Un ambitieux projet de réforme censé rendre la pêche européenne plus respectueuse de l'environnement est sur le point d'être revu à la baisse par les gouvernements, au grand dam des ONG qui dénoncent leur manque d'ambition. Les ministres européens de la Pêche devraient pouvoir déboucher sur un accord en ce sens lors d'une réunion décisive mardi dernier, à Luxembourg, censée donner le ton des négociations qui vont s'ouvrir prochainement avec le Parlement européen, selon des diplomates. La réforme doit entrer en vigueur en 2014 et la commissaire à la Pêche Maria Damanaki appelle régulièrement les Etats à oser de vrais changements par rapport au passé. Selon elle, le statu quo conduira à l'épuisement des ressources, que les pêcheurs européens sont aujourd'hui contraints d'aller chercher de plus en plus loin, aux quatre coins du globe. Il y a urgence. Les derniers chiffres font état de 80% des stocks de poisson victimes de la surpêche en Méditerranée. La situation s'améliore toutefois dans l'Atlantique, où cette proportion est passée de 94% en 2005 à 47% en 2012. Pierre angulaire du projet de Maria Damanaki, les concessions de pêche transférables, déjà appliquées dans certains Etats comme le Danemark, devraient finalement rester facultatives, selon le compromis sur la table. Ce système vise à laisser le marché réguler le nombre de navires tout en responsabilisant les pêcheurs. Ses détracteurs, parmi lesquels des pays comme la France et des ONG, y voient une forme de privatisation des mers. Les ministres devraient en outre s'entendre pour repousser l'objectif-phare de parvenir dès 2015 à ne pêcher que le strict nécessaire pour ne pas mettre en danger la reconstitution des stocks de poisson menacés. Le calendrier qui commence à être largement accepté consiste à dire +2015, là où c'est possible, mais au plus tard en 2020, précise un négociateur. Les discussions promettent toutefois d'être tendues sur la troisième mesure phare de la réforme: le projet d'interdiction de tous les rejets d'ici 2016, juge-t-il. Cette pratique consistant à passer par-dessus bord les poissons non commercialisables était jusqu'ici tolérée. Bruxelles propose d'obliger les pêcheurs à débarquer leurs rejets au port, de les déduire de leurs quotas pour encourager le recours à des méthodes de pêche plus sélective, et de les transformer en farines pour l'alimentation animale. La France, l'Espagne ou le Portugal ont encore des difficultés avec cette proposition mais de plus en plus d'Etats sont favorables au principe d'une élimination graduelle des rejets, résume un diplomate. Au bout du compte, même les Français devraient pouvoir accepter le principe d'un calendrier graduel, juge un autre négociateur, pour qui les pourparlers porteront plutôt sur les détails de sa mise en œuvre. Paris toutefois se montre ferme: le zéro rejet n'est pas une option réaliste. Ce n'est pas une base de négociation, assure ainsi un diplomate français. L'interdiction des rejets est particulièrement critiquée par les pêcheurs qui partent plusieurs jours en mer et seraient donc obligés de remplir leurs cales de poisson invendable. Les ONG environnementales sont inquiètes. Six d'entre elles " Greenpeace ", " OCEAN2012 ", " Oceana ", " Seas At Risk ", " Birdlife Europe et le WWF ", ont appelé le Parlement européen à rejeter complètement le projet irresponsable des ministres. Les marchandages entre Etats se traduisent par un affaiblissement significatif de la proposition initiale, déplorent-elles. Avec pour résultat de limiter la réforme au plus petit dénominateur commun, sans la moindre ambition de parvenir à une pêche durable ou de sauver des emplois de pêcheurs.