L'Allemagne et la France sont d'accord pour juger que le projet de fusion entre EADS et BAE Systems n'inclut pas une protection totale contre d'éventuels prédateurs, montre un document du ministère allemand de l'Economie. Les réserves énumérées dans ce rapport pourraient compliquer l'évolution des discussions entre les deux groupes d'aéronautique et de défense alors que le rôle futur des Etats actionnaires constitue l'un des principaux écueils à surmonter. Soulignant la volonté de Berlin et Paris de parvenir à une position commune, ce rapport explique aussi que les garanties fournies par le projet en matière de localisation futures des sites de production ne sont pas fiables, suggérant ainsi un risque de pertes d'emploi à l'avenir en cas de rapprochement. Le projet prévoit que les Etats ne pourront pas exiger d'être consultés sur les décisions opérationnelles du nouvel ensemble, est-il noté dans le document. EADS a prévenu qu'il renoncerait au projet de fusion avec BAE si le nouveau groupe devait se trouver soumis à une intervention excessive des Etats. Le document allemand ajoute que le rapport entre les valorisations respectives d'EADS et BAE est "plus proche" de 70/30 que des 60/40 évoqués par les deux groupes, qui "ne reflètent pas correctement la réelle valeur" des entreprises. Le projet dévoilé le 12 septembre par les deux groupes prévoit qu'EADS aurait 60% du capital du nouvel ensemble et BAE Systems 40%. A la Bourse de Paris, l'action EADS a terminé en baisse de 2,72%, avant-hier, à 25 euros, valorisant le groupe à 21 milliards d'euros environ. A Londres, BAE Systems a cédé 1,62%, donnant une capitalisation de près de 11,0 milliards de livres (13,6 milliards d'euros). "Action spécifique" Par ailleurs, la promesse d'attribuer une "action spécifique" dans la nouvelle entreprise à Berlin, Paris et Londres, destinée à prémunir le groupe contre un éventuel rachat hostile, reste discutable, selon le document, qui juge que "la question de la protection contre un rachat est un point clé des discussions avec EADS". "La France et l'Allemagne sont d'accord pour dire que 'l'action spécifique' proposée par l'entreprise n'offre pas de garantie totale, celle-ci pouvant être mise en cause par la législation européenne. Les moyens de mettre en place une protection contre un possible rachat sont en cours de discussion mais ils seront difficiles à défendre juridiquement", ajoute-t-il. Des actions spécifiques ou "golden shares" qui attribuent un droit de veto à un actionnaire sur les décisions ou l'évolution du capital d'une entreprise ont déjà été contestées par l'Union européenne. La Cour de Justice européenne a par exemple ordonné au gouvernement britannique, en 2003, d'abandonner son action spéciale dans le gestionnaire d'aéroports BAA. Cette "golden share" ne se conformait pas au droit européen sur la libre circulation des capitaux. Berlin ne dispose pour l'instant pas de participation directe dans EADS mais projette de reprendre une partie des titres actuellement détenus par le constructeur automobile allemand Daimler, par l'intermédiaire de la banque publique KfW. Ce projet d'acquisition s'est "compliqué et a été retardé de manière significative" en raison du projet annoncé par EADS et BAE, note toutefois le document ministériel. Une commission parlementaire britannique a par ailleurs annoncé, avant-hier, l'ouverture d'une enquête sur l'impact de la fusion, alors que le Premier ministre David Cameron s'est entretenu avec François Hollande et Angela Merkel sur la question. A moins d'une prolongation, EADS et BAE ont jusqu'au 10 octobre selon la législation britannique sur les fusions et acquisitions, pour définir un projet détaillé de fusion. Le contentieux OMC comme moyen de pression sur BAE-EADS aux USA Le contentieux opposant Boeing et Airbus, filiale d'EADS, auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) risque de ne pas faciliter l'autorisation aux Etats-Unis du projet de fusion d'EADS avec BAE Systems, ont dit, avant-hier, d'anciens responsables américains. BAE, très présent aux USA et notamment sur des contrats militaires sensibles, doit pouvoir prouver que la sécurité des Etats-Unis ne sera pas remise en cause s'il s'allie avec EADS, consortium impliquant deux pays, la France et l'Allemagne, dont les relations avec Washington ne sont pas aussi souples que celles de Londres. Le projet de fusion, s'il va de l'avant, doit être examiné par le Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS), organe créé à partir de divers organismes gouvernementaux et la procédure pourrait bien remettre sur le devant de la scène sept années de bataille juridique entre Boeing et Airbus, autour d'une question de subventions. "La dynamique du dossier de l'OMC est pertinente au regard de celui concernant EADS-BAE dans la mesure où l'Europe n'a pas respecté les décisions de l'OMC, aux yeux des USA", a dit une source américaine au fait de la procédure en cours à l'OMC ainsi que des procédures d'autorisation fédérales. "Si le dossier