Quelles sont les incidences de la privatisation des entreprises publiques sur l'emploi et les inégalités ? C'est une interrogation qui taraude de nos jours les esprits des gouvernants qui hésitent à mettre les programmes de privatisations comme le recommandent souvent le FMI ou la Banque mondiale aux pays en crise économique ou à cours de paiement. Et ils ont raison, selon les experts du forum euro-méditerranéen des instituts des sciences économiques (Femise) dont fait partie le Cread (centre de recherche en économie appliquée pour le développement d'Alger). Les pays développés et en développement ont engagé, ces dernières années, de grandes vagues de privatisation sans en connaître les effets réels sur les populations actives. En réalisant une étude sur le sujet, en décembre 2010, le Femise vient combler les lacunes en la matière. Des ports, des aéroports, des routes, des mines de charbon, des compagnies maritimes… Tout, quasiment tout est à vendre ! Privatiser contribue-t-il à réduire la pauvreté, les inégalités et le chômage ? Pas si sûr, selon les experts du Femise. Tout dépend de l'utilisation faite par les états des recettes tirées de la privatisation du système productif. En d'autres termes, le niveau d'inégalités et d'emploi dépendrait de l'importance de la corruption d'un pays ! La preuve a été faite que les recettes des privatisations dans les ?tats africains et d'Amérique Latine ont eu, selon cette étude du Femise, un impact négatif sur l'inégalité et il en est de même dans les pays méditerranéens. " Corruption et malversations en Tunisie et en égypte n'ont fait qu'accroître le fossé des inégalités conduisant les populations à renverser des années de régime autoritaire ". C'est ce que révèle l'étude publiée, récemment, par le Femise et intitulée "L'impact économique et social de la privatisation : Etude comparative entre les pays de la région Mena et les autres régions" . Invoquant la nécessité d' " éradiquer la corruption ", le rapport souligne ainsi que les recettes de la privatisation offrent l'avantage de réduire les inégalités, à la condition, toutefois, que les " conditions institutionnelles soient propices " et que " le niveau des inégalités soit aussi faible qu'en Europe ou en Asie". Cette nouvelle recherche étudie à la fois les effets macro et microéconomiques de la privatisation, son incidence sur les places boursières et compare les effets de la privatisation sur plusieurs continents. Coordonnés par Adel Boughrara de l'Université de Sousse, ces recherches ont mobilisé cinq économistes du Femise sur les deux rives du bassin méditerranéen en décembre 2010. Il s'agit des premiers travaux du genre. " Aussi surprenant que cela puisse paraître, l'impact potentiel de la privatisation sur l'emploi et les inégalités a été malheureusement négligé ", constatent les auteurs qui s'accordent à reconnaître que l'augmentation des privatisations, à l'exception de l'Europe, entraîne une baisse significative du taux de chômage, tout au moins la première année suivant la privatisation. Cependant, la méthode de privatisation joue un rôle déterminant sur l'emploi. Selon les économistes, la privatisation par OPA n'est pas " la bonne méthode à suivre " car elle a un effet contreproductif sur l'emploi. L'acquéreur d'une entreprise nationale va s'atteler à réduire les effectifs, mettre en place davantage de moyens mécaniques et une nouvelle organisation du travail. Pour compenser ces départs, le document suggère l'introduction de politiques d'accompagnement avec la création de fonds de provisions spéciaux destinés à dédommager les salariés sur la touche (mesures de réinsertion, indemnités, départs anticipés à la retraite…). C'est ce qui s'est produit en Algérie durant les années 90 qui a eu un mouvement effréné de fermetures d'entreprises nationales et des licenciements collectifs pour " raison économique " suite aux recommandations du FMI qui ne se préoccupait, finalement, que de la destruction du potentiel économique des pays en voie de développement. Aujourd'hui, de nombreux gouvernements qui ont payé lourdement les dettes contractées auprès de ces institutions mondiales, ont compris que le développement national ne rime pas souvent avec des privatisations touts azimuts des entreprises nationales. Il y a ainsi un retour à la case départ, la revalorisation du potentiel économique national, avec de nouvelles politiques de consolidation des entreprises publiques et de la production nationale.