Décor, assises à même le sol devant les mosquées ou dans les principales avenues et artères de la ville, des femmes, enveloppées dans une djellaba ou un hidjab de fortune, un bébé blotti contre elles, tentent, à longueur de journée, d'apitoyer les jeûneurs. Le phénomène de la mendicité s'est amplifié durant ce ramadhan à Alger, certains endroits de la ville sont envahis de mendiants, mais aussi, d'"imposteurs" pour qui "faire la manche" peut s'avérer une affaire très lucrative durant ce mois de "piété, de tolérance et de mansuétude". Postées à l'entrée des banques ou des postes, des mendiantes accompagnées d'enfants, tendent la main aux passants, exhibant parfois une ordonnance ou répétant des "formules" apprises par cœur pour apitoyer les passants. L'entrée des mosquées et des banques, les bureaux de poste et les marchés d'Alger centre sont systématiquement quadrillés par une armée de mendiants qui profitent de ce mois pour tenter de gagner le maximum d'argent. La recette est simple, classique, en témoigne le récit de certains jeunes mendiants, puisqu'il suffit, selon eux, de "tendre la main pour apitoyer le fidèle, un métier à la portée de tous et qui, plus est, peut rapporter gros". Toujours selon ces mendiants, les subterfuges et les techniques de mendicité sont légion. "L'apprentissage de ce métier, affirment-ils, se fait en quelques heures et ce qui distingue un mendiant d'un autre, c'est sa capacité à apitoyer le plus de gens, et donc pouvoir réaliser des recettes conséquentes à la fin de la journée". La simulation d'une infirmité est une technique très en vogue dans ce milieu, efficace, d'ailleurs, par rapport à l'ensemble des autres techniques utilisées, en raison notamment de l'effet de l'infirmité sur le citoyen qui reste "très sensible et réagit, souvent, face à ce genre de détresse", ajoutent ces mendiants "occasionnels". Durant le Ramadhan, la mendicité organisée prend de l'ampleur, à cause des sommes d'argent importantes qui circulent pendant cette période. Les réseaux mis sur pied depuis quelques années sont réactivés à cette occasion. Agissant en groupes, de jeunes mendiants, composés en majorité de fillettes âgées entre 10 et 13 ans, contrôlent chacun une zone qui lui a été préalablement affectée par le chef du groupe, lequel a fait "main basse" sur tout un secteur, le plus souvent les endroits à forte concentration de commerces et de magasins. Chaque fin de journée, les mendiantes se regroupent dans un endroit "secret" où leur part des gains amassés dans la journée, calculée sur la somme globale collectée, leur est distribuée. Les moins efficaces n'ont droit qu'à un maigre pécule ou sont carrément exclus du partage avec des réprimandes en plus. A Alger, le nombre de familles défavorisées ou classées comme "nécessiteuses" est de trente mille, selon un recensement de la direction locale de l'action sociale.
Les immigrés clandestins s'y mettent aussi Le Ramadhan est à ses premiers jours. La situation, qui, en temps normal, est déjà très rigide pour Mamadou et Youssoufou, leurs copains et plusieurs autres familles maliennes et nigériennes, se corse pendant le mois de Ramadhan. Plusieurs questions taraudent l'esprit de ces jeunes en quête d'un avenir meilleur loin de chez eux tandis que la rude et la principale épreuve qui les hante quotidiennement est le dîner du soir qu'ils doivent impérativement s'assurer avant de songer à autre chose. Dans cette halte obligatoire, les immigrants clandestins ne ratent aucune piste quitte à se dévaloriser en se transformant, en mendiants. "Peu importe ce que diront les gens de moi, je fais la manche dans le seul but de me nourrir et nourrir en même temps mes enfants en bas âge", a expliqué l'un d'eux. La mendicité gagne du terrain, la Capitale, qui est devenue une escale incontournable des mendiants venant de toutes parts du pays, vit, ces derniers temps, au rythme d'une autre forme de mendicité menée par des Africains, subsahariens dans leur majorité. On les voit partout, dans les marchés et arrêts de bus et artères et quartiers principaux de la ville. Pendant que les hommes se mettent en quête de pain, les femmes, elles, surveillent ce qu'ils appellent "le camp", un petit coin de fortune qui sert de regroupement de plusieurs familles.