Les Syriens s'apprêtaient à manifester, hier, par milliers à travers le pays pour apporter leur soutien aux militaires dissidents et crier leur haine du régime, malgré la répression sans répit. La veille, au moins 15 civils ont été tués par les forces de sécurité qui continuent leurs opérations de ratissage et perquisitions dans de nombreuses villes, malgré la présence des observateurs arabes dont la mission est de plus en plus contestée. Face à la détermination du régime à mater les contestataires assimilés à des "gangs terroristes", les chefs de l'Armée syrienne libre, formée de déserteurs, et du Conseil national syrien (CNS, opposition politique), Riad al-Assaad et Burhan Ghalioun, se sont rencontrés pour organiser la suite de leur action. En prévision des manifestations anti-régime organisées tous les vendredis avec un slogan différent, les forces du régime se sont déployées en force dans plusieurs villes, notamment à Deraa (sud), où est née la contestation, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). A Banias (nord-ouest), trois soldats ayant déserté, se sont affrontés avec une patrouille d'agents de sécurité, selon l'OSDH. Et à Homs (centre), haut lieu de la contestation, deux civils ont été blessés par un tir de roquette qui a visé une voiture de la voirie. Les manifestations devaient commencer après la prière hebdomadaire de la mi-journée, à la sortie des mosquées, malgré la présence massive des troupes qui tirent chaque vendredi sur les manifestants, selon les militants pro-démocratie, quasiment seule source d'informations en Syrie. Les autorités restreignent en effet drastiquement les mouvements des médias étrangers dans le pays. Mais mercredi, un reportage mené à Homs par plusieurs journalistes étrangers dans le cadre d'un voyage autorisé et encadré par le régime, a tourné au drame. Gilles Jacquier, un journaliste français, y a été tué par un obus. Son corps a été rapatrié à Paris. C'est le premier journaliste occidental mort en Syrie depuis le début de la révolte populaire le 15 mars. Aucun témoin sur place n'a pu établir si l'obus avait été tiré par un rebelle syrien ou par l'armée syrienne. Le régime et l'opposition se sont accusés mutuellement de sa mort. Selon le quotidien le Figaro, la présidence française soupçonne "une manipulation" des autorités syriennes. "Nous penchons pour une manipulation", a déclaré une "source proche du président français", tout en soulignant qu'il n'existait pas de "preuve" à ce stade. "On peut croire à un malheureux accident. Mais il tombe plutôt bien pour un régime qui cherche à décourager les journalistes étrangers et à diaboliser la rébellion", a-t-elle ajouté. Les autorités syriennes ont annoncé jeudi la création d'une commission d'enquête sur les circonstances de la mort du journaliste. Dès mercredi, le président Nicolas Sarkozy leur avait demandé de faire "toute la lumière sur sa mort". La journée d'hier, devait être un nouveau test pour les observateurs arabes critiqués pour leur incapacité à faire cesser l'effusion de sang dans le pays depuis leur arrivée le 26 décembre. Le chef des opérations de cette mission au sein de la Ligue arabe, Adnane Khodeir, a déclaré que "des équipes supplémentaires d'observateurs, arrivées récemment en Syrie, se déploieraient dans les deux prochains jours" et seraient munis "d'équipements qui les aideraient à mieux accomplir leur mission". Mais celle-ci a connu de nouveaux revers, avec deux observateurs qui se sont retirés pour "raisons personnelles ou médicales", selon la Ligue arabe, tandis que l'un d'eux, l'Algérien Anouar Malek, a affirmé avoir démissionné pour protester contre "les crimes en série" du régime. Et des opposants syriens à l'intérieur du pays ont jugé cette mission "décevante", craignant que son échec, faute de moyens et de liberté de mouvement, ouvre la voie à des ingérences étrangères. Un nouveau rapport sur la mission est attendu le 19 janvier. Dans ces interventions en début de semaine, M. Assad s'en était violemment pris à la Ligue arabe. Se montrant intraitable, il avait aussi promis de mater la