Siemens s'est lancé dans la bataille pour conquérir Alstom et ne négligeait aucun moyen pour rallier l'Etat, les administrateurs et salariés de l'industriel français et mettre hors-jeu General Electric, qui n'a pas dit son dernier mot. Nous avons bâti avec Mitsubishi une grande alliance industrielle qui offrira un nouvel avenir à Alstom, au lieu de consacrer son démantèlement, a affirmé le président du conseil de surveillance du groupe munichois, Gerhard Cromme, sur le perron de l'Elysée. Nous pensons que le projet proposé à Alstom est supérieur aux autres, a renchéri Joe Kaeser, le patron de Siemens, lors d'une conférence de presse à Paris, avec son alter ego de Mitsubishi Heavy Industries (MHI), Shunichi Miyanaga. Les deux dirigeants ont rencontré les organisations syndicales d'Alstom puis le président français François Hollande, avant d'aller défendre leur projet à l'Assemblée nationale. Le conseil d'administration d'Alstom a exprimé sa préférence pour l'offre du géant américain GE, mais Siemens et MHI, en concoctant une solution combinant rachat partiel et alliances, ont tout fait pour avoir les faveurs de Paris. Le Premier ministre, Manuel Valls, a beau affirmer que le gouvernement n'a aucune préférence, le ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg, privilégie un partenariat préservant l'intégrité du fabricant du TGV et fournisseur d'EDF. Tant qu'il sera possible, nous souhaitons que les offres puissent être améliorées, indiquait-on mardi à l'Elysée.
10% pour l'Etat GE offre de racheter la totalité du pôle énergie d'Alstom (70% de son chiffre d'affaires) pour 12,35 milliards d'euros. Siemens se contenterait de l'activité de turbine à gaz, qu'il reprendrait pour 3,9 milliards d'euros. MHI propose la création de trois coentreprises où Alstom resterait majoritaire, par exemple dans les turbines à vapeur, utilisées dans les centrales nucléaires d'EDF. Une solution qui répond aux inquiétudes sur le contrôle des activités nucléaires. Parallèlement, le japonais rachèterait 10% du capital d'Alstom. Sortant leurs calculettes, Siemens et MHI ont avancé mardi que leur proposition valorisait l'ensemble du pôle énergie d'Alstom à 14,2 milliards d'euros. Nous sommes plus compétitifs, a fait valoir M. Kaeser. L'architecture de l'opération est jugée complexe et la gouvernance très compliquée par plusieurs connaisseurs du dossier. Pour apaiser les craintes, M. Miyanaga a assuré qu'Alstom resterait maître à bord et vanté l'expérience de son groupe dans les partenariats, notamment avec Hitachi. Siemens n'est pas hostile à une participation de l'Etat au capital d'Alstom aux côtés de MHI, a indiqué Christophe de Maistre, P-DG de Siemens France. Au contraire, une entrée de l'Etat au capital pourrait encourager encore plus la stratégie du groupe, a renchéri M. Miyanaga, évoquant devant les députés 10% comme niveau souhaitable. Sur la question de l'emploi, sensible pour un gouvernement impuissant à faire baisser le chômage, le tandem germano-nippon a donné des garanties et promis de créer plus de 1 000 postes en France, comme GE. Enfin, Alstom resterait un groupe français coté sur la place de Paris.
Airbus du rail Dire que c'est totalement satisfaisant, ce n'est pas vrai dans la mesure où l'activité turbine à gaz disparaît et qu'il reste une inconnue sur la consolidation de la partie transport, mais au moins, Alstom garderait sa cohésion. On conserverait une entreprise proche de ce qu'elle est aujourd'hui avec une trésorerie rétablie probablement, a réagi Jean-Yves Hemery, secrétaire général de la fédération CFE-CGC métallurgie. Dans les transports, nous sommes absolument déterminés à créer un champion européen du ferroviaire. Pour cela, Siemens est disposé à apporter à Alstom l'ensemble de ses activités ferroviaires, a répondu, comme en écho, M. Cromme. De là à créer l'Airbus du rail cher à Arnaud Montebourg, le chemin sera long, d'autant que les deux groupes ont vécu des décennies d'âpre rivalité. Siemens souhaite de toute façon procéder par étape, et subordonne toute discussion sur le transport à la signature d'un accord sur le volet énergie. Selon une source proche du dossier, GE travaillerait bien à rendre sa proposition plus attractive, même s'il exclut de surenchérir. Le groupe du Connecticut étudierait notamment la possibilité de créer une coentreprise dans le transport avec Alstom et, comme le propose MHI, une alliance industrielle dans les turbines à vapeur. Le dernier mot reviendra à Alstom. Mais le temps presse car l'offre de GE expire lundi.