La flambée des grains et des denrées alimentaires sur les marchés financiers fait des remous jusqu'à la scène politique. Alors que le spectre d'une nouvelle crise alimentaire se profile, le G20 souhaite intervenir pour limiter la volatilité des denrées. C'est du moins ce que souhaite la France, qui présidera bientôt l'organisation économique représentant les deux tiers de la population et du commerce mondial. La France se dit préoccupée par un problème qu'elle juge être plus de nature politique qu'agricole. " 2011 doit être l'année des décisions concrètes au niveau du G20 pour encadrer la spéculation ", a déclaré le ministre français de l'Agriculture, Bruno Le Maire, selon Radio-Canada. La branche de l'ONU s'occupant des questions de l'alimentation et de l'agriculture a lancé la semaine dernière un signal d'alarme. L'indice retraçant le prix des denrées de base a dépassé les sommets atteints pendant la crise alimentaire de 2008. Plusieurs pays sont menacés de vivre un nouvel épisode de crise, dont le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad. Le Mozambique, l'Afghanistan et la Mongolie sont aussi fragilisés. Au mois d'avril dernier déjà, le directeur de la FAO Jacques Diouf avait annoncé que plus d'un milliard de personnes dans le monde souffre de la faim, en raison de la crise économique et de la hausse des prix de la nourriture ces trois dernières années. ''Le nombre de ceux qui souffrent de la faim dans le monde a augmenté de 105 millions en 2009 par rapport à 2008'', a ajouté M. Diouf, qui a expliqué le phénomène par ''l'augmentation de la sous-alimentation ces trois dernières années par la diminution des investissements dans le secteur agricole, le renchérissement des aliments et la crise économique''. L'Afrique est toujours le continent le plus concerné par la sous-alimentation qui touche 28% de sa population, selon M. Diouf qui a appelé à une "politique mondiale de sécurité alimentaire". Celle-ci devrait prendre en compte la nécessité d'augmenter la production agricole de 70% dans les pays développés et de 100% dans les pays en développement, ''si l'on veut nourrir une population qui, en 2050, approchera 9,1 milliards d'habitants'', a-t-il ajouté. Un rapport de la FAO souligne que "la gravité de la crise alimentaire actuelle est le résultat de vingt ans d'investissements insuffisants dans l'agriculture et l'abandon du secteur". Pour l'Office d'aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO), certaines zones de la région de l'Afrique de l'Ouest risquent d'être affectées par une crise alimentaire aiguë, et des millions de personnes restent menacées par la famine dans cette région. Selon ECHO, cette menace de crise est le résultat du déficit pluviométrique qui a affecté cette année la campagne agricole dans cette région africaine. "Les récoltes de céréales accusent cette année un déficit de un million de tonnes", précisée la même organisation, qui relève qu'au Niger seulement, plus de deux millions de personnes sont menacées par "un risque réel de famine" et pas moins de cinq millions d'autres pourraient être touchées par "un risque modéré de crise alimentaire". Ce risque de crise alimentaire pourrait affecter outre le Niger, le Tchad, le Burkina Faso et certaines régions du Nigeria, en raison de la forte baisse des récoltes dans ces pays, affectées, à divers degrés. Le directeur régional d'Oxfam pour l'Afrique de l'Ouest, Mamadou Biteye, souligne que "nous sommes témoins d'un désastre qui se déroule sous nos yeux, mais nous pouvons l'éviter, si le monde agit rapidement". La réunion du G20 sera ainsi particulièrement tendue, difficile, du fait de positions divergentes entre les grandes pays producteurs agricoles membres du G8, dont la France, les Etats-Unis, le Canada, avec les pays dits BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), également grands producteurs de céréales et produits vivriers. La bataille qu'il faudrait éviter à Paris, selon des Ongistes, c'est surtout celle d'éviter que les responsabilités sur la hausses des prix des produits agroalimentaires ne détourne les pays participants du vrai débat, à savoir trouver les raisons de la crise alimentaire mondiale qui s'annonce et lui trouver des solutions durables. Car la FAO agite déjà le spectre des spéculations des cambistes sur les marchés financiers: la facture des importations alimentaires mondiales pourrait dépasser pour la deuxième fois les mille milliards de dollars cette année. Cette inquiétude de cette organisation des Nations-unies revient dans la dernière livraison de sa revue ''Perspectives de l'alimentation''. En fait, la FAO a revu à la hausse la facture mondiale pour l'alimentation à 1.026 milliards de dollars en 2010, près de 15 % de plus qu'en 2009 (893 milliards) et proche du plus haut touché en 2008 lors de la crise alimentaire avec 1.031 milliards. En fait, dans les années 1997-1998, le montant des importations ne dépassait pas en moyenne les 500 milliards de dollars par an. ½ La facture devrait s'alourdir de 11 % pour les pays les plus pauvres et de 20 % pour les pays à faible revenu et à déficit vivrier ", averti le rapport. Selon un expert agricole, ''il n'y a pas de doute que les activités spéculatives ont introduit une grande instabilité et une importante volatilité sur le marché des céréales'', même si, ajoute t-il, ''la spéculation n'est pas la seule cause de la hausse des prix''. Hafez Ghanem, vice-directeur de la FAO, a un autre avis et estime qu'il n'y a ''aucune implication des spéculateurs derrière cette hausse des prix'', indiquant que ''seuls les fondamentaux en sont la cause''. ''La production mondiale de céréales 2010-2011 sera de 2 % inférieure à la précédente, même si elle reste la troisième plus importante enregistrée jusqu'ici'', précise-t-il, selon lequel ce sont les conditions climatiques désastreuses qui sont derrière la baisse cette année des productions agricoles vivrières. Les dernières estimations de la FAO font état d'une production de 2,22 milliards de tonnes de céréales, pour une demande de 2,25 milliards, en hausse de 1,3 %. Ainsi, il y aura une inflexion des stocks mondiaux de 7% en moyenne : 35 % pour l'orge , 12 % pour le maïs, 10 % pour le blé. Seules les réserves de riz augmenteront de 6 %. ''Compte tenu des prévisions de réduction des stocks mondiaux, les récoltes de l'année prochaine seront déterminantes pour la stabilité des marché mondiaux. La communauté internationale doit rester vigilante et se préparer à de nouveaux chocs de l'offre en 2011'', estiment des experts de la FAO. Mieux, ils estiment qu'il est ''crucial pour les agriculteurs d'augmenter significativement la production, notamment de maïs et de blé en 2011-2012 pour répondre à la demande et reconstituer les réserves mondiales''. Un tableau pas tellement appétissant pour les pays du G20 dont la prochaine réunion à Paris devrait donner les grands contours d'une mobilisation internationale contre la crise alimentaire.