'énergie obtenue d'une autre façon. Energie, monnaie et or En d'autres mots, l'énergie passe avant tout et est fondamentale à tous les aspects de l'existence et des affaires. En tant que telle, l'énergie est l'ultime et fondamentale source de richesse et le véritable étalon pour la valeur du dollar ou de n'importe quelle devise. Par exemple, fréquemment, beaucoup de conseillers recommandent aux investisseurs de se réfugier dans l'or. L'or est rare er devient de plus en plus rare. La production d'or a culminé en 2001 et depuis, elle décline inexorablement. Le point caché est que l'or est un bien tangible qui se négocie mondialement en tant que tenant lieu pour l'énergie. En effet, il faut dépenser une quantité considérable d'énergie pour extraire et raffiner de l'or. Durant des décennies, le rapport entre l'or et le pétrole est resté autour de 15 ou 16 barils par once d'or pour cette raison. Le baril de pétrole est aussi un tenant lieu très grossier pour l'énergie dans sa version abstraite. Tandis que les deux - l'or jaune et l'or noir - devenaient de plus en plus rares à un rythme similaire, le rapport entre les deux est resté relativement stable. Peak Oil ou la raréfaction du pétrole Le Peak Oil, ou déplétion pétrolière, désigne le point culminant de la production pétrolière et plus largement des hydrocarbures (c'est-à-dire du gaz naturel ou des sources pétrolières dites non conventionnelles) tandis que les ressources s'épuisent. "Washington considère un déclin de la production mondiale à partir de 2011" (Le Monde du 19 juillet 2010). Cette question demeure incomprise par la plupart des non-experts et reste obscure car les données publiques disponibles sur les réserves sont entachées d'une incertitude considérable. Par exemple, on sait que les réserves de l'OPEP sont probablement surestimées de 30%. Cette situation est compréhensible puisque les combustibles fossiles sont importants stratégiquement et que beaucoup d'intérêts publics et privés préfèrent conserver un flou artistique sur la véritable situation. On sait que des organisations internationales ont subi des pressions de la part de certains gouvernements pour ne pas publier des données qui pourraient déclencher une panique. Il s'ensuit que beaucoup de projections sont en réalité codées. Dans la plupart des projections, l'écart grandissant entre les véritables réserves actuelles et la demande prévisionnelle est comblé par des choses telles que "pétrole non conventionnel", "champ pétrolifère restant à découvrir", "champ pétrolifère restant à développer", etc. comme vous pouvez le constater en examinant les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie ci-dessous. Tout ceci n'est rien de plus qu'une feuille de vigne pour cacher la vérité toute nue : personne ne sait comment combler l'écart entre les réserves réelles (en bleu nuit sur le graphe) et la demande croissante. Deux choses importent: - L'énergie vraiment disponible dans le pétrole que l'on peut vraiment extraire, et - Combien il y en a annuellement pour chacun de nous. Véritable énergie disponible Les barils de pétrole ne sont pas équivalents selon leur origine en termes d'énergie contenue. La filiale hollandaise de l'ASPO a récemment souligné qu'exprimer la production en BTU (British Thermal Unit) ou joules permettait d'avoir une vue plus claire de l'existence d'un point culminant en 2008 (Oil Watch Monthly, juillet 2010, voir figure ci-dessus). Mais, au demeurant, depuis 2005, il s'agit d'un sommet assez plat, donc, compte tenu des incertitudes affectant les données, on ne doit pas chicaner sur l'année du pic absolu. Ce qui est clair c'est que le pic est en train de se produire. Quantité annuellement disponible pour chacun d'entre nous Le second point plus important concerne la production d'hydrocarbures (c'est-à-dire gaz naturel inclus) par habitant et par année et, bien sûr, sa vraie répartition puisque certain d'entre nous obtiennent bien plus que la moyenne et d'autres bien moins. Là le pic est très clair (voir figure ci-dessous). Il s'est produit en 1979 (second choc pétrolier). Depuis lors, le monde a parcouru un plateau plutôt bosselé, après une succession de crêtes de la production annuelle, le déclin a commencé, avec une pente assez raide. Les conséquences de cette situation sont évidemment intenables. C'est pourquoi, dans un passé récent, le pouvoir militaire d'un grand nombre de nations, divers organismes de réassurance et un certain nombre de capitaines d'industrie du monde entier (Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Chine, Brésil ou Japon) ont exprimé leur inquiétude et ont commencé à se préparer stratégiquement. D'après les observations, un point de vue émerge : sauf miracle - auquel personne de sensé ne croit -, quelques 10 millions de barils par jour (Mbpj) vont probablement manquer sur le marché à l'horizon 2015. C'est plus que 11% de la demande. Les analystes considèrent que 1% de baisse de l'offre de pétrole conduit à 1% de baisse du PIB mondial. Méga-dépression ou chaos économique ? Comme les institutions auxquelles il est fait référence ont tardivement pris conscience, ceci signifie un risque élevé de chaos économique dans un futur relativement proche (2015) étant donné l'extrême dépendance au pétrole de toute activité même vaguement économique. La seule alternative réaliste est que cette crise devienne une méga-dépression. Quelque soit le scénario, l'issue est sombre. Ces tendances signifient que, selon le principe de précaution, tout business doit à partir de maintenant se blinder, revoir et adapter ses procédés, stratégies et financements et assurer son indépendance énergétique, et aussi vis-à-vis des transports et des communications. Il n'y a pas une entreprise - et encore moins un individu - qui ne sera pas profondément touché par ce qui est en train de se produire. Comme d'habitude, il y aura des gagnants et des perdants, et les conséquences vont être très contrastées. Sur ce point, bien comprendre ce qui va suivre est extrêmement important pour les investisseurs. Retour énergétique sur investissement énergétique ou EROI Pour obtenir de l'énergie, nous devons d'abord investir de l'énergie, c'est-à-dire utiliser de l'énergie pour forer un puits de pétrole, extraire du charbon, faire marcher une centrale électrique, etc. Le ratio important est le retour énergétique sur investissement énergétique ou EROI. Le paramètre clé absolu est l'énergie nette disponible, ou l'énergie disponible pour mener à bien toutes nos activités économiques (y compris la nourriture que nous consommons pour rester en vie) une fois que tous les coûts énergétiques directs et indirects ont été retranchés. Cela peut sembler de la comptabilité primaire mais ce principe est ignoré de la plupart des comptables et financiers qui préfèrent calculer en dollar plutôt qu'en joule. Il y a près de 40 ans, dans les pays industrialisés, l'EROI était en général de 60 pour 1, un très bon EROI. Ailleurs, dans les pays en développement, l'EROI était généralement très bas, typiquement à 2 pour 1. Mais personne ne s'en préoccupait puisque les principales puissances économiques étaient encore largement prémunies. Dans notre monde dit globalisé, la donne a radicalement changé. Comme la crise commencée en 2007 l'a largement mis en évidence, toutes les économies sont étroitement imbriquées. Maintenant, c'est l'EROI global qui compte et les professionnels de ce secteur l'estiment à 3 pour 1 et tendant rapidement vers 1 pour 1. Nous estimons qu'au rythme actuel, un EROI de 1 pour 1 ("ground zéro") sera très probablement atteint avant 2030. A 1 pour 1, il n'y a plus d'énergie disponible et tout s'arrête. Bien sûr, 1 sur 1 ne sera jamais véritablement touché, les événements deviendront très chaotiques bien avant. Bref, durant environ 50 ans, le monde développé et industrialisé a vécu largement au-dessus de ses moyens en termes d'énergie nette qu'il peut consommer chaque année. Au fond, cette crise est un gigantesque retour de balancier face à la réalité têtue de la thermodynamique. La masse monétaire de la planète n'est plus convertible en joules d'énergie nette par an et sa valeur décline rapidement et inexorablement en comparaison de l'énergie disponible. Le Peak oil revu à la lumière de l'EROI Ces tendances d'EROI sont au cœur des conséquences du peak oil. Les réserves les plus faciles à exploiter sont d'abord épuisées, des plus difficiles sont découvertes et amenées en production. Durant cette séquence, la production croît rapidement et la demande est vite assouvie. Cependant, une fois le pic passé, satisfaire une demande toujours grandissante réclame de basculer rapidement vers des réserves toujours plus difficiles à exploiter qui requièrent des dépenses d'énergie toujours plus grandes et diminuent l'EROI. Par exemple : forer toujours plus profond dans les océans, avec les dangers récemment mis à jour par l'explosion de la plateforme BP dans le golfe du Mexique. C'est cette situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui.