Conservateurs et sociaux-démocrates allemands ont accouché d'un programme de gouvernement. Sous Merkel III, la première économie européenne devrait continuer à croître, sans toutefois entraîner d'effet positif majeur pour ses partenaires européens. Le statu quo, ni plus ni moins, tel était le verdict des experts mercredi matin. Ni plus parce que les impulsions, sous forme de plus d'investissements publics par exemple, restent trop limitées pour faire faire des bonds à la croissance du pays, et à plus forte raison à celle de ses voisins européens malgré les espoirs de ces derniers. Le programme "n'en fait pas assez pour l'investissement", déplorait ainsi Peter Bofinger, professeur de l'université de Wurtzbourg (sud) tandis que Gustav Horn, de l'institut de recherche IMK, proche des syndicats, déplorait "une goutte d'eau dans l'océan". Et ni moins non plus, parce que contrairement aux scénarios catastrophes évoqués ces derniers temps par les milieux économiques allemands, les concessions faites par la chancelière Angela Merkel à ses partenaires sociaux-démocrates ne vont pas mettre en péril la croissance de la première économie européenne. "Les décisions prises sont peu susceptibles de faire sortir des rails la reprise allemande", analyse Christian Schulz, de Berenberg Bank. Jörg Kramer, de Commerzbank, est sûr que "l'économie allemande va croître plus vite que le reste de la zone euro dans les années à venir", même si l'accord trouvé "dégrade l'environnement économique à long terme".
"Miracle de l'emploi en péril" Le programme de gouvernement parachevé a fait sienne nombre des exigences des sociaux-démocrates, surtout sur le marché du travail: introduction à partir de 2015 d'un salaire minimum généralisé, durcissement des règles entourant les contrats de sous-traitance et intérimaires, assouplissement de la loi sur les retraites. Autant de "retours en arrière par rapport aux réformes de 2004", juge M. Schulz, en référence à l'Agenda 2010 de l'ex-chancelier Gerhard Schröder qui avait flexibilisé le marché du travail. Non seulement ces mesures pourraient "mettre en péril le miracle de l'emploi allemand", au plus tard quand le cycle économique repartira à la baisse, mais elles posent aussi un problème de crédibilité à une Allemagne qui prêche dans toute l'Europe la bonne parole des réformes structurelles, ajoute-t-il. Pour Carsten Brzeski, de la banque ING, "on dirait que le gouvernement veut surtout redistribuer les fruits des réformes passées plutôt qu'utiliser les périodes fastes pour de nouvelles réformes". Dans une zone euro en crise, les partenaires de Berlin, Paris en tête, avaient été les premiers à faire des appels du pied à l'Allemagne pour en faire plus pour la croissance. D'ailleurs, les analystes du français CM-CIC se félicitaient mercredi d'avancées "encourageantes". Le "stimulus budgétaire devrait bénéficier à l'ensemble de l'Europe", selon eux.
Orthodoxie budgétaire Pourtant avec 23 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, dont seulement une partie véritablement en investissements, la marge de manoeuvre est limitée. La nouvelle équipe maintient son objectif d'équilibre budgétaire au niveau fédéral à l'horizon 2015 car des finances publiques solides sont "indispensables", selon le programme de coalition. Alors que le pays fait l'objet d'une enquête approfondie de la Commission européenne sur ses excédents de comptes courants, les recommandations du commissaire aux Affaires économiques Olli Rehn, qui a enjoint à Berlin de libérer son marché des services et baisser les impôts pour stimuler la demande, sont-elles restées lettre morte. Consolation pour les Européens: la constitution d'un gouvernement - encore conditionnée à un vote des adhérents du SPD - devrait permettre des avancées sur certains dossiers européens, comme l'Union bancaire. Conjuguée à la promesse d'une continuité dans la politique européenne, c'est la "bonne nouvelle" du jour, pour M. Schulz.
