Contre toute attente et après un suspense qui aura duré plusieurs jours, le plus prestigieux des prix littéraires, le Nobel 2007 est allé à la romancière britannique Doris Lessing. L'auteur du très populaire Le Carnet d'or a ainsi raflé la plus haute distinction littéraire au seuil de ses 88 ans, le 22 octobre prochain. Cette distinction n'est pas allée pour un ouvrage quelconque qu'aurait signé cette romancière, mais a récompensé une œuvre vaste et diverse marquée par l'Afrique et la cause féministe. Cette année le comité Nobel a choisi de récompenser “ la conteuse épique de l'expérience féminine, qui avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire scrute une civilisation divisée ”, a indiqué le communiqué de l'Académie suédoise. Le nom du Nobel 2007 a surpris plus d'un, du fait que la romancière qui a été auparavant souvent citée dans le cercle suédois du Nobel n'était plus sur la liste des écrivains nobélisables. Avec ce prix, Doris Lessing serait la 11e femme à obtenir le Nobel de littérature depuis sa création en 1901. L'Académie suédoise a été d'ailleurs souvent critiquée pour le déséquilibre entre lauréats homme et femme. A cinq jours de ses 88 ans, Doris Lessing, serait la lauréate la plus âgée de toute l'histoire du Nobel de littérature, tous sexes confondus, et la deuxième en âge pour toutes les catégories de Nobel. Jeudi dernier, jour du verdict du comité suédois du Nobel, la romancière faisait ses courses, et n'avait pu être prévenue à l'avance. Enfin informée par les journalistes réunis devant son domicile londonien, elle a réagi avec un mélange de fierté et d'humour. “ J'ai remporté tous les prix européens, tous ces sacrés prix, et j'en suis ravie. C'est une quinte flush ”, a-t-elle commenté, employant un terme du poker pour décrire un jeu imbattable. Née en en 1919, alors que son père était capitaine dans l'armée britannique, Doris May Taylor a ensuite vécu la première partie de sa vie en Afrique, dans l'ancienne colonie britannique de Rhodésie du Sud (aujourd'hui Zimbabwe), ce qui marquera son œuvre. Cette ancienne membre du parti communiste britannique, qu'elle a quitté en 1956 lors de l'écrasement de la révolte hongroise, a souvent été comparée à la Française Simone de Beauvoir pour ses idées féministes. Le Carnet d'or, son livre le plus connu publié en anglais en 1962 mais en 1976 seulement en français, raconte ainsi l'histoire d'une femme-écrivain à succès qui tient son Journal. Le comité Nobel, considère ce livre, comme “ une œuvre pionnière par le mouvement féministe et appartient à la poignée de livres qui ont marqué la manière de voir les relations homme-femme au XXe siècle ”. L'écrivain a su explorer tous les styles, n'hésitant pas à faire des incursions dans la science-fiction avec les cinq tomes de sa série Canopus in Argos écrite entre 1979 et 1983. Dans ce cycle, Doris Lessing évoque le monde après un conflit atomique et parle des antagonismes entre les principes féminin et masculin mais aussi du colonialisme et des catastrophes écologiques. Maniant aussi l'ironie, la romancière a été en 1984 l'auteur d'un canular en publiant un livre The Diary of a Good Neighbour ( Le Journal d'une bonne voisine) sous un pseudonyme. Son propre éditeur, qui ne connaissait pas la véritable identité de l'auteur, avait refusé de le publier. Sa jeunesse lui a inspiré sa première saga, rédigée de 1952 à 1969 : les cinq volumes des Enfants de la violence (Children of Violence), qui mettent en scène le personnage d'une Martha Quest, étonnamment proche de Lessing. Deux fois mariée et deux fois divorcée, elle estime que “le mariage est un état qui ne lui convient pas ”. Elle a eu trois enfants de ses différents mariages. Parmi ses autres ouvrages figurent notamment Going Home (1957) où elle dénonce l'apartheid en Afrique du Sud et The Good terrorist (La terroriste, 1985), sur un groupe de jeunes révolutionnaires d'extrême-gauche. Dernièrement, elle a publié en France le roman intitulé Un enfant de l'amour. L'année dernière, le prix Nobel qui est doté comme les autres prix Nobel de 10 millions de couronnes suédoises (environ 1,08 million d'euros) avait récompensé le romancier turc Orhan Pamuk. Cette distinction sera remise le 10 décembre à Stockholm lors d'une série de festivités en présence de la famille royale.