de l'OMC traitait d'hormones ou de jeux de hasard, ça n'aurait rien à voir. Mais il s'agit de subventions à l'aéronautique, qui peuvent être exploitées pour nuire aux intérêts américains et peuvent être exploitées jusque dans les marchés de la défense". Le différend a connu une nouvelle péripétie, avant-hier, lorsque les Etats-Unis ont dit qu'ils s'étaient pliés à un jugement de l'organisation leur ordonnant de supprimer des subventions à Boeing jugées illicites. La Commission européenne ne s'en est pas laissée compter, affirmant qu'elle devait s'assurer elle-même que tel était bien le cas. L'UE affirme elle aussi avoir obéi à l'OMC mais, pareillement, Washington a de forts doutes à ce sujet, au point de brandir la menace de sanctions commerciales de 10 milliards de dollars. Un responsable de Boeing avait dit la semaine dernière que l'opération BAE-EADS soulevait des questions de sécurité à la fois industrielle et nationale et devait donc être examinée avec le plus grand soin. Boeing lui-même reste pour l'instant discret quant à ce qu'il compte faire face à cette éventuelle et nouvelle concurrence imprévue. Retombées politiques et économiques Pour ce qui concerne la procédure suivie par le CFIUS, elle est "très rigoureuse et exhaustive", de l'avis d'un ex-responsable américain, au fait de ce type de procédure. C'est pourquoi, ceux qui voudraient exploiter l'actuel affrontement à l'OMC pour faire dévier ses travaux de leur strict mandat de sécurité nationale risquent d'avoir du mal à le faire, estiment des analystes. "Je suis persuadé qu'il y a des questions de sécurité qui doivent être légitimement examinées mais on voit mal comment les subventions de l'aéronautique civile pourraient se retrouver à l'ordre du jour de l'examen d'une fusion dont la priorité est la sécurité", explique John Magnus, président du consultant TradeWins. "S'il conclut effectivement qu'une alliance entre BAE et EADS représente une menace pour des motifs de sécurité nationale, je suis bien certain que cela se fonderait sur des opérations militaires et non pas sur des subventions reçues par Airbus". Washington devra aussi pondérer avec soin les questions de sécurité avec celles purement diplomatiques car Londres, Berlin et Paris ne manqueraient certainement pas de réagir si les USA tentaient de bloquer l'opération, estiment deux responsables de l'industrie de la défense. Il y a enfin le volet économique de la chose et, de l'avis d'un responsable industriel, il est rare que le CFIUS bloque une opération. "L'investissement étranger est un appui important de la croissance économique américaine, par lequel transitent cinq millions d'emplois; il est donc d'une importance primordiale que le CFIUS reste concentré sur la sécurité nationale", observe Nancy McLernon, du groupe de lobbying Organization for International Investment. Réunion entre Allemagne, France, GB à Chypre aujourd'hui ou demain Les ministres de la Défense allemand, britannique et français, se réuniront aujourd'hui ou demain à Chypre pour discuter du projet de fusion entre EADS et BAE Sytems. Selon un conseiller du ministère de la Défense français. Une première discussion tripartite au niveau des ministres de la Défense aura lieu à Chypre sur le dossier EADS/BAE aujourd'hui ou demain, a-t-il déclaré, précisant que cette rencontre se tiendrait à l'occasion de la réunion informelle des ministres de la Défense. Le ministre français, Jean-Yves Le Drian, avait prévu d'être présent à cette réunion informelle des ministres de la Défense de l'Union européenne à Chypre. Après des discussions qu'il a eues avec certains de ses homologues, il réunira autour de lui ses homologues britannique, Philip Hammond, et allemand, Thomas de Maizière, à Chypre, a ajouté le conseiller. Cette annonce intervient après que le Premier ministre britannique David Cameron se fut entretenu avec le président français François Hollande, avant-hier matin. Il avait discuté du dossier avec la chancelière allemande Angela Merkel vendredi. Le 12 septembre, EADS et BAE Systems avaient révélé être en négociations en vue d'un rapprochement pour créer le numéro 1 mondial de l'aéronautique et de la défense. Cette fusion aux enjeux stratégiques et sociaux ne peut se concrétiser sans l'aval des Etats, en particulier de l'Etat français actionnaire d'EADS. Selon la réglementation boursière britannique, les industriels ont jusqu'au 10 octobre pour conclure leur rapprochement ou l'abandonner. Ils peuvent également demander une prolongation du délai de négociations. La chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, François Hollande, avaient indiqué le week-end dernier, ne pas avoir encore pris de décision sur ce projet, même si l'échéance est désormais très brève. Mais ils avaient promis tous deux de se prononcer dans les délais impartis. La veille, EADS a assuré de son côté qu'il ambitionnait toujours de finaliser ce projet d'ici le 10 octobre, en estimant que les discussions sur une potentielle fusion se déroulent de manière productive.