L'Irak s'apprête à tourner la page du très contesté Nouri al-Maliki après la nomination avant-hier d'un nouveau Premier ministre qui aura la tâche titanesque de sortir le pays de la guerre avec les djihadistes et de le sauver de l'éclatement. Les Etats-Unis, impliqués pour la 1ère fois militairement en Irak depuis le retrait de leurs troupes fin 2011, ainsi que l'Union européenne, la Grande-Bretagne, la France et l'ONU, ont aussitôt félicité le Premier ministre désigné Haïdar al-Abadi qui a désormais 30 jours pour former un gouvernement appelé à inclure toutes les forces politiques du pays.
Maliki rejette la nomination Le Premier ministre sortant irakien Nouri al-Maliki, qui briguait un 3e mandat, a jugé que la nomination de son successeur constituait une violation de la Constitution, menée avec le soutien des Etats-Unis. Nous rejetons cette violation de la Constitution, a affirmé M. Maliki en faisant référence à la nomination de Haïdar al-Abadi, un membre de son parti, comme nouveau chef du gouvernement. Washington s'est tenu aux côtés de ceux qui ont violé la Constitution, a-t-il ajouté dans un enregistrement diffusé à la télévision. M. Abadi venait d'être choisi par l'Alliance nationale, le bloc parlementaire chiite, comme son candidat, le poste de Premier ministre revenant à un chiite selon une règle non écrite. La coalition de M. Maliki -l'Etat de droit- fait partie de l'Alliance nationale. Alors que M. Maliki a le soutien d'un grand nombre d'officiers au sein des forces armées, le représentant spécial de l'ONU à Baghdad, Nickolay Mladenov, a appelé ces forces à ne pas s'ingérer dans la transition politique. Les forces spéciales, la police et l'armée se sont déployées en force aux abords de positions stratégiques dans Baghdad, où les grandes artères étaient bouclées, des ponts fermés, et la Zone verte, abritant les institutions clés, encore plus protégée que d'ordinaire. Le pays est entre vos mains, a dit le président Fouad Massoum en nommant M. Abadi, un membre du parti Dawa de M. Maliki et considéré comme un proche du chef du gouvernement sortant.
Haïdar al-Abadi, de l'exil au poste de Premier ministre Haïdar al-Abadi, nommé Premier ministre irakien, est un ancien exilé siégeant depuis longtemps au parlement et qui était considéré comme proche de son prédécesseur Nouri al-Maliki jusqu'à sa nomination. Le pays est entre vos mains, a déclaré le président Fouad Masoum à M. Abadi après avoir accepté sa nomination par l'alliance chiite au parlement, une décision dénoncée par M. Maliki qui s'estime spolié d'un troisième mandat. M. Abadi était ministre des Communications au sein du gouvernement intérimaire mis en place après le renversement de Saddam Hussein en 2003. Il est membre du parti Dawa de M. Maliki. Jusqu'à très récemment, il était un substitut de M. Maliki. Je n'ai jamais vu beaucoup de différences entre eux, estime Kirk Sowell, éditeur de la lettre d'information spécialisée Inside Iraqi Politics, basée à Amman. M. Abadi, né en 1952, a été élu au Parlement irakien en 2006, où il a d'abord présidé la commission de l'Economie, de l'Investissement et de la Reconstruction, puis celle des Finances. Il a été élu vice-président du Parlement en juillet, avant d'être appelé à former un gouvernement. Haïdar est une personne très amicale, très réaliste, selon Zaid al-Ali, expert en droit et auteur de l'essai La lutte pour l'avenir de l'Irak. Les gens reconnaissent qu'il est très accessible. Vous n'avez pas besoin d'être méfiant après avoir parlé avec lui, vous ne devez pas vous inquiéter si vous êtes en désaccord avec lui, précise-t-il. Tout comme Maliki et d'autres hommes politiques de haut rang, M. Abadi a passé des années en exil avant de rentrer en Irak. Il a vécu en Grande-Bretagne, où il a décroché en 1981 un doctorat en ingénierie électrique et électronique à l'université de Manchester. Il était à l'étranger durant l'essentiel du règne de Saddam Hussein. Dans une biographie figurant sur son site internet, il déclare que deux de ses frères ont été arrêtés par le régime du dictateur au début des années 80 et exécutés pour leur appartenance au parti Dawa, opposé à Saddam Hussein. Un troisième frère a été arrêté et emprisonné pendant dix ans sur la base des mêmes accusations. S'il réussit à former un gouvernement dans les 30 prochains jours, il devra faire face à d'immenses défis.
