Elles sont enfin arrivées, elles sont toutes belles et bien charnues. Elles sont succulentes ! Depuis quelques jours, elles ont fait leur apparition sur les étals de la ville des Genêts. ce sont ces figues précoces, appelées communément "Ibakourene" pour les distinguer des figues fraîches saisonnières n'arrivant à maturité qu'à la mi-août. Proposées depuis quelque jours, à travers les rues de Tizi Ouzou, à un prix variant entre 150 et 200 DA le kg, selon le calibre et la qualité de ce fruit, désigné sous le vocable de lakhrif, synonyme de "régal" et de la saison du même toponyme. Dans une région réputée pour être le fief des figueraies, culture intimement liée à celle de l'olivier dont elle constituait le complément. Vendre du "bakhssis" à un tel prix relevait, dans un passé pas lointain, de l'imaginaire, tant ce fruit était disponible à profusion. Il était considéré comme une obole de la providence, ne se refusant jamais à celui qui le demandait, sous peine de s'attirer la malédiction des ancêtres pour manquement à une tradition qui les a toujours caractérisés. Autres temps, autres mœurs, la vente de la figue fraîche s'est incrustée dans les mœurs locales, de plus en plus imprégnées de mercantilisme, au point de devenir une pratique banale n'embarrassant nullement les esprits, au grand désespoir de quelques nostalgiques. Une petite tournée à travers les rues de Tizi Ouzou, notamment le long de la RN 12, nous a permis d'apprécier un décor loin de vous rendre nostalgique . Des jeunes et moins jeunes proposent du "bakhssis" de piètre qualité et ratatiné par la sécheresse, dans de vulgaires bidons de peinture et autres récipients de fortune, en guise des corbeilles en osier tressé qu'on employait pour honorer la cueillette de ce fruit. Installés sur les trottoirs où ils vantent la qualité de leur marchandise, invitant les passants à en déguster avant l'achat, ces commerçants d'un autre genre viennent des villages périphériques de Betrouna, Oued Aissi, Ouaguenoun, Beni Z'menzer, Ihasnaouène, Redjaouanaà troquer la figue fraîche contre une poignée de diners, histoire pour certains de se faire l' argent de poche ou tout simplement de se procurer une ressource d'appoint pour faire face aux dépenses incompressibles de la rentrée scolaire et du Ramadhan. Ainsi, naguère considéré comme étant "le fruit du pauvre" s'offrant généreusement à tout demandeur, la figue fraîche est devenue à présent un fruit "exotique", dont le prix dépasse même celui de la banane importée des régions tropicales. Oumalou et Mechtras.