Par : Mourad HAMDAN (Consultant en management) L'expansion de la production agricole ne peut à elle seule assurer la sécurité alimentaire. Le cadre législatif adéquat, la stratégie d'ensemble, les gisements de compétitivité, la coopération, la concentration, l'ouverture aux compétences extérieures et le transfert technologique doivent impérativement être intégrés lors de la construction d'une politique d'alimentation nutritionnellement saine et écologiquement responsable. COMMENT ELABORER UNE POLITIQUE AGRICOLE? Elaborer une politique agricole consiste principalement à effectuer des choix stratégiques et opérationnels. La définition des orientations stratégiques implique d'identifier les domaines d'action prioritaires, les productions à encourager, les importations qui posent problème, etc. Pour cela, il est nécessaire de prendre en compte les contraintes actuelles à la production (agro-écologiques notamment), ainsi que les projections faites sur ces contraintes et sur les défis à relever (croissance démographique par exemple). La qualité des services statistiques est à cet égard essentielle. Mais les choix stratégiques résultent aussi, et surtout, de processus de négociation entre les différents acteurs intervenant dans l'agriculture (administrations, collectivités territoriales, organisations de producteurs, organisations non gouvernementales, opérateurs privés, bailleurs). L'enjeu est de rechercher des compromis entre des demandes sociales et des intérêts parfois contradictoires, qui doivent idéalement être acceptés par tous et aller dans le sens de l'intérêt collectif. Les choix stratégiques se déclinent ensuite en actions dans chacun des domaines retenus. Pour que la politique agricole soit vraiment opérationnelle, il importe de hiérarchiser les priorités, définir les mesures concrètes, les modalités d'intervention et les instances de mise en œuvre (rôles et responsabilités de chacun des acteurs) ; ce que ne font pas souvent les multiples documents (plans, programmes…) qui fixent le cadre des actions. Les arbitrages budgétaires doivent également permettre de planifier sur la durée les moyens nécessaires à la mise en œuvre des actions. La prise en compte des engagements régionaux, bilatéraux et à l'OMC est une étape importante dans la définition d'une politique agricole. Elle doit assurer la conformité de la politique avec les engagements et les règles multilatérales. Mais ces règles ne sont pas immuables, elles se négocient en permanence. Il apparaît donc judicieux de définir d'abord l'orientation nationale avant de prendre en compte les contraintes externes, et ainsi de donner la priorité aux intérêts nationaux. À chaque stade de l'élaboration de la politique agricole, la concertation avec les professionnels de l'agriculture et avec la société civile dans son ensemble est essentielle. Elle permet de s'assurer que la politique sera acceptée et prise en compte par les acteurs et qu'elle répond à leurs besoins ; elle est un gage de son efficacité. Plus les acteurs sont organisés et en capacité de faire entendre leur voix et de défendre leurs intérêts, plus le processus de concertation est lui-même efficace. Le temps est alors une donnée primordiale dans l'élaboration d'une politique agricole concertée. Les objectifs des politiques agricoles sont vastes : - assurer la disponibilité, la durabilité, la salubrité et la qualité de l'alimentation ; - garantir le niveau d'approvisionnement et la stabilité des prix des denrées agricoles ; - préserver l'utilisation durable de la terre et des autres ressources environnementales ; - prendre en compte les aspects sociaux. A l'exemple du modèle européen et plus particulièrement français, l'harmonisation des politiques agricole et agroalimentaire consiste en une démarche qui allie, entre autres, les huit aspects suivants : 1) Créer un observatoire de la formation des prix et des marges Il est vivement conseillé de créer cet observatoire en Algérie et de nommer à sa tête " une personnalité disposant de toute la compétence et de toute l'autorité nécessaire pour mettre fin à un certain nombre d'abus ". Il permettra de rendre obligatoire la conclusion de contrats écrits pour les ventes de produits agricoles entre producteurs et premiers acheteurs. La balle sera donc dans le camp des filières (à créer pour la plupart), qui devront se mettre autour de la table afin d'établir la