Une quinzaine de cabinets d'avocats viennent de créer Isfin, le premier réseau mondial de spécialistes de la finance islamique, un secteur du droit en pleine croissance. Le réseau, qui cherche à atteindre une soixantaine de membres, s'ouvrira à des cabinets basés au Moyen-Orient. Une première rencontre est prévue en mai prochain au Luxembourg. "Le but est de créer un réseau d'experts, afin d'échanger les best practices dans le domaine de la finance islamique, mais aussi de se profiler sur les marchés locaux", précise Laurent Marlière (Scipion). Selon l'initiateur du projet, le créneau offre de multiples potentialités : accompagnement des gouvernements nationaux dans l'adaptation de leur arsenal législatif, conseil local aux investisseurs en finance islamique, suivi des investisseurs occidentaux désireux de s'engager dans les pays actifs en finance islamique. Pour rappel, les actifs bancaires de la finance islamique ont augmenté de 8,9% cette année. La valeur du secteur est ainsi estimée à 895 milliards d'USD, selon les derniers chiffres de The Banker and Maris Strategies. Selon les derniers chiffres rendus publics par Standard & Poors, les émissions de "sukuks" (obligations islamiques) ont atteint au premier semestre 2010, 13,7 milliards de dollars, soit presque deux fois plus qu'au premier semestre 2009 (7,1 milliards). Standard & Poor's, dans sa dernière étude sur le sujet, voit une embellie sur le marché, même si le niveau reste loin de celui d'avant-crise où des sukuks avaient été émis à près de 35 milliards de dollars en 2007. Les obligations souveraines ont représenté 75% du volume des émissions. Les institutions financières d'Asie et du Golfe retournent graduellement sur le marché. Le Japon (au travers de Nomura Holdings) a lancé, en juillet, son premier sukuk pour 100 millions de dollars. S&P anticipe donc une croissance soutenue pour la deuxième partie de l'année, venant à la fois de la reprise des émetteurs historiques et de l'entrée en lice de nouveaux acteurs, notamment privés, "à supposer que la reprise économique se poursuive".Les clés de l'expansion du marché pour S&P résident donc dans la mise en place de procédures de défaillance, une standardisation de l'interprétation de la charia au niveau de la finance islamique, et une augmentation des liquidités des sukuks en les intégrant dans les marchés réglementés. Il faut noter que la finance islamique a bien résisté à la crise financière mondiale. La finance islamique brasse des flux de 840 milliards de dollars avec une croissance annuelle d'environ 15%. Depuis 2006, le secteur a plus que doublé de taille, en raison du nombre accru d'individus et d'institutions ayant cherché à investir selon des modalités conformes à l'Islam ou à la Sharia. Cela implique d'éviter les gains d'argent résultant d'intérêts connus sous le nom de riba. Ceci est perçu comme un pêché en vertu de la loi islamique. La création d'argent à partir d'argent est, en effet, considérée comme immorale. Nick Edmondes, co-directeur du service Finance islamique auprès du cabinet d'avocats Trowers & Hamlins, affirme que "la finance islamique a résisté relativement bien aux chocs financiers étant donné qu'elle n'est pas exposée aux produits dérivés et aux actifs hypothécaires toxiques qui ont frappé le secteur financier conventionnel." Razi Fakih, directeur-adjoint de HSBC Amanah, le bras financier islamique de HSBC, ajoute que "la crise financière n'a pas eu un impact direct sur le secteur islamique, en partie car les institutions financières islamiques étaient basées dans des marchés émergents qui n'ont pas été touchés de façon significative." Malgré ces problèmes, plusieurs analystes affirment que la probabilité d'une croissance plus forte est réelle dans la mesure où un tout petit pourcentage de Musulmans a recours à la finance islamique (environ 12% des 1,6 milliard de Musulmans vivant à travers le monde). En outre, ce n'est pas uniquement dans le monde islamique que les banquiers détectent des opportunités de développement du produit Sukuk. En Europe, en particulier à Londres, le secteur connaît une forte croissance. Les investisseurs non musulmans considèrent ce type de financement comme un moyen sensé de se diversifier puisqu'il offre un produit distinct qui semble plus résistant face aux incertitudes des marchés occidentaux, surtout dans la zone euro. Certains gestionnaires de fonds considèrent que les économies périphériques plus faibles sont trop risquées pour y investir. En Europe, Londres cherche à consolider sa position de passerelle entre la finance islamique et le monde occidental. Le premier sukuk corporate au Royaume-Uni a été lancé au cours de l'année, et la finance islamique continue de se développer dans le pays. Les investisseurs espèrent toujours que le Royaume-Uni émettra le premier Sukuk occidental souverain. Le Nigéria et le Sénégal commenceront à émettre leurs premières obligations islamiques l'année prochaine. Le gouvernement français a annoncé de nouvelles initiatives en juillet, destinées à faciliter l'introduction de produits islamiques, tandis que la Turquie a émis les premiers Sukuks par l'intermédiaire de ses principales banques. Dans d'autres parties du monde, la Chine a accepté que la Bank of Ningxia offre des services financiers islamiques, l'Inde envisage d'introduire des pratiques bancaires islamiques, tandis que l'Australie revoit le traitement fiscal de la finance, des produits bancaires et d'assurance islamiques. Au Kenya, la Banque centrale a donné son autorisation à deux banques islamiques. Isma B.