L'émergence avec le temps de nouveaux styles vestimentaires modernes a été accompagnée, à Blida, à l'instar d'autres villes du pays, par la disparition progressive de vêtements symbolisant la personnalité et l'histoire de la région. Ainsi, il n'est plus loisible d'apercevoir la moindre trace du Haïk, un voile porté par les femmes avant de sortir de la maison, ou même de la chéchia Stamboul, que les hommes se faisaient un point d'honneur de porter sur la tête, à une certaine époque. Le Haïk était particulièrement prisé par les femmes mariées, et connut son apogée vers les années 70 et 80 du siècle dernier, dans la ville des Roses. Selon l'historien attitré de la ville des Roses, Youcef Ouraghi, "le Haïk était considéré, des siècles durant, comme le symbole de la féminité et de la pudeur. A l'époque, aucune femme, âgée ou jeune, ne sortait dans la rue sans être couverte des pieds à la tête, avec cet apparat, en ne laissant qu'une seule ouverture devant les yeux, certaines allant parfois jusqu'à se couvrir tout le visage en ne laissant paraître qu'un seul oeil pour marcher", rappelle-t-il. Le voile, de couleur blanche, était confectionné d'une seule pièce de tissu, sélectionné en général dans les meilleures soieries existantes, et orné de broderies sur tous ses côtés. Les historiens du domaine situent son histoire à l'époque ottomane en Algérie, durant laquelle il était considéré comme un symbole de la culture algérienne, et une partie intégrante de son patrimoine. S'il était porté par toutes les femmes algériennes, son appellation et la manière de le porter différent d'une région à une autre. Les Algéroises et les Blidéennes portaient leur Haïk avec un Laadjar (un petit bout de tissu de même couleur couvrant le visage, en ne laissant de visibles que les yeux), tandis que les femmes de l'ouest du pays ne laissaient entrevoir qu'un seul oeil appelé "Bououina". Les femmes de l'époque s'ingéniaient à porter les plus beaux voiles coupés dans les meilleurs tissus, à l'instar du Haïk Lemrema, considéré comme le nec plus ultra en la matière. Pour Mme Khadidja, une ancienne adepte de ce voile, la disparition progressive du Haïk est "d'ordre pratique". Elle a expliqué que son port "entrave quelque peu la marche, car la femme qui le porte est obligée de toujours en tenir les bouts pour empêcher qu'il ne tombe, contrairement au Hidjab ou à la Djellaba qui assurent une certaine aisance à la femme, en toutes circonstances. La mariée, gardienne du Haïk, glorifié par la Guerre de libération nationale "Le Haïk a eu un rôle capital lors de la Guerre de libération nationale", a assuré Ami Ouraghi, soulignant que "ce symbole vivant de la culture algérienne, a constitué pour les femmes algériennes, moudjahidate et combattantes, le meilleur bouclier contre les militaires français". En dépit de sa disparition des rues de Blida, certaines femmes âgées y tiennent toujours pour leurs sorties. "Néanmoins, le Haïk demeure, jusqu'à nos jours, un atour indispensable dans le trousseau de la nouvelle mariée, qui se fait un point d'honneur de posséder un Haïk Lemrema, dont elle se couvrira en sortant de la demeure paternelle pour rejoindre celle de son mari", selon une octogénaire de la ville des Roses, l'hadja Tamani. La chéchia Stamboul, le summum de l'élégance pour les hommes de Blida Si le Haïk était le symbole de la féminité, la Chéchia Stamboul constituait pour les hommes de l'époque le summum de l'élégance au masculin. A une époque révolue, la ville de Blida était réputée pour être la capitale de la confection de ce type de Chéchia, dit également Terbouche. Le gouverneur de l'Egypte, le Dey Mohamed Ali, exigeait personnellement que ses Terbouches soient made in Blida. Cet artisanat (confection de la chéchia Stamboul) connut un tel essor à Blida, qu'un local fut spécialement ouvert, en plein centre- ville, pour l'entretien de ces ports de tête. Son propriétaire n'a dû changer d'activité que vers la fin des années 90. Chaque chose ayant un temps, le Haïk et la Chéchia Stamboul n'ont pas pu résister aux vents du changement qui ont soufflé sur le secteur de la mode vestimentaire en Algérie, où les jeunes préfèrent, aujourd'hui, porter une casquette d'importation, de marque mondialement connue si possible, à des prix frisant parfois les 7000 DA l'unité. De leur côté, les jeunes filles actuelles ont troqué le Haïk de leurs grands-mères pour des habits bien différents. Mais qui n'a pas eu, un jour, un sourire nostalgique à la vue d'un Haïk d'un blanc immaculé dans la rue, ou d'une Chéchia Stamboul trônant sur une tête orgueilleuse !