L'inflation s'est redressée en mars au Japon, pour la première fois depuis dix mois, mais la consommation des ménages a lourdement chuté, maintenant sous pression la banque centrale deux ans après le lancement d'une offensive monétaire aux résultats mitigés. Les prix, hors ceux des produits périssables, ont augmenté de 2,2% sur un an, a annoncé vendredi le gouvernement, soit une petite hausse de 0,2% en excluant l'impact du relèvement en avril 2014 de la TVA. Après des mois de ralentissement et une inflation nulle en février, la légère embellie observée en mars "ne dissipe pas les inquiétudes" pour la Banque du Japon (BoJ), avertit cependant Takeshi Minami, de l'Institut de recherche Norinchukin. "L'inflation est encore proche de zéro et pourrait chuter dans les prochains mois", souligne-t-il. La BoJ veut croire qu'une telle léthargie des prix est temporaire, conséquence de la chute des cours du pétrole. Prenant néanmoins acte, elle a revu jeudi une nouvelle fois sa copie: elle parie désormais sur une inflation de seulement 0,8% au cours de l'exercice 2015-2016, à comparer à sa précédente estimation de 1%. Son gouverneur, Haruhiko Kuroda, a même admis du retard sur le calendrier initial, mais espère atteindre son objectif ultime de 2% courant 2016. M. Kuroda garde - en apparence du moins - confiance, vantant les vertus du déclin des tarifs de l'énergie dans un pays assoiffé d'hydrocarbures. Et même d'écarter tout assouplissement supplémentaire dans l'immédiat.
Plus forte chute en 15 ans Outre l'effet positif du pétrole, "la BoJ parie sur un scénario où des rémunérations plus élevées et un marché du travail favorable doperont à terme l'activité, et donc les prix", explique M. Minami. M. Kuroda a évoqué jeudi les négociations salariales du printemps, qui ont débouché sur des promesses de hausses "supérieures à l'an passé", même si certains observateurs craignent que le mouvement reste cantonné aux grandes firmes. Il a fait état aussi du très faible taux de chômage (3,4% en mars, en recul de 0,1 point), au plus bas depuis 17 ans. Les Japonais n'ont pas bénéficié d'un contexte aussi propice à la recherche d'un travail depuis plus de deux décennies, ce que le Premier ministre Shinzo Abe met sur le compte de sa politique de relance des "Abenomics" (contraction du nom Abe et du mot "economics"). Le gouverneur cite également les profits "historiquement élevés" des entreprises, à la faveur d'un yen faible, et la reprise des exportations. Toutefois, la demande intérieure, pilier de la croissance (car représentant quelque 60% du produit intérieur brut), s'éternise en territoire négatif. Les ménages nippons ont fortement réduit leurs dépenses en mars, de l'ordre de 10,6% par rapport à un an plus tôt, soit le 12e recul mensuel d'affilée, et surtout le plus important depuis la compilation des statistiques sous cette forme en 2001. Même en mars 2011, mois de la catastrophe de Fukushima, la consommation ne s'était pas autant effondrée (-8,2%).
Effet de surprise Ces chiffres de mars souffrent cependant d'une base de comparaison plus que défavorable du fait de la ruée dans les magasins début 2014, en amont de la hausse de TVA (de 5 à 8%). Si le mois d'avril sera plus instructif, pour l'heure "les indicateurs économiques suggèrent que la reprise n'est pas aussi solide qu'escompté", a commenté pour l'agence Bloomberg Masaki Kuwahara, économiste de la maison de courtage Nomura Securities. Les analystes pressent le gouverneur Kuroda d'agir tant qu'il est encore temps. Le défi est de déjouer les pronostics, notent les analystes, un élément clé dans le succès de la politique monétaire. M. Kuroda a justement été désigné en mars 2013 pour bousculer les habitudes. Ce qu'il a fait d'emblée en lançant un programme sans précédent, dans l'espoir de réussir là où ses prédécesseurs avaient échoué, et de vaincre enfin cette handicapante déflation. De même, a-t-il pris les marchés de court fin octobre 2014 en annonçant une expansion de son programme que personne n'avait prédite. "La question est: comment va-t-il créer la surprise cette fois, tel un magicien sortant un lapin du chapeau'", souffle Masaaki Kanno, économiste au sein de JPMorgan.