contractualisation. L'objectif est de donner de la visibilité aux producteurs sur leurs débouchés, face à la variation et à la volatilité croissante des prix. 2) Elaborer une politique publique de l'alimentation Elle devra concerner directement les industriels de l'agroalimentaire. La mise en œuvre d'une politique publique de l'alimentation devra se traduire par un Programme National de l'Alimentation (PNA) élaboré (tous les cinq ans) par le gouvernement. Il devra être construit en liaison avec le programme national nutrition-santé (PNNS). L'étiquetage des produits alimentaires, incluant l'indication du pays d'origine, devra être rendu obligatoire pour les produits agricoles et alimentaires et les produits de la mer, à l'état brut ou transformé. La liste des produits concernés et les modalités d'application de l'indication de l'origine devront être fixées à terme. L'instauration également de règles nutritionnelles en restauration collective (publique comme privée) devra être rendue obligatoire et privilégier l'approvisionnement en produits agricoles locaux contrôlés à travers des circuits courts de distribution, impliquant un exploitant agricole ou une organisation regroupant des exploitants agricoles. 3) Installer un comité stratégique Il est indispensable en Algérie de créer au plus tôt les filières agroalimentaires et d'installer par la suite un comite? stratégique consacré aux industries agroalimentaires. Ce comité stratégique devra travailler selon quatre axes de réflexion. - La première orientation aura pour but d'augmenter la dimension des entreprises agroalimentaires jusqu'à obtenir des tailles critiques suffisantes pour être compétitif afin d'exporter dans de bonnes conditions sur les marchés internationaux les plus dynamiques. - Deuxième axe de travail, l'innovation qui passera notamment par les pôles de compétitivité et la mise en place d'un programme d'accompagnement des industries agroalimentaires dans plusieurs régions pilotes. - Le troisième axe de réflexion concernera la valorisation des produits agroalimentaires algériens tant il est nécessaire de mettre l'accent sur la création d'une marque " Fabriqué en Algérie ". Cette marque commerciale, aux côtés des autres signes de qualité officiels, devra permettre aux produits algériens de mieux défendre leur spécificité à l'étranger. - La dernière orientation du comité sera consacrée la compétitivité industrielle. Il s'agira de travailler concrètement sur l'image du secteur et l'attractivité? des métiers, les relations au sein de la filière dans un contexte de volatilité? des matières premières, le soutien a? l'exportation et les enjeux environnementaux. 4) Créer des entreprises coopératives agricoles Opter pour un modèle coopératif c'est se donner les moyens de peser sur les marchés, de mener à bien les batailles des prix, d'être compétitif vis-à-vis de ses concurrents, de se situer en position de conquérant et de réaliser des projets innovants et porteurs. A titre d'exemple, le chiffre d'affaires des coopératives agricoles, agroalimentaires et agro-industrielles françaises a progressé de 5% cette année (exercice octobre 2009 - octobre 2010) pour atteindre 82,4 milliards d'euros. Et bien que le nombre d'entreprises coopératives soit passé pour la première fois sous la barre des 3 000, avec 2 900 unités (coopératives, unions et Sica), 15 groupes coopératifs affichent désormais un chiffre d'affaires supérieur au milliard d'euros, soit deux fois plus qu'il y a dix ans. 5) Concentrer pour être plus compétitif Cette course à la taille par des rapprochements nationaux, maghrébins ou euro-méditerranéens est indispensable pour gagner en compétitivité (aptitude à bien défendre ses positions et à conquérir d'autres) et permettra aux entreprises algériennes d'effectuer les efforts nécessaires de recherche et développement, d'automatisation (robotisation), de marketing, de présence à l'exportation et de peser davantage face aux distributeurs. Pour ce faire, les filières devront être accompagnées par des mesures appropriées, notamment des audits stratégiques, dont la finalité serait de fournir aux dirigeants les recommandations utiles à une meilleure visibilité sur leur avenir. 