EADS et le britannique BAE Systems avaient jusqu'à 16H00 GMT, hier, pour dire s'ils veulent continuer leur projet de fusion malgré toutes les difficultés apparues depuis un mois, et permettre la naissance en Europe d'un titan de l'aéronautique et de la défense. Diverses sources interrogées laissaient entendre que les avancées obtenues, avant-hier, permettraient de demander au régulateur britannique la prolongation du délai, et les états-majors des groupes devaient se décider dans la nuit. Depuis l'annonce des pourparlers de rapprochement le 12 septembre, les complications et blocages se sont multipliés, en provenance d'Allemagne, de France et du Royaume-Uni, dans ce dossier très politique où les Etats d'Europe continentale ont placé une part de leur souveraineté. Toute la difficulté des négociateurs était de permettre à la France et à l'Allemagne, principaux actionnaires d'EADS, de préserver leurs intérêts tout en évitant une mainmise étatique sur le futur groupe qui générera un chiffre d'affaires cumulé de 78 milliards d'euros, loin devant Boeing et Lockheed Martin, les deux leaders américains. Comme Londres, EADS et BAE ont à cœur de limiter le poids des Etats pour pouvoir bien s'implanter sur le premier marché mondial, les Etats-Unis, hostile à l'interventionnisme public. Les négociations ont buté vendredi dernier notamment sur le refus de la France de s'interdire formellement de monter au capital du futur ensemble. La localisation du siège du futur groupe a aussi été un point de crispation. Mais, avant-hier, les choses se sont arrangées. "Nous avons appris que la France et la Grande-Bretagne avaient réalisé des progrès significatifs sur la question qui bloquait les négociations ces derniers jours", a déclaré un porte-parole d'EADS. "Les positions se sont beaucoup rapprochées, a confirmé le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian, en marge d'une réunion de l'OTAN à Bruxelles. Est-ce qu'elles se sont suffisamment rapprochées pour que les entreprises considèrent que ca mérite un report ? C'est à elles de le dire". D'après une source proche du dossier, "l'accord intervenu entre Paris et Londres limite à 18% la participation de la France et de l'Allemagne dans la structure combinée". La France possède 15% du capital d'EADS et entend les conserver, ce qui lui donnera une participation de 9% dans la nouvelle structure. L'Allemagne a obtenu l'accord de ses partenaires pour monter elle aussi à 9% du capital. La Grande-Bretagne ne veut pas entrer au capital et se contentera de l'action spécifique proposée par les groupes qui lui permettra de s'assurer que l'entreprise reste européenne et d'empêcher toute prise de participation hostile. Jusqu'ici, Londres possédait une action spécifique dans BAE Systems lui donnant un droit de véto sur les décisions stratégiques. Toutefois, la position allemande n'est pas encore connue, soulignait-on encore lundi de source proche des négociations. L'Allemagne insiste pour maintenir la parité avec la France et craint que l'activité de défense d'EADS, concentrée sur son territoire, fasse les frais du rapprochement avec BAE Systems. A la Bourse de Paris, avant-hier, le titre EADS a terminé en baisse de 0,57% à 26,10 euros. Il a perdu 12% depuis que le projet de fusion a été révélé. EADS et BAE doivent encore convaincre Berlin EADS et BAE Systems ont obtenu le soutien décisif de la France et du Royaume-Uni à leur projet de fusion mais l'Allemagne, inquiète de perdre une partie de sa souveraineté, continue à résister. Les dirigeants des deux groupes d'aéronautique et de défense, Tom Enders et Ian King, se sont entretenus en fin de journée pour décider des suites à donner à un processus rendu de plus en plus difficile ces derniers jours par la division des Etats et le mécontentement de plusieurs grands actionnaires. "Ce soir il y a un blocage", a déclaré une source proche des discussions, en allusion à la position de Berlin. EADS et BAE veulent croire à la viabilité de cette fusion géante qui donnerait naissance à un nouveau mastodonte du secteur, plus important en chiffre d'affaires que l'américain Boeing. Les deux groupes, confrontés à la baisse des budgets de défense en Europe et aux effets de cycles de l'aviation civile, estiment que leur combinaison les renforcera face à la concurrence, notamment en Asie. Le mariage passe toutefois par une réévaluation du poids des Etats au capital et par une redéfinition de leurs prérogatives en matière de gouvernance, deux points de friction pour les capitales européennes qui craignent pour l'emploi sur leur sol et leur capacité à peser sur les décisions du groupe. Logique Selon une autre source proche des discussions, l'Allemagne estime que peu de progrès a été accompli ces dernières heures. "La situation semble compromise pour la fusion car il n'y a toujours aucun consensus entre les gouvernements", a-t-elle dit. EADS a démenti dans l'après-midi une information d'une agence de presse allemande évoquant un échec des discussions. D'autres sources ont indiqué cette semaine qu'EADS et BAE ne solliciteraient de délai qu'en cas d'avancées significatives. En cas de prolongation, et sous réserve du feu vert des autorités boursières de Londres, EADS et BAE devront encore convaincre les investisseurs de la logique du rapprochement. "Il faut qu'ils s'y mettent, je ne crois pas que la tactique consistant à apaiser les gouvernements va continuer à marcher", a souligné un actionnaire de BAE. Invesco Perpetual, qui dit détenir 13,3% des actions ordinaires de BAE, a dressé, avant-hier, une longue liste d'objections à la fusion, citant notamment des craintes d'ingérence des Etats, l'absence de logique stratégique de l'opération et le manque de visibilité concernant les dividendes au-delà de 2013. Lagardère, désireux de sortir au meilleur prix possible, a également critiqué le projet de fusion.