Analyse du professeur Abderrahmane MEBTOUL . Si le Maghreb ne peut rester au milieu d'un gué, le problème central qui se pose aujourd'hui aux pays qui le composent (notamment à la Tunisie, au Maroc et à l'Algérie) est clair. Le Maghreb a un poids économique insignifiant au sein du commerce mondial, et d'une manière générale, la région méditerranéenne est frappée actuellement par une récession économique avec un écart croissant, les pays de l'UMA ayant un revenu PNB par tête qui représente moins de 15% de ceux de la CEE. Le rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) paru courant janvier 2009 pour cette région- précise que l'écart de richesse entre les deux rives de la Méditerranée est le plus fort au monde, avec un PIB annuel par habitant qui se situe en moyenne dans un rapport de 1 à 10. Entre le Maroc et l'Espagne, il est par exemple de un à douze. Tensions inévitables Cette situation dramatique s'aggrave depuis plusieurs années, avec son lot de tensions inévitables, l'augmentation significative de l'émigration vers l'Europe et le risque de voir, à terme, la région s'embraser à la moindre occasion. L'OCDE estime qu'il faudrait créer au sud de la Méditerranée au minimum 40 millions d'emplois dans les quinze prochaines années pour parvenir seulement à maintenir le taux de chômage à son niveau actuel. Il est peu probable, compte tenu de la situation économique des pays de la zone européenne, de solutionner à brève échéance ce problème majeur, et ce malgré les meilleures volontés affichées. Toujours selon l'OCDE, " le flux d'investissements européens dans la zone est anormalement faible : l'Europe ne réalise que 2% de ses investissements en Méditerranée, alors que les Etats-Unis et le Japon investissent respectivement 20% et 25% de leurs investissements dans "leur" sud ". La Méditerranée sera l'une des régions du monde les plus touchées, à court terme, par les conséquences du changement climatique, dont la désertification de la Méditerranée, sans oublier la pollution avancée, le Plan Bleu étant à son point mort. Cette récession s'explique par différents facteurs, dont le manque d'homogénéisation économique pour des raisons politiques étroites, qui fait fuir les capitaux vers d'autres cieux plus propices.
La sphère informelle Cette intégration passe par la résolution de la sphère informelle, dominante au niveau du Maghreb. Les travaux relatifs aux institutions de gouvernance des entreprises et à la gouvernance publique sont au centre de la problématique posée à la plupart des économies en transition : comment réussir le passage d'institutions économiques et politiques largement fondées sur des relations interpersonnelles à des institutions davantage fondées sur des règles contractuelles transparentes. Aussi y a-t-il lieu d'éviter une analyse à sens unique, les institutions formelles et institutions informelles vivent dans le même espace et sont donc interdépendantes, de nombreuses règles formelles n'étant qu'une validation ex post de règles informelles issues de la tradition ou de la coutume. L'économie informelle est souvent qualifiée de " parallèle ", " souterraine ", ou de " marché noir ". Tout cela renvoie au caractère dualiste de l'économie maghrébine, une sphère qui travaille dans le cadre du droit et une autre sphère qui travaille dans un cadre de non-droit, beaucoup plus dynamique étant entendu que le droit est défini par les pouvoirs publics en place et que dans l'imaginaire des agents de la sphère informelle les agents fonctionnent dans un Etat de droit qui n'est que leur droit au sein de leur espace social. Pour les économistes, qui doivent éviter le juridisme, dans chacun de ces cas de figure, nous assistons à des logiques différentes, tant pour la formation du salaire que pour le rapport salarial, le crédit, le taux d'intérêt, qui renvoient à la nature du régime monétaire dualiste. En définitive, la formation des prix et des profits dépend dans une large mesure de la forme de la concurrence sur ces différents marchés. La différenciation du taux de change officiel et de celui du marché parallèle, leur rapport avec l'environnement international (la sphère informelle étant souvent mieux insérée au marché mondial que la sphère réelle) et, en dernier lieu, leur rapport à la fiscalité conditionne la nature des dépenses et des recettes publiques, en fait, par leur rapport à l'Etat, étant démontré que le paiement de l'impôt direct est un signe d'une plus grande citoyenneté, et la généralisation de l'impôt indirect, injuste par définition, est la solution de facilité démontrant le manque de maîtrise de la régulation d'ensemble par l'Etat.
