Les Européens sont parvenus, avant-hier, à Bruxelles à un accord pour renforcer nettement la discipline budgétaire de la zone euro face à la crise de la dette. Tous les pays de l'Union européenne, à l'exception du Royaume-Uni qui se retrouve isolé, soutiennent le nouveau pacte. Après plus de neuf heures d'intenses négociations, les chefs d'Etat et de gouvernement n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur un changement du traité de toute l'UE pour réformer la zone euro. A l'origine de cet épilogue, les exigences du Royaume-Uni en échange de son feu vert, qui ont créé des tensions. Le Premier ministre britannique conservateur David Cameron a menacé d'opposer son veto et réclamé que la City de Londres puisse être soustraite si nécessaire à la surveillance européenne du secteur financier. "Inacceptables" "Nous aurions préféré un accord à 27, cela n'a pas été possible compte tenu de la position de nos amis britanniques" qui ont présenté des demandes "inacceptables", a déploré le président français Nicolas Sarkozy. Les Britanniques "n'étaient déjà pas dans l'euro, et donc nous avons l'habitude de cette situation", a commenté la chancelière allemande Angela Merkel. Le nouveau pacte d'union de stabilité budgétaire pourrait être signé en mars et prendra la forme d'un accord intergouvernemental. Le renforcement de la discipline budgétaire de la zone euro était jugé capital par l'Allemagne face à la crise de la dette. Sanctions automatiques Outre des sanctions presque automatiques en cas de dérapage des finances publiques et des "règles d'or" imposant le retour à un quasi-équilibre budgétaire, il est prévu un droit d'intrusion européen accru dans la préparation des budgets nationaux. Des pays bénéficiant d'une aide extérieure, comme la Grèce ou l'Irlande aujourd'hui, pourront être placés sous tutelle européenne. La Croatie a signé, avant-hier, un traité qui lui permettra de devenir en juillet 2013 le 28e Etat de l'UE. La Serbie va elle devoir prendre son mal en patience jusqu'en 2012, malgré l'arrestation de Ratko Mladic, pour obtenir le statut de "candidat". Nouveau départ Les modalités juridiques précises doivent désormais être discutées mais, sur le fond, ce nouveau traité s'inspirera très largement de la lettre franco-allemande transmise cette semaine au président du Conseil Herman Van Rompuy, ainsi que des propositions de ce dernier. Les pays dont les déficits seront supérieurs à 3% de leur PIB seront visés par des sanctions automatiques qui ne pourront être bloquées que par une majorité qualifiée de pays. Par ailleurs, une "règle d'or" budgétaire permettant de maintenir ces déficits sous le seuil de 0,5% du PIB sur la durée du cycle économique devra être intégrée aux législations nationales, sous le contrôle de la Cour de justice européenne. La chancelière Angela Merkel s'est elle aussi félicitée de l'issue du sommet. "C'est une avancée vers une union de la stabilité", a-t-elle dit. "Nous allons utiliser la crise pour prendre un nouveau départ." Elle a par ailleurs confirmé que la date d'entrée en fonction du futur MES serait avancée à juillet 2012. Sur proposition du président de la Banque centrale européenne Mario Draghi, les membres de la zone euro ont décidé que la BCE deviendrait l'opérateur de ce mécanisme, une collaboration purement technique. "La Banque centrale européenne gérera le FESF et le MES. Il y a eu une proposition de Monsieur Draghi proposant de mettre les compétences de la banque centrale au service du fonds européen. Nous avons considéré que c'était une très bonne idée (...) C'est un élément de plus qui renforcera la confiance dans ce fonds", a dit Nicolas Sarkozy. Autre nouveauté, le mode de décision du MES inclura une procédure d'urgence selon laquelle une majorité surqualifiée de 85% se substituera à la règle de l'unanimité. En revanche, le MES ne sera pas doté d'une licence bancaire comme le demandaient une majorité de pays, et sa capacité de prêt cumulée avec l'actuel Fonds européen de stabilité financière (FESF) restera de 500 milliards d'euros. Ce plafond pourra toutefois être revu en juillet 2012. "Pas le gros bazooka" De manière complémentaire, l'ensemble des Etats membres de l'UE ont convenu d'étudier dans les dix jours la possibilité de prêter 200 milliards d'euros au Fonds monétaire international pour en renforcer les ressources. L'ensemble de ces résultats ont été jugés encourageants par Mario Draghi qui, avant le sommet, avait douché les espoirs des marchés d'une intervention rapide de la BCE en soutien aux pays en difficulté. "Cela va être la base d'un bon pacte budgétaire et de plus de discipline en matière de politique économique parmi les membres de la zone euro", a-t-il déclaré après la réunion, même s'il a dit vouloir maintenant en voir rapidement les détails. Une réunion des ministres des Finances de la zone euro et des neuf autres pays signataires du traité pourrait être organisée à Bruxelles dès la semaine prochaine, avant un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de ces 26 pays sans doute courant janvier. Des sources au sein de la BCE ont par ailleurs confirmé que l'accord obtenu à Bruxelles était conforme aux attentes du conseil des gouverneurs de la BCE qui, à la lumière de ces résultats, ne prévoyait pas de prendre d'autres mesures en soutien aux pays en difficulté. "Vous allez voir de nouveaux rachats d'obligations mais pas le gros bazooka que certaines personnes sur les marchés ou dans les médias attendaient", a dit l'une des sources. C'est cependant à 20 milliards d'euros par