"Si vous allez à Istanbul, j'espère que vous avez pris votre appareil photos pour garder à jamais les beaux souvenirs de voyage, " m'interpelle un passager au niveau de la cafète de l'Aéroport international Houari Boumediene. C'est un jeune Oranais, universitaire probablement. Il a gardé le bel accent de l'homme de l'Ouest. Bon vivant, il n'a pas cessé de parler, autour d'un café chaud, des choses de la vie et même de l'existentialisme de Jean Paul Sartre. Cet homme de lettres et militant des causes justes a pris position, dit-il, pour l'indépendance de l'Algérie. " Sartre s'est exprimé publiquement contre la pratique de la torture dont ont été victimes les Algériens durant et après la bataille d'Alger en 1958 " a-t-il ajouté. L'aéroport grouille de monde noctambule. Jeudi 27 décembre. Il est 20 H passé. Une voix féminine invite les passagers à destination d'Istanbul à rejoindre la salle d'embarquement. Mon compagnon me quitte sur un signe de la main pour rejoindre une autre salle destinée pour un vol sur Paris. Le long courrier de la compagnie nationale décolle, comme prévu, à 21 H 30. Le commandant de bord annonce deux heures et demie de vol, avant d'atteindre Istanbul. Les passagers sont essentiellement des jeunes aux valises ainsi que des couples. Négoce pour les uns, tourisme et réveillon pour les autres, selon Brahim, un jeune Constantinois qui vient de prendre place à côté de moi.Je découvre avec lui la ville où je me rends pour la première fois. " Istanbul est une belle ville, mais elle est froide ces temps-ci d'hiver. Et puis si vous êtes venu pour faire du shopping, n'allez pas dans les grands magasins, mais allez dans les souks où les produits sont nettement moins chers ", me conseille-t-il, au moment où on survole la Tunisie, selon lui. Brahim ne semble pas un profane. Il connaît bien la ville ottomane. C'est un habitué des lieux. Brahim vient; dit-il, deux à trois fois par mois pour faire des achats et les revendre dans la capitale de l'Est. " J'ai déjà réservé pour un autre voyage pour le 11 janvier prochain avec la même compagnie nationale, car j'ai des commandes à satisfaire auprès des grossistes que j'alimente en vêtements turcs de femmes qui sont actuellement à la mode", m'explique-t-il au moment où le Boeing 767 commence à perdre d'altitude pour atterrir à l'aérodrome, Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de l'Etat laïc de la Turquie moderne en 1923. Un grand aérodrome avec une belle architecture ; où on risque de se perdre quand on s'y rend pour la première fois. Les panneaux d'affichage d'arrivées et de départs illuminent toutes les capitales et villes des quatre coins du monde. Quatre agents qui travaillent au profit des agences algériennes de voyages brandissent, à la sortie, des pancartes où sont inscrits des noms de passagers. Ainsi le voyage Alger-Istanbul s'achève à 2 H heures (heure locale) (1 H heure algérienne). Les passagers rejoignent par groupes les hôtels choisis auprès des agences. Nous suivons aussi un jeune Turc qui parle le français et l'arabe. Il nous conduit vers un minicar pour rejoindre notre hôtel, situé, dit-il, dans le quartier Beyazid, en plein cœur d'Istanbul universitaire, touristique et commercial…. La mosquée Bleue Un environnement féerique de par l'architecture impériale des mosquées surprend tout visiteur qui s'y rend pour la première fois. Ainsi tous les chemins mènent aux mosquées à Istanbul. Et la Mosquée Bleue, la plus importante après la Mosquée Suleymene de par l'esthétique architecturale attire le plus de touristes tous les jours. Il y a aussi juste à côté le grand musée d'Istanbul qui ne désemplit jamais. Un flux de touristes de nationalités multiples fait souvent la chaîne devant l'entrée principale, alors que d'autres se dirigent vers d'autres mosquées d'à côté qui sont aussi de vrais musées. Une plaque indique, à l'entrée, en langue turque latinisée, que les visiteurs qui désirent y entrer doivent se déchausser et observer un silence à l'intérieur de ce temple musulman dont une partie est en restauration. Certaines ont résisté aux temps et d'autres non. Un programme de restauration est en cours de réalisation. Mais elles sont nombreuses celles qui ont changé de fonction sous la pression sociale, plutôt commerciale. Les appareils photos crépitent à l'intérieur et l'extérieur de l'édifice religieux ottoman pour immortaliser les beaux motifs de la mosaïque où la couleur bleue domine l'art musulman du 16éme siècle. La Mosquée bleue ou Sultanahmet Camii est une des mosquées historiques d'Istanbul, la plus grande ville de Turquie et la capitale de l'Empire ottoman (de 1453 à 1923). La mosquée est l'une des mosquées les plus connues sous le nom Mosquée bleue pour les mosaïques bleues qui ornent les murs de son intérieur, selon