Marché du travail solide Le marché du travail en Allemagne est resté solide en novembre, avec un taux de chômage stable de 6,9%, mais la hausse inattendue du nombre de chômeurs a constitué une déception pour les économistes. Inchangé par rapport à octobre, le taux de chômage s'est inscrit à 6,9% en données corrigées des variations saisonnières (CVS), a annoncé jeudi l'Agence pour l'emploi dans un communiqué. Mais elle a ajouté que le nombre de chômeurs avait "légèrement" augmenté, de 10 000 personnes sur un mois, toujours en données corrigées. Ce qui est nettement au-dessus des 3 500 chômeurs supplémentaires sur lesquels tablaient en moyenne les économistes interrogés par l'agence Dow Jones Newswires. Malgré cette hausse, "dans l'ensemble, le marché du travail conserve la même tendance que les mois précédents", a souligné le président de l'Agence, Frank Weise, cité dans le communiqué. Soutien de poids de la première économie européenne, le marché du travail fait preuve depuis des mois d'une résistance qui détonne avec beaucoup d'autres pays européens confrontés depuis la crise à un chômage croissant, voire de masse. Pour Carsten Brzeski, économiste chez ING, le marché du travail allemand "envoie tout de même un premier petit signe d'avertissement". "Ces chiffres sont les plus mauvais pour un mois de novembre depuis 2004", d'habitude marqué par un certain dynamisme, pointe l'économiste. Déçu également par les chiffres dévoilés jeudi, Johannes Gareis, économiste de Natixis, s'attend toutefois à ce que le marché du travail "reste solide", les différents indicateurs récents de confiance et d'activité s'étant montrés bien orientés. Certes, l'Allemagne "souffre d'une certaine façon des incertitudes entourant la reprise des autres pays de la zone euro, mais la solidité de sa demande intérieure limite les risques d'une hausse du taux de chômage dans les mois à venir", considère également Annalisa Piazza, de chez Newedge Strategy. Néanmoins, les milieux économiques allemands agitent le spectre d'une cassure à venir de cette résistance à cause du programme gouvernemental auquel viennent de parvenir les conservateurs de la chancelière Angela Merkel et les sociaux-démocrates. Ils se sont mis d'accord sur l'introduction à partir de 2015 d'un salaire minimum de 8,50 euros de l'heure au niveau national, et sur une limitation dans le temps d'un recours aux intérimaires.
Taux naturel de chômage Soutien de la consommation privée sur le court terme, l'impact de l'introduction d'un salaire minimum "sur le long terme n'est pas clair", estime M. Brzeski. Mais une chose est sûre, selon lui: "le marché du travail a atteint son taux naturel de chômage". "Pour que l'actuel miracle du marché du travail persiste ou en démarrer un nouveau, un salaire minimum devrait être associé à des mesures supplémentaires pour créer de nouveaux emplois", conclut l'économiste. Sur ce point, Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, a assuré jeudi matin sur la radio Deutschlandfunk que le futur gouvernement "s'efforcerait qu'il n'y ait pas de conséquences négatives pour le marché du travail". Pour 2014, Heinrich Bayer de Postbank a lui confiance dans un nouveau reflux du chômage allemand, constant mais sans accélération particulière. "Cela devrait amener le taux de chômage en moyenne à 6,7%, contre 6,9% pour cette année". En données brutes, jugées moins représentatives par les économistes mais qui font référence dans le débat public, le taux de chômage en Allemagne n'a également pas changé, s'affichant toujours à 6,5%, tandis que le nombre de chômeurs a augmenté de 5 000 pour atteindre 2,81 millions de personnes.
Moral des consommateurs meilleur Le moral des consommateurs allemands devrait continuer de grimper au cours des prochains mois, à la faveur d'une conjoncture qui s'améliore, selon l'enquête mensuelle publiée par l'institut GfK. L'indice devrait afficher à 7,4 points en décembre, soit son niveau le plus élevé depuis six ans, après 7,1 points en novembre et octobre. "Les consommateurs s'attendent visiblement à ce que la progression de l'économie allemande, d'un rythme modéré actuellement, prenne de plus en plus d'ampleur au cours des prochains mois", a commenté l'institut dans son communiqué. Un optimisme partagé par les experts, poursuit le GfK, citant les dernières prévisions de croissance des "Sages", surnom des cinq économistes qui conseillent le gouvernement allemand. Ces derniers attendent une hausse de 1,6% du Produit intérieur brut en 2014, après 0,4% cette année. Quant au moral des entrepreneurs, mesuré par l'institut Ifo, il a aussi nettement progressé en novembre, souligne le GfK. Autant d'éléments qui conduisent les ménages allemands à attendre des revenus en hausse. La composante de l'indice portant sur ces attentes a ainsi atteint 45,2 points en novembre (contre 32,7 points en octobre), soit le niveau le plus élevé enregistré depuis mars 2001, détaille l'institut. Le niveau bas actuel de l'inflation contribue aussi à cette embellie, faisant miroiter des revenus réels plus élevés aux consommateurs allemands. Quant à la propension à consommer des Allemands, elle atteint aussi un niveau qui n'avait pas été vu depuis 2006, à 45,7 points. Outre un marché du travail qui continue de bien se porter, cette progression s'explique par la dernière baisse du taux d'intérêt directeur de la Banque centrale européenne (BCE), explique l'institut GfK. La BCE a décidé de le porter à 0,25% en novembre. "Les consommateurs considèrent visiblement l'alternative à la consommation -l'épargne- comme de moins en moins attractive", ajoute l'institut, soulignant que la propension à épargner a en conséquence atteint un nouveau plus bas historique. En conclusion, "les consommateurs seront cette année le soutien décisif à la conjoncture", souligne l'institut, confirmant les statistiques gouvernementales. Le sondage du GfK, mené chaque mois auprès d'environ 2 000 ménages, a été réalisé du 21 octobre au 15 novembre, avant la promesse de la chancelière Angela Merkel d'un futur salaire minimum généralisé en Allemagne.