Situation humanitaire catastrophique Une réunion extraordinaire des ambassadeurs des pays de l'Union européenne a en outre été convoquée hier à Bruxelles pour examiner les moyens de contrecarrer l'avancée de l'EI. L'armée irakienne a échoué jusque-là à défaire les djihadistes qui se sont emparés de pans entiers du territoire dans l'ouest, l'est et le nord du pays, sans rencontrer de grande résistance. Dans le nord, les forces kurdes, sous pression financière et plombées par le poids que représente la sécurisation d'un nombre supplémentaire de régions devant la déroute de l'armée, ont dû fuir devant l'EI. Les djihadistes en ont profité pour s'approcher à une quarantaine de km d'Erbil, et s'emparer du barrage de Mossoul, le plus grand du pays. Les frappes américaines ont néanmoins permis aux peshmergas de reprendre les villes de Makhmour et Gwer, mais ils ont perdu Jalawla. La situation humanitaire reste, elle, catastrophique: des centaines de milliers de personnes ont été jetées sur les routes dont de nombreux chrétiens chassés de Mossoul, deuxième ville du pays, et de la localité chrétienne de Qaraqosh, aux mains de l'EI. La minorité kurdophone et non musulmane des Yazidis est également menacée depuis la prise de Sinjar, l'un de ses bastions. Réfugiés dans les arides montagnes environnantes, des milliers de Yazidis tentent de survivre entre la famine et les djihadistes, sous des chaleurs pouvant dépasser les 50°. Washington, Londres et Paris leur ont envoyé des vivres. Enfin, le Conseil de sécurité de l'ONU a entamé la rédaction d'un projet de résolution visant à couper les vivres, en argent et en hommes, des jihadistes en Irak.
Obama salue cette nomination Le président américain Barack Obama a salué avec force la nomination d'un nouveau Premier ministre en Irak, dans une allocution sonnant comme une mise en garde à l'égard du sortant, Nouri al-Maliki, qui tente de s'accrocher au pouvoir. Aujourd'hui, l'Irak a fait un pas en avant prometteur, a affirmé M. Obama qui s'exprimait depuis l'île de Martha's Vineyard, dans le Massachusetts (nord-est), où il passe des vacances en famille. Le président, qui a précisé qu'il avait promis par téléphone son soutien au nouveau Premier ministre Haïdar al-Abadin, a appelé tous les dirigeants politiques irakiens à travailler pacifiquement dans les jours à venir. Il a souligné la nécessité de former, aussi rapidement que possible, un gouvernement qui représente les intérêts légitimes de tous les Irakiens et qui puisse unir le pays dans la lutte contre l'Etat islamique (EI). Réaffirmant une nouvelle fois qu'il n'y avait pas de solution militaire américaine à la crise que traverse l'Irak, M. Obama a souligné que les nouveaux dirigeants irakiens auraient la lourde tâche de regagner la confiance du peuple. Par ailleurs, le Pentagone a assuré qu'il ne comptait pas étendre ses frappes aériennes hors de la région du nord de l'Irak où ses forces aériennes visent les combattants de l'Etat islamique. Nous n'avons pas pour projet d'étendre la campagne au-delà des opérations de défense actuelles, a déclaré le général William Mayville, un haut responsable du département américain de la Défense, lors d'une conférence de presse.