un gardien du temple qui parle l'arabe. " Elle fut construite entre 1609 et 1616, pendant le règne de sultan Ahmet Ier. Comme beaucoup d'autres mosquées, elle comporte également une tombe du fondateur, une médersa et un hospice. La mosquée Sultanahmet est devenue l'une des attractions touristiques les plus populaires d'Istanbul " a-t-il ajouté. Elle est le point de départ, dit-il, des caravanes de pèlerins musulmans vers la Mecque et reçoit le privilège islamique de présenter six minarets, fait unique au monde : seule la Kaaba en dispose de sept, la Mecque étant l'endroit où il doit y en avoir le plus grand nombre. C'est d'ailleurs à cause de Sedefhar Mehmet A?a qu'un septième minaret dut y être érigé. Il en paya les frais. L'architecture a été conçue pour que le sultan puisse se rendre dans sa loge à l'étage à dos de cheval. A la sortie, l'esplanade continue d'accueillir, le jour du réveillon, des bus pleins de touristes venus de tous les quartiers d'Istanbul où vivent plus de 15 millions d'âmes. C'est l'heure de l'appel la prière du Dohr. Les muezzins alternent les versets coraniques de la prière pour ne pas se chevaucher entre eux. Les croyants turcs et étrangers se précipitent alors vers les toilettes aux alentours équipées de robinets dorés et d'un tabouret pour s'asseoir et faire leurs ablutions sans gène. Les femmes munies de foulard font aussi la prière, derrière les hommes, sur un carré qui leur est réservé. Les cafés presse ou latté (café turque ancien) ne courent pas les rues d'Istanbul. C'est le thé à 2 liras qui fait office de roi des boissons chaudes. Mais pour les irréductibles consommateurs de café que nous sommes, nous devons nous déplacer et débourser ici 5 liras, l'équivalent de 2 euros environ. Mais le Bosphore qui fait face à d'autres mosquées et surtout " le marché égyptien " attire aussi des touristes venus du monde entier en ces jours de fin d'année. Il y a aussi le temple " Sundials on the Fatih Mosquée ", Place des Soleils du temps local où Djamaa Fatah attire les étrangers à la recherche du temps perdu. Bosphore et croisières Une croisière sur le Bosphore demeure une excursion agréable à faire. Au milieu de collines verdoyantes, ce bras de mer est un décor charmant. " Sur les rives du Bosphore s'égrainent les palais des derniers sultans et quelques mosquées, selon notre guide qui invite le groupe à monter sur le car ferry pour faire une croisière. Vous apercevrez le palais de Dolmabahçe, le palais de Çiraga, la mosquée d'Ortaköy ". Les ponts font aussi l'objet d'admiration. Le pont de Bosphore, inauguré en septembre 1973 à l'occasion du cinquantenaire de la République turque, est très impressionnant avec ses 65 m de hauteur. C'est l'un des cinq plus grands ponts suspendus du monde. Le pont de Mehmet Fatih, deuxième pont suspendu du détroit, est l'oeuvre des Japonais. Il enjambe le détroit à son point le plus étroit et se situe à l'endroit exact où le roi de Perse, Darius, traversa le Bosphore sur un pont flottant il y a 2500 ans. " Vous ne pourrez pas manquer la forteresse de Rumeli Hisari. Construite en trois mois sous Mehmet le Conquérant, cette forteresse se trouve à l'endroit le plus étroit du Bosphore et servait à surveiller le passage du détroit " dira Hakim, un jeune Libanais qui parle parfaitement bien et le turc, le français et l'arabe, bien entendu. Ses trois grosses tours et ses murailles étaient dotées de canons. Après la prise de Constantinople, la forteresse servit de prison. Aujourd'hui elle est utilisée pour des manifestations culturelles. Grand bazar Le grand bazar d'Istanbul est l'un des plus grands bazars au monde, réparti sur 200 000 m², abritant 4 000 boutiques, situé le long de 58 rues intérieures auxquelles on accède par 18 portes, selon Adem Yildan, commerçant de produits " Antique objet Pashmnina " au beau milieu du bazar ou il faut jouer du coude pour s'y frayer un passage. Il se trouve en plein centre de la ville entre les mosquées Nuruosmaniye et Bayezid II. Notre ami, Adem aime El Djazair comme il la nomme en arabe, mais il regrette que les Algériens n'aient pas appris la langue turque durant la présence ottomane de plusieurs siècles en Algérie, a-t-il ajouté. " Or les Français qui sont rentrés avec des armes ont pu durant seulement 132 ans d'occupation faire admettre le français aux Algériens ", a-t-il ajouté, tout en indiquant au passage qu'il ne voit pas de problème si la langue turque s'écrivait en caractères arabes. Notre ami m'a interpellé pour écrire " ça " dans le journal qu'il voudrait lire sur Internet, avant de prendre en charge une cliente, une européenne visiblement. Ainsi pour revenir au monument, considérablement élargi au XVIe siècle sous Soliman le Magnifique, la partie la plus ancienne date de 1455 et a été construite