La Réserve fédérale américaine (Fed) s'apprête, lors de sa réunion monétaire aujourd'hui, à clore son aide exceptionnelle à l'économie lancée en 2008 après la crise financière alors que l'économie poursuit une expansion modérée. La plupart des analystes s'attendent à ce que le Comité de politique monétaire (FOMC), qui achèvera aujourd'hui une réunion de deux jours, tienne parole en cessant ses achats de bons du Trésor et de titres adossés à des créances hypothécaires. Les taux doivent toutefois rester proches de zéro comme ils le sont depuis fin 2008. Ces injections de liquidités avaient été annoncées en septembre 2012 au titre du 3e volet de l'aide monétaire exceptionnelle (QE3) pour continuer à soutenir la modeste reprise économique. Elles ne se montent plus qu'à 15 milliards de dollars par mois. La Fed a commencé à les réduire en décembre dernier lorsqu'elles pesaient 85 milliards de dollars. Leur achèvement n'est toutefois pas synonyme d'une fin totale de la politique de l'argent facile car la banque centrale va continuer à réinvestir le produit des titres arrivant à maturité. La présidente Janet Yellen a redit le mois dernier que, si l'économie le permettait, les achats d'actifs se concluraient à la réunion d'octobre à l'issue de laquelle il n'y a pas de conférence de presse prévue. L'expansion économique a poursuivi son rythme "modéré", selon le dernier Livre beige. La croissance au 3e trimestre, qui sera connue jeudi, devrait afficher 3%, estiment les analystes. Pour l'analyste indépendant, Joel Naroff, la réunion du FOMC signera "la fin de l'expansion monétaire, mais les inquiétudes concernant l'inflation basse et la sous-utilisation du marché de l'emploi devraient continuer à être au coeur des débats". "La récente volatilité sur les marchés financiers ne va pas empêcher la Fed d'annoncer la fin de ses achats d'actifs", assure Paul Dales, de Capital Economics. Car après les turbulences sur les marchés à la mi-octobre et les mauvaises performances de la croissance et de l'inflation en Europe, le débat a brièvement repris aux Etats-Unis sur l'opportunité de conclure les achats d'actifs.
Rassurer les marchés Un dirigeant de la Fed, James Bullard, membre non-votant du FOMC cette année, a suggéré que la banque centrale retarde la clôture du programme et le garde "en vie" jusqu'à nouvel ordre. "Ces commentaires n'étaient destinés qu'à calmer les marchés pendant cette période d'extrême volatilité", assure Steven Ricchiuto, économiste pour Mizuho Securities USA. Ce représentant de la Fed "savait très bien que cela serait interprété comme un signe rassurant pour les marchés. D'autres ventes massives ont été évitées", commentait aussi un économiste éditorialiste du Washington Post, Steven Pearlstein. Avec la fin des achats d'actifs, la Fed entre en effet dans une nouvelle ère, "un trou d'air" qui peut inquiéter les marchés, comme l'appelle John Burbank, fondateur du fonds Passport Capital. Elle tourne la page du soutien monétaire exceptionnel et ouvre avec incertitude celle d'une première hausse des taux. Car l'autre sujet de discussion, qui avait déjà bien occupé la dernière réunion du FOMC, est le sort de la formule évoquant "une période de temps considérable" avant une première hausse des taux. Ce message avait finalement été conservé, d'autant plus que les membres de la Fed s'étaient montrés inquiets de la faiblesse économique en Europe et de la montée du dollar. En agissant sur les prix importés, le raffermissement du billet vert peut en effet ralentir l'inflation américaine vers l'objectif de 2% la Fed (1,5% actuellement, selon l'indice PCE). Mais certains jugent toujours cette référence temporelle trop contraignante. En septembre, deux membres du FOMC avaient voté contre. De nombreux analystes estiment néanmoins que ce message va rester en l'état, au moins jusqu'à la réunion du FOMC de décembre. "Nous nous attendons à ce que la Fed conserve son message d'orientation évoquant +une période considérable+", selon les économistes de Barclays Research. L'analyste Steven Ricchiuto pense toutefois que la Fed devrait profiter de l'ajustement des marchés pour changer sa formule dès aujourd'hui sans provoquer de nouvelle volatilité intempestive.
Les trois cycles d'injection monétaire de la Fed depuis 2008 Pour faire face à la crise financière aux Etats-Unis, la Banque centrale américaine (Fed) a procédé depuis 2008 à trois phases d'injections massives de liquidités baptisées "assouplissement quantitatif" ou "quantitative easing" (QE). La première vague a lieu fin novembre 2008, un peu plus de deux mois après la faillite de la banque Lehman Brothers. En pleine tempête financière et crise des crédits immobiliers à risque ("subprime"), la Réserve fédérale sort de son rôle traditionnel. En plus d'abaisser son principal taux directeur à un niveau proche de zéro, l'institution annonce le début de rachats massifs d'actifs jusqu'en mars 2010 afin de fluidifier le crédit, diminuer le coût de l'emprunt et stimuler l'investissement. Entre les titres adossés à des créances immobilières -les obligations émises par les géants du refinancement immobilier Fannie Mae et Freddie Mac- et les bons du Trésor, la Banque centrale débourse entre novembre 2008 et mars 2010 quelque 1.750 milliards de dollars au cours de ce "QE 1". Face à la fragilité persistante de la première économie mondiale et à la crise en zone euro, la Fed doit toutefois se résoudre en novembre 2010 à lancer un "QE 2" et à entamer un nouveau cycle d'injections de liquidités. Dans le détail, la Fed décide à la fois de racheter pour 600 milliards de dollars de bons du Trésor pour faire baisser les taux d'intérêts à long terme et de réinvestir les titres acquis au cours du "QE 1" et arrivés à maturité. Ce nouveau cycle, qui s'achève en juin 2011, ne lève toutefois pas toutes les inquiétudes. Quelques mois plus tard, en septembre 2011, elle décide de troquer ses obligations à court terme pour des titres à maturité plus longue, au cours d'une opération baptisée "Twist" et aujourd'hui achevée. Un an plus tard, la Fed doit se résoudre à enclencher une troisième vague d'injections monétaires, le "QE 3". En septembre 2012, elle annonce l'achat mensuel de 40 milliards d'actifs, porté en janvier à 85 milliards, répartis entre 45 milliards de dollars de bons du Trésor et 40 milliards de titres adossés à des créances immobilières. Cette nouvelle phase marque une innovation: la Banque centrale se donne une marge de manœuvre supplémentaire et n'annonce cette fois aucune date de fin de ces achats mensuels, conduisant les analystes à rebaptiser le "QE 3" en "QE infinity". Ce n'est qu'à partir de décembre 2013 que la Banque centrale va progressivement réduire ces achats d'actifs et prévoir finalement de les conclure en octobre 2014 lorsqu'ils sont descendus à 15 milliards de dollars mensuels. Cette politique d'expansion monétaire laisse la Fed avec quatre fois plus d'actifs à son bilan qu'avant la crise à quelque 4.500 milliards de dollars. Revenir à un niveau plus normal prendra jusqu'à la fin de la décennie, a averti la présidente Janet Yellen. La Fed a promis jusqu'ici, pour continuer à soutenir la reprise, de ne pas vendre les titres qu'elle a acquis et même de réinvestir le produit de ceux qui arrivent à maturité.