révolte après avoir brandi de nouveau la thèse du complot international. Asma al-Assad, de la Première dame glamour à l'épouse "complice" Il y a un an, elle était la coqueluche des médias occidentaux. Mais Asma, l'épouse du président syrien Bachar al-Assad apparue cette semaine à ses côtés est désormais critiquée pour son silence face à la répression, au point d'être qualifiée de "Marie-Antoinette". Restée dans l'ombre depuis le début de la révolte populaire en mars, la Première dame a fait une fois de plus parler d'elle par sa présence mercredi tout sourire dans un rassemblement pro-régime à Damas devant lequel le président syrien a promis de "triompher du complot" contre son pays. "Cela montre qu'elle se tient aux côtés de son homme, qu'ils sont sur la même longueur d'onde. Elle fait clairement partie de ce régime", affirme Andrew Tabler, expert de la Syrie qui a travaillé en 2003 comme conseiller de presse pour les associations caritatives de Mme Assad, 36 ans. Mais ses photos avec deux de ses trois enfants au rassemblement ont aussitôt alimenté les critiques de plus en plus virulentes à son égard. "La femme et les enfants de Bachar sont venus applaudir papa le dictateur", ironise un internaute sur Twitter. "La Grande-Bretagne devrait retirer les passeports d'Asma et de ses parents qui sont les complices d'un criminel de guerre", commente un autre, en référence à Mme Assad, née et éduquée à Londres. Avant mercredi, les anti-régimes lui reprochaient déjà son silence face à la répression sanglante. "Asma Assad, une Marie-Antoinette de notre temps?" commentait un tweet. En revanche, les pro-régimes ne tarissent pas d'éloges. "Vous méritez d'être la Première dame du monde entier", s'enthousiasme l'un d'eux sur Facebook. Avec ses chaussures Christian Louboutin et ses robes signées, cette fille d'un éminent cardiologue de Londres, Fawaz al-Akhras, et d'une diplomate à la retraite, Sahar Otri, était perçue comme le "côté doux" de la dictature. Avec son mari, elle a reçu le roi et la reine d'Espagne ou encore Brad Pitt et Angelina Jolie. "Elle est un important élément de relations publiques dans la machine du régime", soutient M. Tabler, auteur d'un ouvrage sur le régime, "In the Lion's Den" (Dans l'antre du lion), et expert au Washington Institute. Brune, mince, au sourire charmeur, Mme Assad était comparée volontiers à Carla Bruni ou à Rania de Jordanie. Lors d'une visite du couple en France en 2010, elle affirmait à Paris Match avoir épousé M. Assad pour les "valeurs" qu'il incarne et l'hebdomadaire l'avait présentée comme la "lumière dans un pays plein de zones d'ombre". Le magazine américain Vogue l'avait qualifiée de "Rose du désert" avant de retirer son interview de son site internet après la révolte. En Syrie, Asma al-Assad représentait pour beaucoup une promesse de modernisme dans un pays longtemps isolé. Ayant travaillé dans des banques internationales à Londres, elle est créditée d'un rôle considérable auprès de son mari pour la libéralisation de l'économie dirigiste du pays. Mais la révolte a porté un coup dur à l'image jeune et moderne du couple. "Cette image est complètement détruite", dit M. Tabler, en décrivant Asma comme une personne "très british, conventionnelle et dotée d'une personnalité discrètement autoritaire. Elle a un passeport britannique, elle peut partir, elle a choisi de rester". Bachar et Asma, de dix ans sa cadette, forment un couple symbole de la coexistence des différentes communautés en Syrie; lui est issu de la minorité alaouite et elle, originaire de Homs -aujourd'hui bastion de la révolte-, de la majorité sunnite. Avec plusieurs milliers de morts dans la répression, tous deux apparaissent complètement déphasés de la réalité. Beaucoup ne retrouvent plus cette femme qui en 2009 évoquait sur CNN les souffrances des enfants de Gaza dévastée par une offensive israélienne. "C'est le 21e siècle, dans quelle partie du monde ces choses arrivent-elles encore?" disait-elle. "Arrête d'être hypocrite! Tu tues ton propre peuple!" commente un internaute, un autre la qualifiant de "Lady Macbeth".