Abdelaziz Bouteflika en appelle aux travailleurs pour s'engager, à leur tour, dans la lutte anti-corruption et "soutenir les efforts de l'Etat dans la lutte contre la corruption et toute forme de prédation susceptible de saper l'effort de développement national". Cet énième recours de la part du président de la République illustre la détermination de l'Etat à endiguer le phénomène et opérer une véritable "manu pullite". L'orientation du discours officiel se fait de plus en plus et avec insistance en direction de la lutte contre la corruption. Il est devenu rare que des responsables occultent, lors de leur intervention, ce phénomène. C'est même devenu un rituel dont le leitmotiv est la corruption et sa lutte. Dans ses discours, le président de la République en a fait, depuis quelques mois déjà, son cheval de bataille. La dernière intervention présidentielle, lue en son nom par le conseiller Mohamed Ali Boughazi, à l'occasion du double anniversaire du 24 février, insiste sur la lutte à mener contre ce fléau. Le chef de l'Etat se dit "fermement déterminé à protéger l'économie nationale" et que pour cela "l'Etat a placé la lutte contre la corruption et les pratiques parasitaires et la fraude au cœur de son action". Il faut dire que la corruption a pris des proportions astronomiques. Les chiffres donnés par le ministre de la Justice, M. Tayeb Belaiz, sont effarants. Selon le garde des Sceaux, il s'agit d'une moyenne de 5575 affaires liées à la corruption qui ont été traitées durant la période 2006 à 2009. De 930 personnes jugées pour des affaires de corruption en 2006, le chiffre a grimpé pour atteindre les 1789 mis en cause en 2007 et atteindre, en 2008, les 1694 cas jugés et 1162 condamnées en 2009. Le taux le plus élevé de délits de corruption a été enregistré dans des affaires de dilapidation des biens par un fonctionnaire public avec une part de 55,16% des crimes enregistrés. Par contre, le crime lié à "l'attribution d'avantages injustifiés dans les marchés publics" est de 11,37%, alors que la corruption des fonctionnaires publics a atteint 10,98% du taux global des crimes liés à ce fléau. Selon l'indice de perception de la corruption, transparency international classe l'Algérie à la 92e place sur les 182 pays les plus corrompus au monde avec la note de 3,2 sur 10. Mais, il faut dire aussi qu'il y a beaucoup d'argent en jeu et que la tentation aussi grande qu'elle le soit est favorisée par la défaillance des mécanismes de contrôle. Ce à quoi comptent pallier les nouveaux textes de loi qui sont venus renforcer cette lutte. Il s'agit, entre autres, de la réhabilitation de l'IGF dont les prérogatives ont été renforcées au point de disposer de l'attitude de contrôler à même le secteur privé en partenariat avec les marchés publics, la réactivation de la Cours des comptes, la création de l'observatoire de lutte contre la corruption ainsi que tout récemment la mise en place, de l'organe national de prévention et de lutte contre la corruption que préside M. Brahim Bouzeboudjen. L'ordonnance n°10-05, venue en complément à la loi n° 06-01 du 20 février 2006, met, elle aussi, l'accent sur les marchés publics et tout ce qui les concerne. C'est à cet effet que, dans son message, Abdelaziz Bouteflika rappelle que "les cadres juridiques et les mécanismes de prévention ont été mis en place à cet effet et l'Etat continuera à consacrer les moyens nécessaires pour renforcer et soutenir les instances de contrôle". C'est pourquoi, l'Etat s'est doté, durant l'année 2010, d'un arsenal législatif visant à prévenir et à réprimer la corruption et les atteintes à l'économie nationale. Dans ce contexte, je citerai la révision de la loi contre la corruption qui a permis la création d'un office de répression de la corruption ayant une compétence territoriale nationale et qui oblige les soumissionnaires aux marchés publics à produire une déclaration de probité engageant leur responsabilité devant les tribunaux. Il convient également de citer la révision de la loi sur la Cour des comptes, l'obligation de transparence dans les transactions commerciales, par la facturation et la justification des marges et le renforcement de la lutte contre le non-respect de la législation du travail et de sécurité sociale. L'Etat semble réellement déterminé à éradiquer la corruption en faisant accompagner "ces mesures d'ordre législatif et réglementaire (…) par la mise en place, dans le cadre du programme quinquennal 2010-2014, d'importantes ressources évaluées à près de 400 milliards de DA, afin d'améliorer les moyens de travail des administrations et services chargés du contrôle". Parallèlement, les pouvoirs publics tentent de séparer le bon grain de l'ivraie en procédant à la dépénalisation de l'acte de gestion qui a tant réjoui la population des managers et des cadres dirigeants menacés jusque-là par l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête. Cependant, et face à cette exaltation, certains responsables affichent leur scepticisme quant aux résultats pouvant découler de cet armada législatif en accentuant leurs interventions sur l'élaboration et la rédaction de cahier des charges, sur l'analyse de l'opportunité de la dépense et proposent l'élaboration de plusieurs codes des marchés spécifiques à chaque secteur et entreprise. Le P-DG d'Air Algérie, M. Bouabdallah, l'explique si bien en affirmant que "les négociations dans le cadre des passations de marchés sont souvent synonymes de risques de fraude, or, le Code des marchés le permet, à condition d'établir un cahier des charges sérieux et clair".