Poids de la bureaucratie Peut-on parler de citoyenneté politique, et d'une manière générale de citoyenneté sociale, lorsque la majorité des agents économiques vivant dans la sphère informelle ne payent pas leurs impôts ? En fait, pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l'analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place, c'est-à-dire des institutions. L'extension de la sphère informelle est proportionnelle au poids de la bureaucratie, qui tend à fonctionner non pour l'économie et le citoyen, mais pour elle-même en tant que pouvoir bureaucratique. En fait, tout cela renvoie à l'anthropologie économique où, en en dépit de ses discours, l'Etat national au Maghreb, tant dans sa formation que dans sa déformation, a toujours été influencé par l'action des équipements anthropologiques dont les tribus, la sphère informelle, sont la représentation concrète. C'est que la majorité des entreprises publiques et privées sont fortement imbriquées dans le système administratif, lieu de relation de clientèles vivant grâce aux marchés que veulent bien leur donner les pouvoirs publics. L'OCDE estime qu'il faudrait créer au sud de la Méditerranée au minimum 40 millions d'emplois dans les quinze prochaines années pour parvenir seulement à maintenir le taux de chômage à son niveau actuel. Aussi, la majorité des entreprises privées, dans la sphère réelle, ne sont pas autonomes, mais trouvent leur prospérité ou leur déclin dans la part des avantages financiers, fiscaux, leurs parts de marché, auprès des entreprises publiques et des administrations. Cette organisation spécifique où l'autonomisation de la décision économique est faible engendre peu d'innovation, peu d'esprit d'entreprise. Aussi, certaines entreprises publiques ou privées sous-traitantes, vivant du transfert de la rente, exercent des pressions pour accroître le protectionnisme, néfaste à terme, et sont peu enclines à la concurrence internationale avec des alliances contre nature avec les syndicats corporatistes, créés artificiellement par certains segments du pouvoir, vivant eux-mêmes des subventions de l'Etat... Le respect du contrat Bien que l'intégration maghrébine soit dominée par des économies contractuelles ou organisées, nous assistons à une dynamique informelle, surtout au niveau des frontières. La raison essentielle trouve un fondement socio-historique, avec le poids des structures familiales et tribales où la sphère informelle se consolide en période de récession économique. Ces analyses opératoires rendent d'actualité la vision ibn khaldounienne, dans la mesure où existe une corrélation entre la gouvernance, le développement et le poids des relations informelles. Aussi, cette nécessaire intégration, pour uniformiser le paysage social et économique, implique des règles contractuelles claires, loin des relations néo-patrimoniales dominantes au Maghreb, pour reprendre l'expression du grand sociologue Max Weber, la dualité des référentiels posant un problème pour une gouvernance globale cohérente, en précisant que la sphère informelle elle-même n'est pas homogène, mais est traversée par des segments sociaux parfois à intérêts contradictoires. Cela renvoie à deux éléments stratégiques, la confiance et le respect du contrat, sans lesquels ne peut exister ni un système politique, ni un système économique fiable.
LES OBJECTIFS STRATEGIQUES DE L'INTEGRATION ECONOMIQUE Dans ce cadre, l'émigration maghrébine, ciment des liens culturels, peut être la pierre angulaire de la consolidation de cette coopération et de cette intégration au sein de l'espace euro-méditerranéen. C'est un élément essentiel de ce rapprochement du fait qu'elle recèle d'importantes potentialités économiques et financières. La promotion des relations entre d'une part les USA et le Maghreb, d'autre part le Maghreb et l'Afrique et sa communauté émigrée, doit mobiliser à divers stades d'intervention l'initiative de l'ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les entrepreneurs, les commerçants, les universités et les compétences individuelles. L'engagement implicite caractérisant les relations entre la communauté émigrée et les pays d'origine ne doit pas occulter les légitimes intérêts strictement économiques des parties concernées pour garantir la rentabilité et la pérennité des opérations engagées. Les pouvoirs exécutifs devraient veiller, dans le cadre organisationnel et législatif, à alléger l'ensemble des procédures administratives afin de favoriser la promotion de l'investissement et les échanges commerciaux, à l'instar de pays qui utilisent leurs compétences nationales localisées à l'étranger comme point d'appui au développement national. Cela permettrait, par des actions concrètes, de promouvoir la synergie de systèmes privés, politiques et administratifs, pour développer une approche de " coopération " avec les USA qui pourrait être mieux perçue par l'interlocuteur maghrébin et africain qu'une approche purement commerciale.
Pour réaliser l'intégration maghrébine, on peut envisager plusieurs axes : La solution maximum, qui impliquerait la signature d'un traité instituant l'Union économique maghrébine, avec fixation d'un calendrier relatif à l'élimination des droits de douane et des restrictions contingentaires, l'établissement d'un tarif extérieur commun, l'harmonisation des politiques économiques, fiscales, monétaires, et enfin la mise en place d'institutions communes dotées de pouvoirs de décision. La solution minimum, qui ferait de la création progressive d'une union économique une simple déclaration d'intention, les seuls engagements juridiques se limitant à la participation périodique à des négociations sur les concessions tarifaires ou sur les choix des lieux d'implantation d'industries nouvelles. La solution intermédiaire est fondée sur l'interaction entre la libéralisation commerciale et l'harmonisation industrielle. Cette solution devrait couvrir une période de cinq ans au cours de laquelle les pays maghrébins s'engageraient : - à des réductions linéaires (10% par exemple par an) des droits de douane et des restrictions quantitatives frappant les produits échangés - à l'établissement d'une liste d'industries à agréer et dont les produits seraient assurés de la libre circulation et de la franchise sur le marché maghrébin - à la création d'une banque maghrébine d'intégration pour financer les projets d'intérêt commun et favoriser cette industrialisation simultanée et équitable - à l'institution éventuelle d'une union des paiements - et enfin à l'harmonisation de leurs politiques commerciales à l'égard des pays tiers pour ne pas compromettre plus tard l'institution d'un tarif extérieur commun. Après cette banque d'investissement, la création d'une banque centrale et d'une bourse maghrébine pourrait être utile dans une seconde phase, car elles doivent précéder nécessairement la création d'une monnaie maghrébine devant s'insérer à l'horizon 2020 à travers des réseaux dans le cadre de la future création d'une banque centrale et d'une bourse euro-méditerranéennes. Comme il y a lieu d'accorder une attention particulière à l'action éducative, car l'homme pensant et créateur, qui forme avec la bonne gouvernance les deux fondamentaux du développement du XXIème siècle, devra être à l'avenir le bénéficiaire et l'acteur principal du processus de développement. C'est pourquoi je préconise la création d'une université euro-maghrébine et américano-maghrébine, ainsi que d'un centre culturel de la jeunesse, euro-maghrébin et américano-maghrébin, comme moyen de fécondation réciproque des cultures, et la concrétisation d'un dialogue soutenu pour éviter les préjugés et les conflits, sources de tensions inutiles.