en bois sur l'ordre de Mehmed II, à l'emplacement d'un ancien marché. Il a été restauré et partiellement reconstruit, à la suite d'un tremblement de terre en 1894. Il fut ravagé plusieurs fois par des incendies, dont le dernier date de en 1954, détruisant la moitié du bâtiment. Comme tous les bazars, il est organisé par quartiers regroupant chacun un certain type d'artisanat : bijoux, tapis, textiles, mosaïques, argenterie…Au centre, se trouve une vaste salle voûtée, le Bedesten, sorte de marché aux puces où s'entassent d'innombrables vieilleries : armes anciennes, bijoux, parures, vaisselles, argenteries, pièces de monnaie, etc… Harraga et Besnassiya se côtoient… A la sortie du bazar vers le haut, il y a la grande université d'Istanbul, Beyazid qui date de 1453 en tant que mosquée ottomane abrite aussi, comme les autres, des carrés de tombes tout autour. Cette Spécialisée dans l'enseignement des technologies et des sciences sociales, elle compte 80.000 étudiants, selon Mustafa Caprak, un jeune étudiant dans les langues. Sur les terrasses les touristes préfèrent s'attabler pour prendre un thé local ou se restaurer aux produits turcs, alors que d'autres déambulent dans les ruelles à la recherche de beaux souvenirs d'artisanat rappelant la civilisation ottomane. Mais 17 H passé, un autre monde parallèle apparaît sur la place d'à côté. Des hommes et des femmes surgissent pour occuper des espaces. Ils semblent attendre un certain signal pour étaler à même le sol les baluchons de toute sorte de produits qu'ils proposent à la vente. " Je vends des parfums en attendant de quitter Istanbul pour la France " se confie à moi un jeune, Sénégalais qui vient d'arriver, en passant, dit-il, par le Maroc. Il a les papiers turcs, dit-il, mais cela de l'intéresse pas d'y rester car il n'y a pas de boulot, a-t-il ajouté. " J'essaye de gagner un peu d'argent pour retrouver mes compatriotes en France où je pourrais vivre mieux " dit-il, tout en soulignant que certains Algériens sont également dans la même situation que la sienne, dans l'attente d'immigration clandestine vers d'autres cieux européens plus cléments. Juste un peu plus loin un groupe de cinq Algérois, reconnaissables à l'accent, remontent le bazar, les bras chargés. C'est un groupe de cinq jeunes dont deux sont des étudiants, originaires d'un quartier de l'Est d'Alger. " Nous venons en moyenne une fois par mois pour se ravitailler en produits de femmes que nous écoulons à Alger auprès de nos grossistes que nous connaissons bien " dira Nabil, en déposant les sacs et paquets. Notre groupe de cinq vient souvent à Istanbul avec un pactole, dit-il, de 4000 à 4500 euros pour faire de belles affaires. Yacine est pourtant un étudiant en droit à l'université de Ben Aknoun à Alger. Les produits turcs de femmes " marchent " très bien à Alger, car ils sont à la mode à travers notamment les films qui passent souvent sur les chaînes de TV étrangères. " Ces films ont produit des divorces en Algérie " dit-il avec sourire. " Cela fait deux ans depuis que j'ai fini ma licence en interprétariat mais sans trouver pour autant un job. Mais je ne regrette rien, car je travaille bien avec ces virées à Istanbul. D'ailleurs même si j'en trouve, je préfère rester besnassi, comme on nous appelle, car je gagne bien ma vie " avoue Kamel avec un large sourire. Les produits turcs sont en effet à la mode en Algérie et ça coûtent moins cher par rapport aux produits européens et français notamment, selon une dame, commerçante de profession à Mostaganem et Besnassiya professionnelle depuis de longues années, dit-elle, dans l'avion au retour. L'avion est plein à craquer de passagers, de cabas et de valises. A l'embarquement, des besnassis et une besnassiya, nous interpellent, au moment de l'enregistrement des bagages pour les soulager du surpoids qu'ils ont. Ils ont dépassé la limite de 30 kilos autorisés par billet…. " Les gens viennent à Istanbul pour acheter car les produits turcs de femmes qui sont à la mode actuellement sont nettement moins chers par rapport aux produits français par exemple. Moi je partais auparavant en France durant les années 2000 pour y acheter, mais plus maintenant " a-t-elle ajouté. Elle était accompagnée de son frère pour plus d'achats. Selon elle, les produits français sont de luxe et de marque qui coûtent chers. " Ce n'est pas le cas des produits turcs, mais ils sont à la mode et recherchés par les Algériennes ", estime-t-elle. La Turquie est devenue ainsi ces dernières années la destination préférée des Algériens et Algériennes, soit pour faire du commerce parallèle, ou du tourisme. Les deux vols quotidiens Air Algérie et Turkish Airlines s'avèrent d'ailleurs insuffisants. Faut-il favoriser le tourisme en Turquie et les investissements turcs en Algérie ?