Inflation en hausse après des mois de recul L'inflation a accéléré en Allemagne au mois de novembre, à 1,3% sur un an, après plusieurs mois de recul, selon un chiffre provisoire publié par l'Office fédéral des statistiques, Destatis. En octobre, la hausse des prix s'était élevée à 1,2%, après 1,4% en septembre et 1,5% en août. Sur un mois, les prix ont reculé de 0,2%, comme en octobre. La persistance d'un niveau général faible est liée une nouvelle fois au recul du prix de l'énergie. Sur un an, il est en baisse de 0,3%. Quant aux prix de l'alimentation, après des hausses de plus de 4% au cours des derniers mois, ils n'ont enregistré qu'une hausse de 3,2% en novembre, a souligné Destatis qui a calculé ces chiffres sur la base de six Etats régionaux sur 16. En revanche, le prix des services a augmenté de 1,5% en novembre contre 1,2% en octobre. "En excluant les prix de l'énergie et de l'alimentation, ainsi que l'impact de certaines mesures gouvernementales, le taux (de l'inflation en novembre) se serait élevé à 1,6%", ont calculé Johannes Werner et Jörg Krämer, de Commerzbank. Cela reste bien en dessous de l'objectif de la Banque centrale européenne (BCE) de maintenir une hausse des prix proche de 2% pour l'ensemble de la zone euro. En octobre, la hausse des prix pour la région avait atteint 0,7%, poussant la BCE à baisser son principal taux directeur à 0,25%. En novembre, ce chiffre, qui sera annoncé vendredi, devrait grimper à 0,9%, estiment les analystes de Commerzbank, notant que outre l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique ont également enregistré des taux d'inflation en hausse en novembre. Selon l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), qui permet une comparaison des taux d'inflation entre les Etats membres de l'Union européenne, les prix en Allemagne ont crû de 1,6% en novembre par rapport au même mois de 2012. Le chiffre définitif de l'inflation en novembre est attendu le 11 décembre.
Vente au détail en baisse Les ventes au détail en Allemagne ont diminué en octobre pour le deuxième mois d'affilée, s'inscrivant en recul de 0,8% par rapport à septembre, selon les chiffres provisoires et ajustés rendu public. Ce recul va à l'encontre des attentes des économistes interrogés par Dow Jones Newswires, qui tablaient en moyenne sur un rebond de 0,5%. Mais les ventes au détail, indicateur de la tenue de la consommation allemande, sont une donnée très volatile, sujette à de fréquentes révisions. L'Office fédéral des statistiques a d'ailleurs révisé la baisse du mois de septembre, à -0,2%, contre -0,4% annoncée initialement. Les évolutions des mois antérieurs ont aussi été encore ajustées. Ainsi le mois d'août affiche désormais une hausse de 0,4% et celui de juillet une baisse de 0,2%. Sur un an, l'activité du commerce de détail a affiché en octobre une baisse limitée à 0,2%, qui s'explique par une diminution de 1,5% des ventes dans les secteurs non-alimentaires. En revanche, les ventes dans l'alimentation, les boissons et le tabac ont progressé de 1,1% par rapport à octobre 2012. De janvier à octobre, les ventes au détail s'inscrivent toujours en maigre progression, de 0,2% par rapport à la même période de l'année dernière.