L'Irak s'apprête à tourner la page du très contesté Nouri al-Maliki, avec la nomination lundi d'un nouveau Premier ministre qui aura la tâche titanesque de sortir le pays de la guerre avec les jihadistes et de le sauver de l'éclatement. Les Etats-Unis, impliqués pour la 1ère fois militairement en Irak depuis le retrait de leurs troupes fin 2011, ainsi que l'Union européenne, la Grande-Bretagne et la France ont aussitôt félicité le Premier ministre désigné Haïdar al-Abadi qui a désormais 30 jours pour former un gouvernement appelé à inclure toutes les forces politiques du pays. Abadi veut former rapidement un gouvernement ouvert a indiqué la Maison Blanche. Aucune réaction n'a pu être obtenue dans l'immédiat auprès des services de M. Maliki, qui dirigeait le gouvernement depuis 2006 et cherchait coûte que coûte à rester au pouvoir malgré les violentes critiques contre sa politique confessionnelle, qui a aliéné la minorité sunnite, et son autoritarisme. Alors que M. Maliki a le soutien d'un grand nombre d'officiers au sein des forces armées, le représentant spécial de l'ONU à Bagdad, Nickolay Mladenov, a appelé les forces irakiennes à s'abstenir d'agir de manière à interférer dans les questions liées au transfert démocratique de l'autorité politique. Les forces spéciales, la police et l'armée se sont déployées en force aux abords de positions stratégiques dans Bagdad, où les grandes artères étaient bouclées, des ponts fermés, et la Zone verte, abritant les institutions clés, encore plus protégée que d'ordinaire. Le pays est entre vos mains, a dit le président Fouad Massoum en nommant M. Abadi. Ce dernier venait d'être choisi par l'Alliance nationale, le bloc parlementaire chiite, comme son candidat, le poste de Premier ministre revenant à un chiite selon une règle non écrite. Des armes pour les forces kurdes Dès l'annonce de cette nomination, des partisans de M. Maliki ont manifesté sur une place de Bagdad pour protester contre l'éviction de leur favori. En revanche, dans un quartier sunnite de la ville de Baqouba, au nord de Bagdad, des tirs de joie ont été entendus. La formation d'un gouvernement d'union est réclamée à cor et à cri par la communauté internationale pour faire face à l'offensive lancée le 9 juin par les jihadistes sunnites de l'Etat islamique (EI) qui continuent de s'emparer de pans de territoires en Irak et de mener des exactions contre les minorités religieuses, poussant à l'exode des centaines de milliers de personnes. Né en 1952, M. Abadi est membre du parti Dawa de M. Maliki et est considéré comme un proche du chef du gouvernement sortant. La coalition de M. Maliki -l'Etat de droit-, qui fait partie de l'Alliance nationale, avait remporté les législatives d'avril. Et M. Maliki estimait être le mieux placé pour un 3e mandat. Encore dimanche soir, il a accusé Fouad Massoum d'avoir violé la Constitution en retardant la nomination d'un Premier ministre et annoncé son intention de porter plainte contre lui. Mais dans cette bataille, M. Maliki a perdu de précieux alliés, américains ou membres de son propre parti. Le vice-président américain Joe Biden a jugé la nomination d'un nouveau Premier ministre comme une étape cruciale et réitéré les appels à la formation rapide d'un nouveau gouvernement plus ouvert qui sera en mesure de répondre aux inquiétudes légitimes de tous les Irakiens. Même son de cloche de la part des présidents français, François Hollande, et turc, Recep Tayyip Erdogan, qui ont souhaité, au cours d'un entretien téléphonique que le nouveau Premier ministre, Haïdar al-Abadi, puisse rapidement former un gouvernement d'union nationale. Surtout que Washington a décidé, après de fortes hésitations, de venir en aide aux Irakiens en lançant depuis vendredi des frappes avec des avions et des drones contre des positions jihadistes dans le nord irakien, pour contrer leur avancée en direction du Kurdistan irakien et protéger le consulat américain d'Erbil, la capitale de cette région autonome. Le département d'Etat américain a aussi annoncé des livraisons d'armes aux forces kurdes, commencées la semaine dernière. Situation humanitaire catastrophique Une réunion extraordinaire des ambassadeurs des pays de l'Union européenne a en outre été convoquée mardi à Bruxelles pour examiner les moyens de contrecarrer l'avancée de l'EI. L'armée irakienne a échoué jusque-là à défaire les jihadistes qui se sont emparés de pans entiers du territoire dans l'ouest, l'est et le nord du pays, sans rencontrer de grande résistance. Dans le Nord, les forces kurdes, sous pression financière et militaire, ont dû fuir devant l'EI. Les jihadistes en ont profité pour s'approcher à une quarantaine de km d'Erbil, et s'emparer du barrage de Mossoul, le plus grand du pays. Les frappes américaines ont néanmoins permis aux peshmergas de reprendre les villes de Makhmour et Gwer, mais ils ont perdu Jalawla, à 130 km au nord-est de Bagdad. La situation humanitaire est catastrophique: des centaines de milliers de personnes ont été jetées sur les routes dont de nombreux chrétiens chassés de Mossoul, deuxième ville du pays, et de la localité chrétienne de Qaraqosh, prises par l'EI. La minorité kurdophone et non musulmane des Yazidis est également menacée depuis la prise de Sinjar, l'un de ses bastions. Réfugiés dans les arides montagnes environnantes, des milliers de Yazidis tentent de survivre entre la famine et les jihadistes, sous des chaleurs pouvant dépasser les 50°. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont largué des vivres aux populations en détresse. Paris a également envoyé de l'aide.