6) Obtenir le statut de grappes d'entreprises L'obtention du statut de grappes d'entreprises se fait grâce à un dispositif, doté d'un budget conséquent, qui vise à regrouper des sociétés d'un même territoire, appartenant souvent à une même filière, ayant des projets concrets d'actions communes. Son but est évidemment d'améliorer la compétitivité globale. Ces grappes, souvent construites autour d'un slogan publicitaire, couvrent généralement plusieurs thématiques, comptent de nombreux adhérents, centres de recherche et de transfert de technologie. Ces " clusters " animent des réseaux d'acteurs via des sites communautaires d'échanges et de travail collaboratif accessibles en plusieurs langues. Certaines grappes visent le développement d'emplois au sein d'une même filière pour en assurer la pérennité, en favorisant la cohérence entre le développement de la production et les besoins du marché. Au cœur de ces grappes, l'enjeu écologique répond non seulement aux objectifs de développement durable des terroirs mais maintient aussi un tissu rural créateur d'emplois. D'autres ont des objectifs divers de développement. Parmi eux, on notera : - L'orientation autour de la fonctionnalité et la naturalité des ingrédients ; - Une meilleure maîtrise de la composition nutritionnelle des aliments et des allégations nutritionnelles et de santé ; - L'innovation produit/ process /packaging ; - La prévention des maladies chroniques et du vieillissement, etc. 7) Innover par une ouverture aux compétences extérieures L'innovation et la différenciation sont les moteurs de l'industrie agroalimentaire. C'est une évidence à l'heure où les consommateurs adoptent des comportements plus versatiles, recherchant de manière implacable le bénéfice perçu. Plus que jamais, " l'innovation est un processus, qui demande des éléments de méthode et des connaissances fines de son environnement ". Une voie prometteuse est sur toutes les lèvres : l'open-innovation. Derrière l'idée à la mode, conceptualisée par le chercheur californien Henri Chesbrough, se cache une tendance de fond. Il s'agit d'ouvrir, selon un cadre défini, son processus d'innovation à des partenaires extérieurs. " C'est accélérer l'innovation, en concrétisant une idée qui apporte réellement de la valeur dans l'entreprise ". Bien que l'open-innovation doive s'inscrire dans les gènes mêmes de l'agroalimentaire, elle nécessite néanmoins de la part des industriels une véritable révolution culturelle. Pour rassurer, il faut préciser que s'ouvrir aux autres pour la genèse d'idées ou la mise en œuvre de partenariats, n'empêche pas la confidentialité dans les choix stratégiques. Pour relever le défi, des méthodes et des outils éprouvés sont apparues. Des plates-formes web permettent de rendre exponentiels les résultats des démarches collaboratives. Grâce aux centres techniques et à la puissance de la recherche agroalimentaire, mais aussi grâce aux pôles de compétitivités, associés désormais aux grappes d'entreprises, des partenaires de choix aident les industriels à récolter les fruits de l'innovation. Au final, c'est souvent la vision de l'avenir impulsée par le chef d'entreprise qui fait la différence. " Il faut adopter une vision empreinte de curiosité, de dynamisme et s'ouvrir à toutes les dimensions, en incluant le savoir-vendre ". 8) Créer un réseau de transfert de technologies Vingt deux partenaires européens, dont le chef de file du projet est l'Institut allemand des technologies alimentaires (DIL), ont créé récemment une base de données baptisée " Hightech Europe " pour faciliter les transferts de technologies pour l'agroalimentaire. L'objectif d' " Hightech Europe " est de rapprocher les besoins des industriels et les résultats des travaux des chercheurs et de partager des compétences et des savoirs pour faire émerger des innovations en procédés alimentaires. Il se présente sous la forme d'un wiki, c'est-à-dire d'un site web dont les pages sont modifiables par tout ou partie des visiteurs du site. Une partie de la plateforme est également dédiée aux moyens de financement et aux droits de propriété intellectuelle. Conclusion Les surfaces existantes de terres cultivables en Algérie offrent encore un vaste potentiel exploitable avec cependant un risque accru, lors de leur utilisation, de pression sur les ressources naturelles notamment l'eau. Accroître l'engagement politique et les ressources, augmenter la productivité agricole et prendre en compte la totalité du cycle alimentaire et nutritionnel sont au cœur de toute politique visant à garantir le développement agricole et la sécurité alimentaire et nutritionnelle.