Assaillies de revendications de toutes parts, les nouvelles autorités libyennes peinent à régler la question des milices, en charge d'une grande partie de la sécurité du pays depuis la guerre et qui réclament désormais d'être représentées dans les instances dirigeantes. Avant-hier, les ministres de la Défense, de l'Intérieur et de la Planification ont détaillé le plan visant à réintégrer dans la société les civils qui ont abandonné travail ou études pour combattre les forces de Mouammar Kadhafi et qui restent organisés en brigades armées. Une partie d'entre eux doit rejoindre l'an prochain les rangs de l'armée et de la police, une autre pourra suivre des formations dans divers domaines en Libye ou à l'étranger, reprendre des études ou monter des projets grâce à des aides de l'Etat. Mais le lendemain, les représentants de "l'Union des "thowars" (révolutionnaires) de Libye", qui dit regrouper de 60 à 70% des anciens rebelles, ont haussé le plafond de leurs demandes, en appelant le Conseil national de transition (CNT) à leur octroyer 40% de ses sièges. Les thowars sont le symbole de cette révolution et sont ceux qui disposent d'une vraie force sur le terrain, a justifié Fraj el-Soueihli, un commandant de Misrata, grande ville à l'est de Tripoli, tout en réaffirmant la loyauté des ex-rebelles à l'Etat et au gouvernement. Cette nouvelle demande vient s'ajouter à la longue liste de revendications auxquelles le CNT doit répondre après une période de grâce, comme l'exigence de plus de transparence. Les autorités donnent l'impression de ne pas vouloir s'attaquer de front à la question sensible des milices, dont certaines sont lourdement armées et n'entendent pas abandonner les acquis remportés avec la révolution. Certaines ont quitté la capitale comme le demandaient les Tripolitains, exaspérés par la prolifération des armes, mais des installations-clés restent gardées ou contrôlées par des brigades. L'aéroport international de Tripoli est ainsi aux mains de la brigade de Zenten, du nom de la ville située au sud-ouest de la capitale et dont l'un des commandants s'est octroyé le poste de directeur. Les milices ont compris le message des Tripolitains et leurs membres ne sortent de leurs camps qu'en cas de besoin, selon M. Soueihli. Mais elles ne rendront les armes "que lorsque l'Etat sera réellement en charge", a-t-il ajouté, une position partagée par la plupart des brigades. "La question des milices est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et on ne peut pas simplement leur dire: merci beaucoup d'avoir libéré la Libye, maintenant rentrez chez vous", répète le Premier ministre Abdel Rahim al-Kib. Mais certains, surtout parmi les officiers de l'ancienne armée, s'impatientent de la lenteur de la reconstitution des services de sécurité censés prendre la relève et ouvrir la voie à la démilitarisation des groupes armés. "Le CNT a peur des thowars et ne veut pas les exclure, car qui a la force a le pouvoir", juge le colonel Béchir el-Oueidat, qui souhaite la nomination le plus vite possible d'un chef d'état-major pour lancer la reconstitution de l'armée. Cette question devrait être réglée le 1er janvier par un comité de 25 officiers choisis par les "thowars" à la demande du CNT. Mais il faudra que le résultat soit accepté par toutes les milices, dont certaines auraient caressé l'ambition de voir l'armée dirigée par l'un des leurs. Or les anciens rebelles restent divisés. Leurs différends ont éclaté au grand jour la semaine dernière lors de la conférence de l'Union des "thowars" de Libye, censée afficher l'unité des révolutionnaires. Certains se sont plaints sur la tribune de ne pas avoir été officiellement invités, d'autres ont accusé des participants d'être des opportunistes. Certains en sont même venus aux mains lorsque les membres d'une brigade sont entrés avec leurs armes en violation du règlement.