semaine que la BCE limite ses rachats, selon ces sources. L'Italie regrette l'auto-exclusion de la Grande-Bretagne L'Italie aurait préféré un accord plus communautaire pour la réforme du fonctionnement de la zone euro trouvé à Bruxelles et regrette l'auto-exclusion de la Grande-Bretagne, a déclaré le chef du gouvernement italien Mario Monti à l'issue du sommet de Bruxelles. La Grande-Bretagne s'est auto-exclue, et cela va avoir pour conséquence une perte d'influence dans le processus de prise de décision européen, a-t-il estimé au cours de sa conférence de presse. Personnellement cela me déplaît, car il est dans l'intérêt de l'Italie d'avoir des pays en mesure de contrebalancer l'influence de pays comme la France, a-t-il expliqué. Mais les conditions posée par (David) Cameron (le Premier ministre britannique) étaient inacceptables, même pour moi, a-t-il reconnu. L'accord sur la réforme du fonctionnement de la zone euro est intergouvernemental. Il implique ses 17 membres, et 9 des 10 Etats qui n'ont pas adopté l'euro. Le chef du gouvernement italien, ancien commissaire européen, a regretté cette issue. J'aurai préféré la méthode communautaire et une modification des traités à 27, mais cela n'a pas été possible, a-t-il confié. L'accord impose une discipline de fer à ses signataires pour assainir leurs comptes publics et se mettre en règle avec les règles européennes en matière de déficit (3% du PIB) et d'endettement (60% du PIB). Cela impose des sacrifices importants et parfois très difficiles à l'Italie, dont la dette publique représente 120% de son PIB, a souligné M. Monti. Mais il n'y a pas d'autre alternative que le désastre, et c'est cela qu'il faut expliquer, a-t-il affirmé. L'autre volet de l'accord porte sur les pare-feu pour enrayer la contagion de la crise de la dette dans l'UE. L'une des décisions importantes est l'abandon de la volonté d'impliquer le secteur privé. Une décision qui a posé de gros problèmes, a souligné le chef du gouvernement italien, en faisant référence à l'accord entre la France et l'Allemagne, et imposé à leurs partenaires. Le chef du gouvernement italien formule ses critiques assez sereinement, forts d'une autorité morale acquise du temps où il régnait en maître sur les affaires de concurrence à la Commission. Il a annoncé une rencontre à trois avec la chancelière Angela Merkel et le chef de l'Etat français Nicolas Sarkozy en janvier à Rome, à une date qui doit encore être précisée. Mario Monti entend bien à cette occasion aborder des sujets qui fâchent les Allemands, comme les euro-obligations. Certains pays auraient voulu les tuer dans l'oeuf, mais ils sont là, de manière un peu cryptique, au paragraphe 7 de la déclaration, a-t-il souligné. Ils reviendront sur la table en mars 2012, avec le rapport sur les choses à faire pour l'intégration budgétaire, a-t-il annoncé. La Maison Blanche salue des signes de progrès La Maison Blanche a salué, avant-hier, des signes de progrès contre la crise de la dette en Europe, après qu'un sommet à Bruxelles eut abouti à un accord sur le renforcement de la discipline budgétaire dans la zone euro. Il y a eu des signes de progrès et c'est une bonne chose, a affirmé le porte-parole du président Barack Obama, Jay Carney, à propos du résultat de ce sommet. Il a appelé à poursuivre les efforts. En fin de compte, c'est un problème européen qui nécessite une solution européenne. Nous pensons que (les Européens) doivent agir de façon décisive pour le résoudre. Mais il y a eu des progrès, a-t-il ajouté. M. Carney a refusé de commenter les divergences qui se sont fait jour entre Londres et le reste de l'UE. Les Européens ont aussi annoncé leur intention de renforcer les ressources du Fonds monétaire international, à hauteur de 200 milliards d'euros, afin que celui-ci puisse venir en aide à la zone euro. Rappelant que les Etats-Unis n'avaient aucune intention de contribuer davantage aux ressources du FMI, un haut responsable du gouvernement américain a indiqué à des journalistes que son pays était ouvert à des contributions bilatérales de la part d'autres Etats membres, sur le modèle de ce que propose l'UE. Ce responsable a néanmoins indiqué que Washington, qui dispose d'un droit de veto de fait au FMI, contrôlerait très attentivement les éventuels prêts que le Fonds pourrait accorder à tel ou tel pays européen, et veillerait en particulier à ce que cela ne nuise pas à son assise financière. Selon lui, le FMI peut apporter un surcroît de crédibilité à l'Europe, mais ne peut en aucun cas faire le travail à sa place. Aux yeux des Etats-Unis, a-t-il encore indiqué, il faut que ce soit des ressources européennes qui s'exposent au risque européen. Le responsable a également estimé que l'abandon de l'exigence allemande pour faire participer les créanciers privés à l'effort européen en consentant des décotes sur certains titres de dette était une très bonne chose, et que cela levait une forte hypothèque sur le fonctionnement futur du fonds de secours européen. Il a jugé enfin que les mesures de durcissement de la discipline budgétaire annoncées à Bruxelles allaient dans le sens de l'intégration budgétaire européenne que Washington juge indispensable au maintien de la cohésion de la zone euro. Côté stratégique, le plus haut gradé américain, le général Martin Dempsey, a affirmé, avant-hier, que les Etats-Unis étaient extraordinairement inquiets de la santé et de la viabilité de l'euro, même si les 17 membres de la zone euro ont pris quelques mesures pour mieux aligner et surveiller leur politique budgétaire.