Les experts pensent que l'Europe perdrait bien plus qu'elle ne gagnerait suite au refroidissement de ses relations avec la Russie en raison de la situation en Ukraine, a écrit hier le quotidien Rossiïskaïa gazeta. La porte-parole du département d'Etat américain Jen Psaki et le secrétaire d'Etat John Kerry étudient la possibilité d'adopter des sanctions contre la Russie. Le communiqué officiel de la direction de la représentation commerciale des Etats-Unis annonce la rupture des négociations avec Moscou sur le commerce et les investissements des USA jusqu'au règlement du conflit en Crimée. Selon les experts, la suspension de la coopération commerciale et économique entre les USA et la Russie n'aurait pas d'impact significatif sur l'économie russe : les échanges commerciaux avec les Etats-Unis avoisinaient les 28 milliards de dollars en 2013 et on ne peut donc pas parler de situation de dépendance, d'un côté comme de l'autre. L'Allemagne fait partie des plus grands partenaires commerciaux de la Russie : les échanges russo-allemands ont dépassé 80 milliards d'euros en 2013. La Fédération de Russie est le troisième plus grand partenaire commercial de l'Union européenne. Les pays baltes disent déjà que la rupture des relations économiques serait une mesure indésirable. Le Premier ministre lituanien Algirdas Butkevi?ius a déclaré hier qu'il s'opposait à l'adoption de sanctions contre la Russie, car cela pourrait nuire aux entreprises lituaniennes. D'ailleurs, les pertes de l'Europe seraient conséquentes après le gel des relations avec la Russie, comme en témoignent les statistiques commerciales. La Russie représente 45% des importations de voitures de l'UE et 18% de son industrie chimique. A son tour, la Russie exporte sur le Vieux Continent 40% du palladium produit sur son territoire, 20% de titane et 14% de platine : ces métaux jouent un rôle important dans les processus industriels de haute technologie. Il est fort probable que ce "conflit" économique entraîne un virage de la Russie vers d'autres monnaies et la création de son propre système monétaire, a déclaré l'académicien Sergueï Glaziev. "Nous avons de très bonnes relations dans le Sud et l'Est, et nous trouverons un moyen non seulement de remédier à notre dépendance des USA mais sortirons également de ces sanctions avec beaucoup de profit", a-t-il expliqué. Selon l'académicien, il existe une autre monnaie d'échange - les crédits empruntés par des organisations russes aux banques américaines.
Moscou prépare une riposte Le Conseil de la Fédération (Sénat russe) prépare un projet de loi prévoyant la confiscation des avoirs de sociétés européennes et américaines implantées en Russie en cas de sanctions occidentales à l'encontre de Moscou. "Le projet de loi prévoit de confier de tels pouvoirs au président et au gouvernement russes en vue de protéger notre souveraineté contre toute atteinte", a déclaré à RIA Novosti l'auteur du document, Andreï Klichas. Selon lui, à l'heure actuelle, les experts examinent la conformité de ces mesures avec la Constitution russe. "Mais il est évident que cela correspond aux standards européens. Il suffit de rappeler l'exemple de Chypre, lorsqu'une telle saisie a de facto constitué l'une des conditions de l'octroi de l'aide européenne", a estimé le sénateur. L'Union européenne et les Etats-Unis ont menacé de décréter des sanctions à l'encontre de la Russie sur fond de montée de tensions autour de l'Ukraine et de la Crimée en particulier.
L'ex-chancelier Schröder condamne les sanctions contre Moscou Ne pas jeter d'huile sur le feu, négocier et ne pas adopter de sanctions antirusses: tel est le point de vue de l'ex-chancelier allemand Gerhard Schröder sur la situation actuelle en Ukraine. Pour lui, le pays est et doit rester souverain, a écrit hier le quotidien Nezavissimaïa gazeta. Gerhard Schröder souligne tout de même que l'Ukraine est divisée entre une partie pro-européenne et l'autre, prorusse. L'UE n'en a pratiquement pas tenu compte et l'ex-chancelier pense que le fait de poser un pays divisé face au choix entre l'UE et l'Union douanière "était une erreur, qui a provoqué la crise actuelle". Le quotidien Die Welt est déçu que l'ex-chancelier n'ait pas prononcé de mots critiques à l'égard des actions de Poutine en Ukraine et ait accusé, au contraire, l'UE et l'Otan. Gerhard Schröder pense que des sanctions de l'Occident contre Moscou seraient "inadéquates, tout comme la menace de certains pays occidentaux de renoncer au sommet du G8 à Sotchi, voire d'exclure la Russie de ce groupe. Le sommet du G8 est l'occasion pour les plus grands dirigeants internationaux de se réunir et d'évoquer les problèmes du monde. Il est important pour chaque partie de rétablir le dialogue pour empêcher l'escalade du conflit". La presse allemande estime que Schröder critique indirectement le secrétaire général de l'Otan Anders Fogh Rasmussen, qui a qualifié la situation en Crimée de "menace à la paix et à la sécurité en Europe". Selon l'ex-chancelier l'Otan, dans ces circonstances, "n'a aucune fonction, qui plus est politique. Alors pourquoi entend-t-on en permanence de telles déclarations ?". Selon lui, on peut attendre une aide des institutions politiques "mais pas de l'Otan, qui suscite plutôt la crainte que la confiance". Schröder compte sur le succès des efforts de la chancelière Angela Merkel, qui s'est entretenue par téléphone avec le président russe Vladimir Poutine. Elle a notamment suggéré d'envoyer en Crimée une "mission pour enquêter sur les faits", ce à quoi il a répondu : "Je propose de poursuivre le travail sur ce point, c'est également la position du gouvernement fédéral". Pendant ce temps même la presse allemande, très critique envers la Russie, commence à se poser des questions sur la nature du pouvoir représenté à Kiev par le "gouvernement du Maïdan" et sous la tutelle de l'Occident. "La réconciliation dans le pays et le désarmement des groupuscules d'extrême-droite étaient la promesse du gouvernement de transition ukrainien dans l'accord signé par trois ministres des Affaires étrangères de l'UE, mais Kiev n'a pas rempli certaines conditions primordiales de cet accord, ce qui a exacerbé la situation", a rappelé hier la revue Spiegel. Sous la pression de la rue, la Rada, le parlement ukrainien, a annulé la loi garantissant le statut de la langue russe dans le sud et l'est du pays. Et le "gouvernement de transition d'unité nationale", prévu par l'accord du 21 février, aurait dû inclure des représentants de régions russophones. Des extrémistes du parti Svoboda (Liberté) sont devenus ministres. Ce parti entretient des relations conviviales avec le NPD néonazi allemand. Selon Spiegel, le parti brun Svoboda a plusieurs portefeuilles de ministre au gouvernement de Kiev et ses membres occupent le poste de vice-Premier ministre et de procureur général. Le procureur général Oleg Makhnitski, avocat, défendait jusque-là le président de son parti, Oleg Tiagnibok, accusé d'incitation à la haine concernant "la mafia juive de Moscou". Le nouveau secrétaire du Conseil de la défense et de la sécurité de l'Ukraine Andri Paroubi fait également partie des fondateurs de Svoboda. Il a été nommé chef des renseignements à titre de récompense pour son rôle dans le commandement du Maïdan. Il a étroitement collaboré avec le chef du Secteur droit extrémiste Dmitri Iaroch. Le Secteur droit dispose actuellement de plusieurs milliers de combattants armés.
Les lecteurs occidentaux soutiennent Poutine et se moquent d'Obama La popularité du thème ukrainien dans la presse occidentale est à son apogée ces derniers jours. Rien d'étonnant : ce n'est pas tous les jours qu'éclate un conflit impliquant l'une des plus grandes puissances du monde, a écrit hier le quotidien russe Izvestia. En dépit de l'orientation de la majorité des articles, les réactions et les commentaires des lecteurs occidentaux montrent qu'ils sont loin de partager l'attitude négative des médias envers le rôle de Moscou en Ukraine. "Vous qualifiez Poutine d'agresseur en oubliant les attaques de drones américains au Pakistan et au Yémen", affirme un lecteur sous le pseudonyme elkwarrior21, commentant un article intitulé "Quatre raisons pour lesquelles Poutine a perdu l'Ukraine" publié dans le journal américain Time. Un autre lecteur, lazywolf, écrit qu'Obama "vit dans une tarte à la crème utopique", tandis que "Poutine a une vision lucide du monde". L'article de CNN intitulé "Poutine : aucun projet d'annexer la Crimée" a également reçu son lot de commentaires : les lecteurs écrivent qu'Obama parle de "lignes rouges" et tout le monde se moque de lui. Cela fait bien longtemps qu'il "devrait se concentrer sur les problèmes nationaux au lieu d'essayer de contrôler le monde entier". "Souvenez-vous de l'invasion américaine à la Grenade, chers amis qui ont subi un lavage de cerveau", suggère un lecteur. "Obama menace Poutine de le supprimer de ses amis sur Facebook", plaisante un autre lecteur. Beaucoup de commentaires dans la presse occidentale appellent à regarder avec lucidité la situation et rappellent combien de péchés pèsent sur la conscience des pays qui proposent aujourd'hui de boycotter la Russie. Ils rappellent que dans la même situation, les puissances occidentales auraient agi de la même manière. Les lecteurs qui appellent à laisser la Russie et l'Ukraine en paix et les laisser régler la situation eux-mêmes sont de plus en plus nombreux. "Vous ne pensez quand même pas qu'Obama aurait agi autrement dans une situation semblable ?", demande un lecteur du Spiegel. "Nous devons revenir en arrière, laisser Moscou et Kiev régler eux-mêmes leurs problèmes. Nous avons suffisamment de problèmes pour ne pas nous ingérer dans les problèmes des autres", écrit Matt_D sur le site du britannique Daily Mail. Si après l'annonce de l'intention de la Russie de prendre des mesures pour protéger la population russophone en Ukraine les lecteurs occidentaux avaient été choqués, après un certain temps il s'est avéré que rien de grave ne se produisait, qu'il existait de nombreuses circonstances qui lient aussi bien Moscou et Kiev que la Russie et l'Occident, et que par conséquent une guerre immédiate n'était pas à craindre. On pourrait aussi rappeler combien de pertes ont déjà subi les troupes de l'Otan dans diverses opérations à travers le monde. Les lecteurs occidentaux ont conscience qu'il n'est pas vraiment juste d'appeler à faire pression sur la Russie.
Entretiens Lavrov-Kerry à Paris Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov compte évoquer la situation en Ukraine avec son homologue américain John Kerry à Paris, a annoncé une source au sein de la délégation russe. "Sergueï Lavrov et John Kerry évoqueront la situation en Ukraine", a fait savoir l'interlocuteur de l'agence. Dimanche, le secrétaire d'Etat américain a déclaré que la Russie risquait de perdre sa place au sein du G8 en raison de sa politique à l'égard de la crise qui règne actuellement en Ukraine. Pour sa part, le chef de la diplomatie russe a accusé mardi les Etats-Unis et l'Union européenne de chercher à "faire oublier" l'accord de sortie de crise en Ukraine, signé le 21 février dernier par le président du pays Viktor Ianoukovitch et l'opposition.